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Liban : « À une heure près, je perdais l’ensemble de mes collègues »

Propos recueillis par Chad Akoum
6 minutes
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Premier partenaire historique de l'OL à l'international depuis 2011, le club libanais de l'Athletico SC, situé juste à proximité du port de Beyrouth, a subi de plein fouet l'explosion du mardi 4 août. Stéphane D'Urbano, directeur technique de l'Académie de l'Athletico, se livre à cœur ouvert.

Quelques jours après la catastrophe, le Liban est toujours sous le choc.On n’en revient toujours pas… (il soupire). Mon président a une entreprise de transports, dont les locaux sont situés au port même. Dans cette entreprise, des bâtiments qui concentrent tout le secteur administratif appartiennent à l’Athletico. Tous les jours, on a des gens qui se rendent dans ces locaux dont moi. Pour remettre les faits dans le contexte, le port ferme ses portes à cinq heures du matin et l’explosion a eu lieu à six heures… À une heure près, je perds tous mes collègues ce jour-là. Ça s’est vraiment joué à un fil… Moi, j’étais avec mon boss qui avait eu la bonne idée de quitter le boulot un peu plus tôt. On faisait un tennis, à 4/5 kilomètres de là. On a soudainement entendu une première explosion et nous avons naturellement sursauté, bien que mon patron a l’habitude d’entendre des détonations puisqu’il a vécu au Liban en temps de guerre. Mais là… Dans les cinq-dix secondes qui ont suivi, l’onde de choc est arrivée et a pulvérisé toutes les vitres autour de nous. Le bruit et le choc de l’impact ont été extraordinairement violents.

Des coachs n’ont littéralement plus rien : plus d’habitation, plus de voiture…

Est-ce que tu arrives à réaliser ce qu’il s’est passé ?C’est toujours très compliqué mais moi, je me considère plus comme un privilégié qu’autre chose. J’habite un peu plus loin, j’étais assez distant de la situation et je n’ai rien perdu. En revanche, pour mes collègues, c’est une autre histoire. Il y en a qui ont vu leur maison pulvérisée, d’autres ont perdu des membres de leur famille…

Est-ce qu’il y a des victimes à déplorer, au sein du club ?On touche du bois mais pour l’instant, je n’ai pas eu d’écho allant dans ce sens. En revanche, indirectement, il y a beaucoup de victimes. Des coachs n’ont littéralement plus rien : plus d’habitation, plus de voiture… Ils sont seuls face à la rue. C’était déjà très compliqué avec la situation économique, les salaires étant divisés par sept. C’est pour ça que je prends beaucoup de recul, pour distinguer mon cas personnel. Quand je vois l’horreur que subissent certains de amis libanais, je ne peux pas me plaindre.

Je voulais partir depuis un moment à l’étranger, pour vivre une nouvelle expérience.

Face à l’absence de réaction de la classe politique libanaise, des citoyens s’organisent au fil du temps afin d’accueillir des personnes sans domicile. Le Liban tient, coûte que coûte, à sortir la tête de l’eau… C’est là qu’on voit que ce peuple est extraordinaire : après avoir subi les guerres et le Covid-19 ou encore la crise économique, les Libanais font preuve d’un mental exceptionnel. Ils sont tombés à genoux, mais n’ont jamais baissé les yeux. Cet élan de solidarité doit être une source d’inspiration pour d’autres pays.

Depuis combien de temps es-tu installé au Liban ?Ça va faire un peu plus de trois ans maintenant, c’est l’Olympique Lyonnais qui m’a amené à m’y installer. Auparavant, j’étais entraîneur dans la région lyonnaise de Villefranche-sur-Saône. J’y ai entraîné l’équipe de CFA pendant trois ans. Je connaissais déjà très bien les dirigeants de l’OL dont le directeur technique, Jean-François Vulliez. Je voulais partir depuis un moment à l’étranger, pour vivre une nouvelle expérience. Je devais initialement partir en Chine, mais c’était avant de recevoir un coup de fil de Jean-François qui m’avait demandé si j’étais partant pour rencontrer des dirigeants libanais. Les discussions ont été très rapides, on s’est mis d’accord en deux jours et je partais une semaine après. Ça a été la première fois de ma vie que je signais un contrat aussi rapidement (il rigole).

Avec un cahier des charges de même pas deux ans, on peut déjà être fier de l’ensemble du travail accompli.

Tu as donc été bercé depuis tout petit par l’OL, de près ou de loin ?Oui, je suis un Lyonnais pur et dur et je supporte l’OL depuis tout petit mais je n’ai encore jamais travaillé avec le club rhodanien directement. C’est sûr qu’à force d’entraîner et de jouer à Villefranche-sur-Saône ou dans des clubs locaux comme Chasselay où j’ai eu la chance de côtoyer des Giuly ou des Sidney Govou, c’est inspirant. On apprend énormément avec eux, et ils te donnent l’envie de respecter ou de supporter l’OL.

Il n’y a absolument rien qui va, en cette année 2020.

Comment s’est déroulée ton arrivée au Liban, et quels contrastes peux-tu faire avec la France sportivement parlant ? Les premiers mois ont été faciles, mais c’était un peu plus compliqué pour les dirigeants qui m’accompagnaient dans le sens où on a tout de suite été confronté aux règles du travail. Des règles qui sont basiques en France, mais pas au Liban. On a dû aller au combat pendant ces premiers mois, mais j’ai toujours eu d’excellentes relations avec mes collègues et mes supérieurs. Je suis arrivé en mettant des programmations annuelles par âge : tous les lundis par exemple, 30 entraîneurs étaient avec moi deux heures par soir pour me faire une formation. Au début, les salariés libanais ne comprenaient pas pourquoi j’instaurais autant de règles strictes. Mais avec le temps, ils ont pris l’habitude ! Ces règles ont d’ailleurs porté leurs fruits, puisqu’on est en tête au classement des meilleurs centres de formation du pays pour la deuxième année consécutive. Avec un cahier des charges de même pas deux ans, on peut déjà être fier de l’ensemble du travail accompli. Je dirais même que depuis que l’OL a un directeur sportif vraiment proche du club, ça nous a facilité le travail au quotidien, notamment dans nos échanges.

Entre la crise sanitaire, la crise financière ou encore le soulèvement populaire, la saison de l’Athletico SC n’a pas dû être toute rose…Ah, ça… Sans compter qu’en septembre dernier, le Liban a dû faire face à d’effroyables feux de forêt qui ont ravagé une bonne partie de la faune et de la flore locales. La livre libanaise a en plus perdu plus de 80% de sa valeur, ce qui a contraint à diviser les salaires pour certains cadres. Nous sommes victimes d’une grosse inflation, les prix des produits de première nécessité ont explosé. Il n’y a absolument rien qui va, en cette année 2020. À l’Athletico, on a décidé de faire des efforts importants sur nos salaires pour que le club survive un minimum. Ces difficultés ont forcément engendré des départs de joueurs. Pour contrer cela, on a mis en place un système de sponsoring pour aider les joueurs les plus démunis mais les sommes étaient inégalement réparties. Le club a fait l’énorme effort de payer le salaire des éducateurs à 50-60%, mais je ne sais pas si cela peut tenir sur le long terme. Mais ce qui est bluffant, c’est que la population libanaise est déjà dans l’après. Les gens font preuve de tellement d’enthousiasme, c’est incroyable.

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Propos recueillis par Chad Akoum

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