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Ligue 1 : le football français face à l’enjeu sanitaire

Par Félix Barbé et Clément Gavard
11 minutes
Ligue 1 : le football français face à l’enjeu sanitaire

Ça y est, on y est ! Ce vendredi, à 19h00, la rencontre Bordeaux-Nantes marquera le début de la saison 2020-2021 de Ligue 1. Une reprise dans un flou certain, lié à l’épidémie de coronavirus qui touche actuellement bon nombre de clubs de l’élite, mais également plusieurs pensionnaires de Ligue 2. Comment aborder un championnat sereinement au milieu d’une crise qui oblige chaque formation à revoir sa manière de travailler ? Et surtout, la saison pourra-t-elle se disputer dans son intégralité et sans accroc ? À l’intérieur des clubs, le pessimisme n’est pas forcément de rigueur.

Il aura donc fallu attendre plus de cinq mois, 166 jours pour être très précis, pour voir le football français relancer ses championnats professionnels. Cinq très longs mois de tensions, de tractations, de polémiques, d’espoirs et surtout d’attente pour les habitués de la sacro-sainte Ligue 1 et de sa petite sœur, la Ligue 2. Tout était d’ailleurs parfaitement calé : cette nouvelle cuvée devait débuter par un classique Marseille-Saint-Étienne, une affiche alléchante pour relancer la machine et inaugurer la chaîne Téléfoot, nouveau diffuseur principal du championnat pour les quatre prochaines années. Et puis, patatras. Quatre cas de Covid-19 à l’OM – un cinquième a été annoncé jeudi soir – ont entraîné le report de la rencontre, obligeant les instances à chambouler leur agenda en avançant Bordeaux-Nantes pour combler le trou. « On a envoyé la voiture au garage pendant trois mois, image le président stéphanois Bernard Caïazzo dans les colonnes du Parisien. Puis, là, on nous dit qu’elle est en panne dès les premiers kilomètres de notre trajet. » Premier couac.

Et premiers doutes chez les principaux acteurs de l’élite. « C’est un mauvais signal envoyé dès la première journée, a regretté cette semaine Christophe Galtier, coach d’un LOSC qui affrontera Rennes samedi soir. On a été l’une des rares ligues d’Europe à avoir arrêté le championnat et on redémarre celui-ci avec déjà des matchs reportés. Le calendrier est compact, il y aura une incidence sur les résultats et sur les effectifs. » Une crainte partagée par Christian Gourcuff : « Je ne comprends pas tout sur les arrêts. Considérer quatre cas positifs comme un cluster, dans ces cas-là, on ferme le club et je ne pense pas que ce soit le cas à l’OM. Nous, on a eu jusqu’à huit cas échelonnés. On a dû adapter l’entraînement et la vie du club. » Personne ne comprend, tout le monde est inquiet et une question se pose : comment les clubs français gèrent ce bazar et les championnats vont-ils cette fois pouvoir aller au bout ?

Protocole et galères

Pour clarifier une situation à première vue ambiguë, la Ligue de football professionnel a envoyé, il y a quelques jours, un protocole sanitaire de 43 pages extrêmement rigoureux aux quarante clubs de Ligue 1 et Ligue 2. Dans les grandes lignes, celui-ci précise que l’ensemble des joueurs et du staff doit être testé 48 à 72 heures avant un match (via des tests PCR). Il est également stipulé qu’à partir de quatre joueurs ou membres du staff testés positifs au Covid-19 sur une durée de huit jours ou moins, le virus est considéré comme circulant au sein du club (la définition du cluster, N.D.L.R). Une commission Covid, créée spécialement et conduite par le médecin fédéral national, peut alors décider du report du match de l’équipe concernée – une grande différence avec le protocole UEFA qui permet de jouer à partir de treize joueurs valides -, comme cela a donc été le cas pour Marseille-Saint-Étienne.

Je trouve le report de Marseille-Saint-Étienne assez cohérent.

Alors, le football français s’est-il encore couvert de ridicule en se privant de son match d’ouverture ? Patrice L’Huillier, le médecin du FC Metz, n’est pas de cet avis : « Je trouve ce report assez cohérent. C’est un peu la problématique qu’on avait : savoir à partir de quel moment on pouvait reporter un match. On a eu une réponse, c’est à partir de quatre cas sur les huit jours précédents. Ça me semble cohérent pour préserver l’équité du championnat. Si une équipe a six, sept ou huit cas et joue quand même, ce n’est pas raisonnable. Ça va fausser le championnat. »

Sans aller jusqu’aux huit cas mentionnés par le docteur L’Huillier, la plupart des clubs professionnels ont recensé au moins un joueur positif au cours des dernières semaines (plus de 40 selon un décompte de l’AFP). Il suffit d’une contamination avérée pour qu’un véritable parcours du combattant débute. « Pendant la préparation, on a diagnostiqué des cas de Covid, ce qui implique l’identification des contacts, souffle le responsable médical d’un club de Ligue 1 habitué à jouer l’Europe. Tous les joueurs de l’équipe sont contact, puisqu’à l’entraînement et dans la pratique du jeu, il n’y a pas de distanciation ou de gestes barrières qui puissent être pratiqués. À ce moment-là, ça devient très compliqué. On doit isoler le cas positif, et individualiser le travail de tous ceux qui ont été contacts. On ne peut donc plus faire de football et de travail collectif, pendant au moins une semaine, en attendant le résultat de la PCR chez les contacts. Il faut s’assurer que celui-ci est négatif pour remettre les joueurs dans le collectif. » Une galère partagée par Auxerre, également touché par le virus la semaine dernière avec un cas positif . « On a tout de suite mis en place un protocole : on ne continue pas les entraînements, on arrête tout pendant 48 heures avant de retester tout l’effectif et le staff, révèle Stéphane Lettieri, le coordinateur santé du club bourguignon. Il ne se passe rien en attendant les résultats. Le joueur est mis en quatorzaine et les autres sont isolés chez eux pour éviter que le virus se propage dans l’effectif. » Un protocole certes lourd, mais plus que nécessaire pour endiguer la propagation du virus : « 48 heures, c’est énorme, mais face au virus il faut s’adapter. »

Vivre avec la crise

Au-delà de ce protocole qui fait débat, les clubs ont pu compter sur une donnée importante pour se préparer : le temps. Depuis cinq mois, chaque secteur a pu apprendre de la crise et s’inspirer des décisions prises à l’étranger.

 On bénéficie d’une meilleure visibilité grâce aux autres, ce qui va nous permettre de ne pas avancer dans la crainte et la peur, mais plutôt dans une certaine forme de cohérence et de confiance. 

« Pour le retour du championnat de France, on avance avec des données récupérées partout dans les autres pays, assure Stéphane Lettieri. On bénéficie d’une meilleure visibilité grâce aux autres, ce qui va nous permettre de ne pas avancer dans la crainte et la peur, mais plutôt dans une certaine forme de cohérence et de confiance. » À Auxerre, justement, l’équipe médicale a très rapidement compris qu’elle aurait besoin de renforts pour gérer cette crise. « On est accompagnés par une cellule parisienne avec laquelle on collabore et qui nous a beaucoup appris de son expérience en réanimation, explique le coordinateur santé de l’AJA. Depuis une semaine, on a retissé notre toile de contact pour rester proche de ce qui est demandé par la Ligue. Auxerre, c’est une ville de 20 000 habitants, on n’a pas de CHU, mais il faut juste aller au contact des professionnels de santé pour obtenir des réponses et de l’aide. »

Peu importe la division, les clubs ont aussi dû apprendre à vivre autrement. « Les salles de soins ont été réorganisées. Il y en a deux, au lieu d’une en temps normal. Il n’y a plus de salle de repos, plus de salle de réunion pour les joueurs, déroule le médecin d’un pensionnaire de Ligue 1. Les vestiaires ne sont pas encore ouverts. On a fait le choix d’attribuer une chambre pour chaque joueur. Quand il arrive, il se change dans la chambre et se douche là-bas, puisque les vestiaires ne sont plus adaptés pour accueillir tous les joueurs en même temps. » Un travail méticuleux et un enseignement : chaque acteur, sans exception, doit donc revoir sa façon de bosser au quotidien, à commencer par les entraîneurs et les présidents.

Il va falloir que tout le monde accepte les contraintes et que les clubs comprennent que des joueurs pourront parfois être sur le carreau.  

« Il va falloir que tout le monde accepte les contraintes et que les clubs comprennent que des joueurs pourront parfois être sur le carreau, glisse un autre médecin d’un club de l’élite. Le danger, c’est qu’ils n’acceptent pas bien ça et finissent par en jouer après des instances. À partir de trois cas, ça va les ennuyer. » Une réaction aux nombreuses interrogations posées par des entraîneurs inquiets ou des dirigeants préoccupés ces derniers jours. Entre Galtier qui espère que « tout le monde sera très transparent et honnête sur les résultats des tests » , et Jean-Pierre Caillot qui estime que les instances françaises « auraient dû se rapprocher des normes de l’UEFA » , chaque club veut donner son avis et manifester son anxiété. Mais pour Stéphane Lettieri, le plus important est ailleurs : « Dans le foot, que ce soit au niveau technico-tactique ou médical, c’est l’adaptation qui fera la différence. » Comprendre, il faut préparer rigoureusement cette saison spéciale plutôt que d’imaginer des scénarios catastrophes qui appartiennent pour le moment à la fiction.

Les joueurs dans un cocon

Une chose est sûre : le football n’est pas à plaindre. « À Metz, on fait un à deux tests par semaines, ça va dépendre du calendrier des matchs, pose Patrice L’Huillier. On peut quand même dire qu’on a le luxe de faire plus de choses que la majorité des entreprises : on se teste tout le temps, on fait attention et dès qu’il y a un cas, tout le monde le sait. Forcément, je serais plus tranquille sans ce virus mais on va réussir à gérer tout ça. »

 Le club a investi sur une préparatrice mentale pour qu’ils puissent faire le point sur leurs appréhensions et qu’ils puissent être accompagnés. 

Reste un point important à régler : qu’en disent les joueurs ? Difficile de le savoir réellement, tant le « thème Covid-19 » a semblé être tabou chez les différents protagonistes contactés. Certains ne veulent plus en parler dans les médias, d’autres ne veulent pas dire de bêtises, chacun a ses raisons légitimes. Les médecins, eux, sont tous unanimes sur une chose : les joueurs ont été chouchoutés et accompagnés depuis le début de la crise. « On sensibilise les joueurs tous les jours sur les gestes à adopter, on a mis plein de choses en place pour la prévention et pour les accompagner. Le club a investi sur une préparatrice mentale pour qu’ils puissent faire le point sur leurs appréhensions et qu’ils puissent être accompagnés face à cette problématique, dévoile Stéphane Lettieri au moment d’évoquer la situation à Auxerre. Quand vous avez une personne spécialisée dans l’orientation psychologique et mentale, c’est une aide considérable pour le joueur pour qu’il puisse être performant. »

Performant oui, mais aussi rassuré. « Les joueurs ont eu une période avec plein de questionnement, mais ils ont de moins en moins d’interrogations, affirme le Grenat Patrice L’Huillier. Ils ont la tête dans le guidon, ils pensent au foot et ils savent qu’on fait attention. Je ne les sens pas plus inquiets que ça. »

 Je ne sens pas les joueurs plus inquiets que ça. Ils pensent au foot. 

L’inquiétude principale réside finalement dans le fait « d’être isolé » ou de « ne pas pouvoir s’entraîner » note un doc exerçant en Ligue 1. Comme si la peur généralisée de la reprise au mois d’avril – près de trois joueurs sur quatre avaient exprimé des craintes lors d’une consultation menée par leur syndicat, l’UNFP – n’était qu’un lointain souvenir. « Je ne suis pas sûr qu’il y ait eu tant de monde que ça qui ne voulait pas reprendre en avril, tempère un autre médecin. Je pense surtout que ceux qui ne voulaient pas reprendre ont reçu un plus fort écho médiatique. » Un gros trimestre plus tard, personne ne s’est en tout cas exprimé contre un retour de la compétition, malgré un contexte sanitaire toujours aussi délicat.

Et maintenant ?

Il reste cette question en suspens : quel avenir pour nos championnats en cas de deuxième vague aussi brutale que la première à l’automne ? « Je ne peux pas me mettre à la place des voyants de ce monde, balaie Stéphane Lettieri. Face à une telle pandémie, il est très difficile de se projeter dans un avenir à moyen terme. À très court terme, je dirais même que l’ensemble du foot français est surtout ravi de pouvoir reprendre une activité quasi-normale. » Pour le retour à la normale, la vraie, il faudra attendre, la saison risquant clairement d’être chamboulée par de multiples reports chaque semaine. « On n’a pas d’autre moyen, à l’heure actuelle, que de faire un test 48 heures avant un match pour s’assurer que les joueurs sont négatifs. Le risque zéro n’existe pas, assume le médecin d’un club professionnel. On peut imaginer que si l’apparition de cas dans un effectif se répètent quatre ou cinq fois dans l’année, ça va être très compliqué à gérer. Et ça va se répéter obligatoirement, puisque le virus circule ! Tout ça ne permet pas de travailler de façon sereine. » Une note pessimiste modérée par Patrice L’Huillier du FC Metz : « Le risque existe peut-être, mais tout est fait pour le minimiser. Les recommandations sanitaires sont lourdes mais c’est justement pour éviter que le championnat s’arrête. » Cela tombe bien, personne n’a envie de revivre le grand chambardement du printemps.

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Par Félix Barbé et Clément Gavard

Tous propos recueillis par FB, SB et CG, sauf mentions.

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