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Lille, succès d’un gros poucet
Sitôt le LOSC champion, la presse généraliste s’est empressée de faire le comparatif avec le PSG en opposant deux visions du football. D’un côté, la victoire du foot d’antan, local, à taille et échelle humaines. De l’autre, la défaite du foot business, richissime et dispendieux. Sauf qu’à y regarder de plus près, Lille se rapproche presque du modèle parisien...
L’histoire a commencé dès janvier 2017. À l’époque, lorsque l’homme d’affaires Gérard Lopez rachetait à Michel Seydoux le club nordiste, il était possible d’imaginer un changement de dimension, l’affirmation d’un nouveau concurrent à l’ogre parisien et une montée en puissance tant financière que sportive. Malgré le flop Marcelo Bielsa, personne n’avait d’ailleurs douté. La victoire finale, trois ans plus tard avec Christophe Galtier, en a été la juste confirmation.
Pourtant, rapidement, et encore plus avec le changement de gouvernance et la nomination d’Olivier Létang à la présidence, de nombreux observateurs ont présenté le LOSC comme un club familial. Un club basé sur une logique saine, durable, pérenne, faisant confiance au scoutinget à la détection plutôt que sur la gabegie financière et les coûts sur le marché des transferts. Ainsi, rien ne permettait de mettre sur un même plan le PSG et ses 650 millions d’euros de budget avec Lille, à 147 millions d’euros, sans star et sans vedette.
Fonds souverains vs fonds d’investissement
Mais affirmer cela, c’est aller bien vite en besogne. Parce que, sans remettre en cause le titre lillois et sa merveilleuse saison, le club s’est tout naturellement adapté aux contraintes du haut niveau et est entré dans la logique du sport-business basée essentiellement sur l’apport pécunier et financier. Depuis 2017 et le rachat de Lopez, la masse salariale totale a par exemple augmenté de 30 %, atteignant les 72 millions d’euros en 2019. Quant aux autres charges, dont une partie est consacrée aux paiements des prestataires, aux services de recrutement et de détection, elles ont explosé de 48% en passant de 39 millions d’euros en 2016 à 58 millions d’euros en 2019. Et rien ne dit qu’elles n’aient pas encore augmenté en 2020 et 2021.
En 2016-2017, le solde net avait été négatif, à 40,4 millions d’euros. Et pire en 2017-2018, avec un trou de 142 millions d’euros, alerte de la DNCG et demande de précisions et de solvabilité. Le rapport 2018-2019 de la DNCG présenta ensuite un déficit de 66 millions d’euros, avant que la direction nordiste ne demande un délai d’un mois et obtienne la vente de Nicolas Pépé à Arsenal afin de remettre les comptes dans le vert. Pour faire face à ces déséquilibres en hausse, avec 157 millions d’euros de charges d’exploitation lors de la saison 2018-2019, Lille a fait comme beaucoup d’autres clubs inscrits dans le monde du business : il a emprunté 225 millions d’euros, en deux fois, auprès d’un fonds d’investissement, l’Américain Elliott. Selon le New York Times, ce crédit avait été souscrit sur la base d’un taux d’intérêt « à deux chiffres, dépassant les 15 % » et aurait imposé à Gérard Lopez, en incapacité à rembourser malgré les succès sportifs de son équipe, de revendre le club sous la pression de ses créanciers.
Placement, spéculation, trading, optimisation, vente, achat…
En cours de saison, l’homme d’affaires avait alors cédé la gouvernance et la direction du club à un autre fonds, Callisto Sporting SARL, domicilié au Luxembourg et dirigé par Maarten Petermann, ex-banquier de JP Morgan. Olivier Létang avait ensuite été nommé président et avait poursuivi la logique comptable de l’équipe, basée sur la recherche de plus-value et de lucrativité afin de satisfaire ses actionnaires et ses nouveaux créanciers. Parce que, dans cette folie spéculative, 50 millions d’euros de dettes avait été revendues à la banque JP Morgan sous forme de titres financiers, associés dorénavant à des portefeuilles boursiers et des investissements bancaires via la création de différentes sociétés de placement. En attendant un remboursement avec intérêt. Un montage complexe, digne d’un scénario de la City.
On est très loin de la victoire du football humain, sain et durable face à la toute-puissance parisienne. En réalité, ce n’est donc pas vraiment la « victoire du petit poucet » . Le titre de Lille est respectable et honorable, certes, mais il a été obtenu après moults actions sur les marchés financiers et de nombreuses recherches de financement afin de construire une équipe compétitive et performante, capable de battre Paris et ses principaux concurrents. Il est même possible de rajouter que Lille a « heureusement » fini champion. Car avec toutes ces contraintes et pressions auprès d’actionnaires et créanciers, sans oublier l’hypothèque des terrains d’entraînement et du centre de formation, la suite n’aurait pas du tout été la même si la saison s’était traduite par des méformes et des échecs sportifs. Cette fois, c’est un Lille en cessation de paiement et liquidation financière qui aurait pu être dessiné. La saison prochaine, rien ne dit d’ailleurs que ces incertitudes ne soient terminées. Finalement, le football se joue à peu de choses…
Par Pierre Rondeau