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Les maux croisés de Shabani
Ce n'était pas le plus populaire, pas le plus médiatique, mais certainement l'un des plus romantiques. Comme une bombe sur le début de siècle. C'était la France qui embrassait les années 2000 par l'Europe, c'était le Monaco de Deschamps. C'était aussi Shabani Nonda jusqu'à un soir d'août 2003.
Rien n’est plus beau. C’est un carré fin, une forme parfaite. Devant son tableau blanc où sont dessinées des flèches de couleur, Didier Deschamps est clair : il faut y croire. Croire que tout est possible, qu’ils peuvent aussi écrire leur histoire. Face à lui, des héros. Derrière eux, des rêveurs. Longtemps, on a cherché à se réveiller, et la gifle ne fut que plus violente. Un soir de mai 2004, à Gelsenkirchen, sur une danse de Mourinho et de son FC Porto magnifié. Cette génération était un roman. Une histoire entre un guide et ses serviteurs. Deschamps avait du gel dans les cheveux, Dado Pršo une queue de cheval. Giuly était une mobylette, Rothen un serveur de plaisir. Évra un bouffeur d’ailes, Zikos et Bernardi des croqueurs d’espaces. C’était le foot français qui avait le sourire, qui sortait le Real de Zidane sur des volées et qui offrait des fantasmes. La fin de ce Monaco-là reste tragique. Tragique mais romantique. Car jamais ne seront effacées les larmes de Giuly du 26 mai 2004. Où la blessure terminera le rêve. Comme il avait commencé un peu plus de neuf mois plus tôt. Dans les cris, déjà.
La cravate de Svara, le cri de Nonda
C’était un buffle, meilleur buteur du championnat précédent et distributeur de sourires. Le Parc est beau, encore. Nous sommes le 24 août 2003. La routine de la Ligue 1 n’a repris que depuis quelques semaines, mais Monaco n’a pas changé. Toujours aussi confiant, toujours aussi beau. Ce soir-là, dans l’enfer du Parc et dans le coin de sa tribune Francis Borelli, un homme est heureux. Le président monégasque, Pierre Svara, vient de desserrer sa cravate pour la lancer dans le parcage visiteur. L’ASM vient de s’imposer 4-2 et bombe son torse à la gueule de la France du foot. On rit, mais loin de là, on pleure. Car les recherches ont déjà commencé. Le temps presse, le mercato ferme dans six jours, et une cible est activement recherchée depuis plus d’une heure maintenant. On passe les noms, celui de Giovane Élber est évoqué. Monaco a besoin d’un buteur. La Ligue des champions va bientôt commencer et Pršo ne peut porter le costume tout seul toute la saison. Ce sera finalement Fernando Morientes, sa chevelure et son extension qui permettront à Monaco de faire tomber Madrid quelques mois plus tard.
Reste que Morientes n’aurait jamais dû être sur le Rocher. Car José-Karl Pierre-Fanfan n’aurait jamais dû blesser Shabani Nonda ce 24 août 2003 sur la pelouse du Parc. Les deux hommes étaient amis, avant tout, mais adversaires d’un soir par le destin du sport. On ne jouait que depuis cinq minutes quand l’ouragan est passé. D’un coup, sec. Nonda, lui, lève la main et hurle. « Sur le coup, on a pensé que sa carrière était terminée, se souvient Jérôme Rothen. On a vite compris que ce n’était pas bon. J’étais dans le rond central, juste à côté, et les images sont longtemps restées. » Le verdict est net : la rotule du buteur congolais est déplacée et l’ensemble des ligaments de son genou gauche est rompu. Le club annonce dans le même temps que la saison de son attaquant est terminée. On pense qu’on ne reverra plus jamais le beau Nonda courir derrière un ballon. L’ASM commence sa saison sur une blessure et la conclura sur une blessure. Le cycle de la vie, le cycle des plaisirs.
Le dalleux romantique
Mais le foot aime les histoires. Belles, de préférence. Sur sa victoire impressionnante au Parc, Monaco va construire les bases de son succès. Du jeu, des buts et des sourires, surtout. Il faut imaginer Patrice Évra imiter De Niro avant le match contre Chelsea ou revoir Dado, sa couette et ses bisous au public. Alors le 20 avril 2004, Monaco a battu les Blues à domicile en demi-finale de la Ligue des champions. 3-1. Personne ne l’imaginait là, mais à sept minutes de la fin, Nonda a posé son survêtement. Plus tôt que prévu, proche des yeux et du cœur. Car sur son premier ballon, Shabani s’est jeté pour inscrire le troisième but. Comme un dalleux, mais un dalleux romantique. Shabani Nonda était comme ça, et on l’aimait pour ça. Rothen : « Je pense, sincèrement, qu’il fait partie des plus grands attaquants avec qui j’ai joué pendant ma carrière. Dans le vestiaire, ce n’était pas une grande gueule, mais plutôt le joueur posé, l’expérience. Didier Deschamps en avait fait son leader offensif pour ça. » Ce Monaco était construit pour lui et il a dû vivre sans lui. Mais le souvenir reste, les images aussi. Nonda est éternel, ce Monaco aussi.
Par Maxime Brigand