ACTU MERCATO
Loïc Puyo : « On est stressé, on reste pendu à notre téléphone »
Formé à Auxerre puis passé par Amiens, Orléans, Nancy, Angers ou encore le Red Star la saison dernière, Loïc Puyo (31 ans) a décidé de prendre la plume pour So Foot afin de raconter son quotidien de joueur. Premier épisode ce lundi, en ce jour de fermeture de la fenêtre des transferts : alors qu'il vient de trouver un nouveau club à l'autre bout du globe, le milieu de terrain évoque la manière dont un footballeur en fin de contrat vit un mercato.
Aborder une période de mercato en étant sans club et en pleine maturité n’est pas de tout repos. Il y a de la peur, de l’inquiétude, du stress, de la jalousie, de l’envie, de l’espoir… puis de la déception. Pendant ce temps, on essaie de se mettre en avant comme on peut. On va créer des montages vidéo de ses plus belles actions, essayer de présenter une bonne image de nous sur les réseaux sociaux, se montrer en train de faire de gros entraînements individuels en story sur Instagram… Sait-on jamais, des yeux de décideurs pourraient venir traîner sur notre profil. Les rumeurs et officialisations nous paraissent (presque) toujours incompréhensibles ou injustes quand cela concerne un club espéré, ou elles suscitent au contraire de l’espoir lorsque l’on voit un joueur évoluant à notre poste qui s’en va. Parfois, je me disais : « Tu restes trois jours sans regarder un seul site qui parle de transferts, car tu es trop stressé. Si ça doit venir, ça viendra tout seul. » Et ce n’est jamais venu. Et je repartais sur Internet dix fois par jour pour actualiser les news. Il y a aussi les rumeurs qui nous arrivent aux oreilles par des joueurs d’autres équipes.
Mode avion et pont d’or turc
Et puis, il y a l’agent. J’ai toujours entendu dire : « Mon agent n’est pas bon, je suis sûr qu’il ne connaît personne dans le milieu et qu’il ne se bouge pas pour moi. » Même moi, ça a déjà dû m’arriver de le penser. Puis, je me suis rappelé que je n’avais pas mis un pied devant l’autre cette saison-là et que je me prenais pour un avion de chasse qui devait signer facile en Ligue 1… On devient plus indulgent, et on admet cette expression : « C’est le joueur qui se fait. » Donc on est stressé. On reste pendu à notre téléphone. Au même titre que pour les sites Internet, certains jours d’été je me disais : « Aujourd’hui, tu ne regardes pas une seule fois ton portable. » Et le soir : aucun message. Même pas d’un pote. Rien. Seul au monde, et finalement encore plus énervé et stressé. Durant un mercato incertain, on est irritable. On accepte de moins en moins les réflexions, les conseils, la bienveillance de nos proches. Devoir répondre à ses potes qui nous demandent chacun leur tour, et avec la plus grande bienveillance : « Alors, toujours rien ?! » c’est très dur car un sentiment de gêne et de honte nous parcourt quand on doit tout simplement répondre « Rien du tout »…
Parfois, ça se décante d’un coup. Je me souviens du mercato de 2017. Je sortais d’une première saison honorable en Ligue 1 avec Nancy. Fin de contrat et malheureusement, pas de proposition de prolongation. Je pars en vacances en me disant que ça devrait le faire pour retrouver un club de Ligue 1, mais je me retrouve au 1er juillet, alors que presque tous les clubs avaient repris, avec un seul et unique contact : le Tours FC, à l’époque en Ligue 2. Le club m’avait sollicité au tout début du mercato, mais j’espérais tout de même trouver un club dans l’élite. Je commence à me faire une raison et je me rends là-bas le 9 juillet pour visiter les installations quand, au moment de passer les grilles du centre d’entraînement, le directeur sportif d’Angers m’appelle. Mon cœur se met à battre très fort. Il me fait part de son envie d’accélérer sur mon dossier. Là, tout se bouscule dans ma tête. Surtout qu’un deuxième club de Ligue 2 m’avait invité trois jours auparavant à venir me rendre sur place pour visiter aussi les installations. J’ai écourté la visite à Tours. Je suis reparti sur Bordeaux, où je résidais durant cette période. En descendant du train, mon agent de l’époque me rappelle pour me dire qu’une offre mirobolante d’un club de deuxième division turque vient de tomber. C’était à Bolispor, une ville perdue de Turquie. On me proposait un contrat de deux ans avec 260 000 euros nets par saison plus 50 000 euros de prime en cas de montée. Des sommes que je n’avais encore jamais envisagées dans ma carrière. Finalement, l’offre d’Angers est arrivée le lendemain matin et je n’avais plus de doute. Cela me semblait à l’époque le projet rêvé pour moi. Tout s’est accéléré pour, finalement, se terminer dans une écurie de Ligue 1.
Autre anecdote, qui ne me concerne pas directement cette fois-ci : je suis très proche de Thomas Monconduit, avec qui j’ai fait ma formation à Auxerre. En 2015, alors qu’il sortait d’une période difficile pour cause de blessures, il m’avait contacté pour obtenir des infos sur le club d’Amiens avec lequel j’avais évolué entre 2011 et 2013. Il me demandait ce que j’en pensais, et si je lui conseillais de signer là-bas. Pour être honnête, je n’avais pas gardé de très bons souvenirs de mon aventure amiénoise (et réciproquement !) et ça ne s’était pas très bien terminé, donc je lui avais dressé un portrait peu flatteur du club et lui avais déconseillé de s’engager. Finalement, il ne m’a pas écouté, il a quand même signé à Amiens en National, il a fait deux montées consécutives jusqu’à la Ligue 1 et il est devenu l’un des joueurs emblématiques et le chouchou du public amiénois ! Comme quoi, il faut faire confiance à son intuition plutôt qu’à des conseillers toujours subjectifs.
Tous dans le même bateau
Il arrive aussi que ça se termine moins idéalement, qu’on soit dans l’obligation de faire un choix par défaut. C’est ce qui m’est arrivé la saison passée, lorsque je me suis engagé avec le Red Star… le 11 septembre. Je ne vais pas mentir, signer en National ne faisait pas partie de mes plans. Pourtant, c’est le seul club qui m’a donné ma chance. Pour ça, je lui serai toujours redevable et reconnaissant. L’adaptation fut très compliquée, et c’était uniquement ma faute. Je me voilais la face en me disant que ce n’était pas ma place et que je méritais mieux. Mais si j’étais là, c’est que je n’avais pas fait le boulot pour rester en haut. À l’arrivée, j’ai été très fier de jouer sous les couleurs de ce club mythique qui mérite un bien meilleur sort que celui qu’il connaît aujourd’hui.
Le mercato de cet été 2020 a lui aussi été marqué par des histoires rocambolesques, des choix à faire souvent dans l’urgence, des déceptions et des incertitudes décuplées par cette foutue Covid. On m’a fait miroiter un essai à Kansas City, j’ai même fait refaire mon passeport en urgence pour ça… J’attends toujours qu’on me rappelle. J’ai contacté des clubs et des coachs qui m’étaient chers, et à qui je pensais pouvoir apporter mon aide. Mais je n’ai eu que des refus ou, pire, aucune réponse. J’ai refusé une offre d’un club en Roumanie parce que je sentais que ce n’était pas fait pour moi, j’ai cru à des offres à Chypre, mais rien n’est tombé. Aussi, un club de National m’a contacté par l’intermédiaire de son coach, le contact a été très bon. Il m’a exposé son projet de jeu et m’a fait part de son grand intérêt de me voir intégrer son équipe. Cinq jours après, j’ai appris par mon agent que le président de ce club avait fait venir deux jeunes joueurs en prêt à mon poste. Le coach n’était même pas au courant, et ça a donc avorté. Quand je discute avec des potes de mon âge, je vois qu’on est tous dans le même bateau. En 2020, être trentenaire dans le football professionnel et en fin de contrat est souvent une belle galère.
Par Loïc Puyo, avec Jérémie Baron
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