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LFP La Chaine : les dirigeants n’apprennent donc jamais de leurs erreurs ?
Ils ont recommencé. Alors qu’il ne reste qu’une seule journée de championnat, que l’Euro et les grandes vacances approchent à grands pas, la LFP n’a, pour l’instant, aucun diffuseur pour la saison prochaine. Face au péril qui guette, les dirigeants seraient prêts à lancer leur propre chaîne, contre Canal ou beIN. Se dirigerait-on vers un Mediapro-bis ?
On pensait que l’épisode Mediapro-Téléfoot allait marquer à tout jamais les consciences des dirigeants du foot français, qu’ils ne recommenceront jamais une telle erreur, qu’ils reconstruiraient des budgets stables, pérennes, indépendants, rigoureux et alertes, qu’ils prendraient des décisions de façon raisonnée, construite, pragmatique et rationnelle. Et pourtant… Après la disparition de Téléfoot, incapable d’engendrer la moindre lucrativité avec son modèle économique bancal – 25€ par mois dans un marché médiatique hyper-concurrentiel – et son fonctionnement douteux – une chaîne de télévision continue pas disponible sur tout le territoire et toutes les box – la LFP va suivre le même chemin.
Et ça recommence…
Alors que les lots de diffusion n’ont trouvé aucun repreneur, que le saucissonnage de la Ligue 1 n’a intéressé aucun diffuseur digne de ce nom, que les nouveaux acteurs comme Amazon ou DAZN ont semblé très frileux, il ne resterait qu’un espoir : la création d’une chaîne monothématique LFP. C’est donc vers cela que nous nous dirigeons, si l’on en croit les informations du quotidien L’Équipe. En détail, puisque personne ne veut diffuser du foot français, jugé peu rentable et peu attractif, cette chaîne serait produite à peu de frais, environ 56 millions d’euros par an, tournerait essentiellement le soir, à partir de 18h, jusqu’à minuit, toute la semaine, et couterait 11€ par mois. Concernant ses droits, elle disposerait de 80% des matchs de Ligue 1 et toutes les rencontres de Ligue 2.
La LFP, contrairement à Téléfoot la chaîne, espérerait trouver des accords de diffusion avec toutes les box et tous les opérateurs, en fixant des prix d’entrée très attractifs. Ainsi, avec Canal+ qui, désireux de construire une chaîne Premium, conserverait les affiches premium, avec le choix du match 1 et du match 3, pour 380 millions d’euros par an, la chaîne LFP devrait comptabiliser au moins 1,9 million d’abonnés pour espérer assurer une valorisation des championnats à 700 millions d’euros, objectif minime fixé par la Ligue.
Mais ouvrez les yeux, dirigeants du football français !
Voilà, on a l’impression d’être revenu à juin 2020, quand on annonçait l’arrivée de Téléfoot en grande pompe. On va voir débarquer une nouvelle chaîne sur le marché français et on va devoir rajouter, à nos abonnements déjà onéreux de Canal+, beIN Sport, RMC Sport, Eurosport, Netflix, Amazon, Disney+, l’abonnement à la chaîne LFP. Et la survie du foot français passe par ce nouveau média. Bravo, n’est-ce pas ?
Mais quand est-ce que les dirigeants comprendront que les Français en ont marre de payer ? Qu’ils ne raisonnent plus comme dans les années 1990, où l’objet télévisuel était unique et primordial, qu’ils peuvent se tourner vers des centaines d’alternatives gratuites ? Qu’ils veulent de la flexibilité et de l’attractivité, de l’accessibilité et de l’intérêt ? Pourquoi rester sur cette logique de chaîne continue alors que tout le monde peut aller, la semaine, regarder gratuitement des émissions sur la chaîne L’Équipe, écouter gratuitement des podcasts, de RMC ou de RTL, aller sur Twitch voir des streams d’analyse footballistique, sur Youtube ou ailleurs ? Pourquoi n’ont-ils pas compris que les abonnements continus sur une année sont illogiques et anachroniques à l’heure du web et des plateformes 2.0 ? Que les gens voudraient bien pouvoir piocher librement telle ou telle rencontre, récupérer telle affiche et renoncer à une autre ? Que payer pour des programmes la semaine est ubuesque et inintelligible ? Que multiplier les diffusions, les chaînes, les abonnements fait fuir les fans, les abonnés, les téléspectateurs ? Alors oui, on s’inquiète et on panique du désintérêt croissant des jeunes pour le foot, mais les dirigeants du football y ont tellement contribué.
Ils n’ont rien changé
Il aurait fallu profiter de ce moment de chienlit pour révolutionner la gouvernance, changer de paradigme, bouleverser la philosophie, sortir de la télédépendance en admettant que la maximisation des droits n’était plus une fin en soi, partir en reconquête. Prendre le risque d’imposer des diffusions gratuites, comme l’a fait la Formule 1, histoire de reconstruire une base-fan solide, favoriser des diffusions couplées sur le web et les médias mainstream, ouvrir les droits de diffusion aux réseaux sociaux, quitte à rabaisser la valeur des droits, repartir à la bataille en quelque sorte. Là, avec cette chaîne LFP, on a l’impression d’un nivellement vers le bas, d’un retour à l’ancienne, d’une incompréhension générationnelle, d’une incapacité à entendre les critiques et les appels des supporters, de rester positionner sur une logique vieille de 20 ans.
Et que se passera-t-il si ce projet échoue ? Parce que disons-le franchement, qui croit qu’une chaîne à 11€ par mois avec 80% de la Ligue 1 et 100% de la Ligue 2 fonctionnera et atteindra les 1,9 million d’abonnés minimum ? Si ça ne marche pas, on fait quoi ? On coule le football français ? On recommence ? On fait comme on a toujours fait ? Nous avions une occasion unique de tout révolutionner, de s’adapter au XXIe siècle et d’avancer, d’être innovant et novateur, d’être les marqueurs du progrès. Et là, on a juste l’impression que, face à la peur du changement, les dirigeants se sont enfoncé la tête dans le sable…
Par Pierre Rondeau