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Liverpool et la Premier League : l’histoire d’un malentendu

Par Romain Duchâteau
Liverpool et la Premier League : l’histoire d’un malentendu

Depuis la création de la Premier League en 1992, Liverpool attend toujours de goûter au titre de champion. Au moins d'un miracle ce dimanche, les Reds vont devoir attendre une saison de plus. Mais quelles sont les raisons de ce qui ressemble à une malédiction ?

À coup sûr, Anfield vibrera ce dimanche après-midi. C’est écrit d’avance et, au fond, peu importent les circonstances. Pourtant, derrière cette ferveur indéfectible et ces chants galvanisants, le ciel se montrera quelque peu brumeux autour de l’écrin majestueux anglais. Car les Reds vont probablement perdre le titre de champion d’Angleterre au profit de Manchester City. Cette couronne nationale, elle leur tendait cependant les bras. Elle leur était promise cette saison. Mais Steven Gerrard, l’idole de tout un peuple, a trébuché face à Chelsea (0-2, 27 avril). Puis Liverpool a perdu ses dernières illusions en début de semaine, à Crystal Palace (3-3), au terme d’un scénario aussi inexplicable que cruel. D’aucuns y voient une sempiternelle déveine, d’autres une malédiction qui entend s’acharner encore et encore. Le club liverpuldien court après un titre de champion depuis vingt-quatre ans. Au regard de son histoire, de son prestige, cela ressemble à un opprobre. Une anomalie, même.

Le poids de HillsboroughÀ Liverpool, l’histoire a toujours joué un rôle déterminant. C’est elle qui a infléchi son destin au gré d’exploits et de désastres. Entre le drame du Heysel et la tragédie de Hillsborough, le club a eu son lot de fardeaux. Mais si Heysel a privé pendant six ans les Reds de toutes compétitions européennes, Hillsborough a eu des conséquences palpables et directes sur son parcours en championnat. « Il ne fait aucun doute que Hillsborough a joué un rôle dans la chute de Liverpool. Après une période de grands succès dans les années 70 et 80, le club a été ébranlé lorsque Kenny Dalglish a quitté son poste de manager en 1991. L’agitation et la pression émotionnelle qui enveloppaient Anfield à la suite de cette tragédie l’a poussé à partir en février 1991 » , détaille en longueur James Pearce, reporter chargé de suivre le club liverpuldien au Liverpool Echo.

Malgré une ribambelle de titres remportés (champion d’Angleterre en 1985, 1988 et 1990, FA Cup en 1986 et 1989), King « Kenny » ne parvient pas à poursuivre sa divine mission. Sous le poids du stress, de la pression et des nombreuses funérailles, il rend, éreinté, vidé, son tablier. Un départ significatif puisque Liverpool termine vice-champion à la fin de la saison et débute sans le savoir sa très longue traversée du désert. « L’histoire de la Premier League aurait été très différente si Dalglish était resté en charge tout au long des années 90, souligne Pearce. Dalglish a montré ses compétences quand il est revenu plus tard en tant que manager. Il a conduit les Blackburn Rovers au titre de champion en 1995. » Cet épisode, qui a profondément marqué l’histoire du club, coïncide avec une période moins glorieuse. Les blessures de Liverpool sont alors béantes et certains ne vont pas se priver pour en profiter.

Ferguson et le « putain de perchoir »

Le premier n’est autre que Sir Alex Ferguson. À peine arrivé sur le banc de Manchester United en 1986, le manager écossais avait déjà donné le ton, promettant de faire descendre les Reds de leur « putain de perchoir » . Une promesse qu’il met rapidement à exécution avec un sang-froid inébranlable. Profitant des errements de Graeme Souness (1994-1998), Roy Evans (1994-1998), successeurs de Dalglish, ainsi que d’une gestion hasardeuse de son rival, Fergie redonne à United son lustre d’antan. Pendant que les Reds soignent leurs plaies, les Red Devils assoient progressivement leur domination sur la scène nationale à coups de championnats glanés (1993, 1994, 1996, 1997, puis 1999). La pilule est difficile à avaler et toute une ville, rattrapée par la nostalgie, commence à trouver le temps particulièrement long.

Mais attribuer l’échec de Liverpool à l’ombre grandissante et menaçante de Ferguson serait un brin réducteur. À l’époque, le club rouge de la ville s’est sabordé en raison de mauvais choix, comme l’analyse James Pearce : « Ils ont gaspillé de l’argent en effectuant des transferts médiocres, alors que Manchester United s’est montré plus perspicace et est devenu de plus en plus fort sous Ferguson. Commercialement, United a été beaucoup plus intelligent et a capitalisé sur ses énormes possibilités à l’échelle mondiale pour faire avancer leur marque. Ce qui lui a permis de générer d’énormes sommes d’argent pour investir sur le marché des transferts. » L’emblématique entraîneur de Manchester l’a lui-même reconnu dans son autobiographie, alléguant que « vers la fin du premier passage de Kenny, on a pu ressentir un changement. L’équipe avait vieilli et Liverpool commençait à faire des acquisitions inhabituelles. » Et si Liverpool avait tout simplement oublié d’évoluer et de s’adapter au fil du temps aux nouvelles exigences de la Premier League ?

Liverpool, une équipe de coupes ?

Les arrivées successives de Gérard Houllier (1998-2004) et Rafael Benítez (2004-2010) ont, aussi, mis en valeur une évidence irréfragable. Liverpool se plaît à se sublimer lors des coupes plutôt qu’en Premier League, qui est un « marathon » et non un sprint. Sous l’égide de Houllier, les Reds ont réalisé le triplé FA Cup-League Cup-Coupe de l’UEFA en 2001, avant de soulever une nouvelle fois la League Cup deux ans plus tard. En parallèle, le technicien français n’aura réussi qu’à les hisser à la deuxième place en championnat. Jamais sur le toit de l’Angleterre et c’est ce qui sera la cause de son éviction. Même rengaine avec la venue de Benítez. L’Espagnol a fait frissonner l’Europe toute entière au moment du miracle d’Istanbul en 2005, mais a été incapable lui aussi de ramener le précieux sésame. Sa finale en FA Cup et sa victoire en League en 2012 n’ont fait depuis que renforcer cette réputation d’équipe de coupes.

De là à penser que le club du Nord-Ouest de l’Angleterre a pris l’habitude de privilégier les compétitions annexes au championnat ? « Je pense qu’aucun manager ne donne plus d’importance aux coupes qu’à la Premier League, réfute James Pearce. Il me semble juste que Liverpool était plus adapté aux joutes européennes qu’aux duels âpres du football anglais. Mais c’est vrai que Liverpool était une équipe de Coupe et pas forcément adaptée au rythme soutenu de la Premier League toute la saison. » C’est sans doute là que le fossé s’est creusé, United restant la même machine, City investissant massivement, Chelsea également et Arsenal s’accrochant tant bien que mal. Aujourd’hui, Brendan Rodgers a donné un nouvel élan, une nouvelle dynamique bienvenus. Mais il manque encore et toujours ce « je-ne-sais-quoi » et Liverpool a peut-être raté cette saison une opportunité qui ne se représentera pas de sitôt. À quoi peuvent donc prétendre désormais les Reds, eux qui courent après un succès domestique depuis 1990 ? Du temps où ils étaient souffreteux, Ferguson avait glissé cette phrase significative : « Avec son passé, son héritage, le soutien de ses fans et son terrifiant bilan à domicile, Liverpool était un adversaire implacable, même pendant les années creuses. Malgré tout, je pouvais sentir leur souffle sur ma nuque à 50 kilomètres de distance. » Mais, fort de ses dix-huit couronnes nationales et d’une histoire singulière, Liverpool peut-il encore se satisfaire seulement de ce statut ?

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