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Les Iraniennes au stade de la révolte
Habituellement interdites de stade, les Iraniennes pourront assister à une rencontre à domicile face au Cambodge le 10 octobre prochain. Une avancée permise par la pression populaire et celle de la FIFA. Mais qui ne sera bénéfique que si elle est suivie d’une réelle évolution.
Une promesse après le drame. En visite à Téhéran, le président de la FIFA, Gianni Infantino, s’est montré optimiste à son retour à Milan pour une conférence de presse sur le football féminin. Les dirigeants iraniens lui ont assuré que les femmes auront le droit d’assister au prochain match de la sélection nationale (Iran-Cambodge le 10 octobre). Une avancée pour ce pays qui interdit habituellement à ses supportrices de se rendre dans les stades. Il faut dire que la pression s’est accentuée sur la République islamique d’Iran depuis que Sahar Khodayari, surnommée « the blue girl » , s’est donné la mort le 9 septembre dernier. La jeune femme s’était immolée par le feu devant le tribunal de Téhéran, après avoir appris qu’elle risquait entre six semaines et deux ans de prison. Son crime ? Six mois auparavant, elle s’était déguisée en homme pour pénétrer dans un stade et soutenir son équipe préférée, l’Esteghlal Téhéran Football Club.
« Nous devons faire pression avec respect, mais avec force, nous ne pouvons plus attendre » , a martelé le président de la FIFA. Une prise de position radicale dans la lignée de sa lettre envoyée cet été à Mehdi Taj, le président de la Fédération iranienne, l’exhortant à présenter des « avancées concrètes » pour résoudre le problème. Une demande qui va aussi dans le sens de la pression populaire. La campagne #NoBan4Women inonde les réseaux sociaux et les pétitions aux milliers de signatures se succèdent. Car la question n’intéresse pas que les femmes. Le capitaine de la sélection, Masoud Shojaei, a demandé au président Hassan Rohani de faire évoluer la situation. C’était en juin 2017. La preuve que malgré l’optimisme des uns et la pression des autres, le changement ne se fait qu’en douceur.
Femmes hors jeu
Cela fait quarante ans que les femmes sont interdites de stade en Iran. Depuis la révolution islamique, en 1979. « La volonté de l’époque est de rabattre la gent féminine dans la sphère privée et de la maintenir à ce niveau » , éclaire Amélie Chelly, sociologue spécialiste du monde iranien. Il faut attendre les années 2000 pour voir la parole féminine se libérer. Les Iraniennes investissent la politique, comme lors des dernières élections communales, mais aussi les tribunes. Une œuvre cinématographique marque un tournant : le film Offside de Jafar Panahi, sorti en 2006. Le cinéaste iranien raconte l’histoire d’Iraniennes qui se déguisent en hommes pour assister à un match de football. Un scénario inspiré d’une mésaventure de sa propre fille, qui s’était vu interdire l’accès au stade lors d’une rencontre. « Le film a eu un très gros retentissement au sein de la diaspora iranienne » , analyse Amélie Chelly. En Iran aussi, selon Jafar Panahi. « C’est probablement le film que les gens ont le plus vu » , avance le cinéaste iranien. Tournée là-bas, l’œuvre y est pourtant interdite au cinéma, mais se propage via des circuits clandestins.
Comme souvent, la résistance s’organise sur les réseaux sociaux. Selon Amélie Chelly, c’est la meilleure solution pour titiller la République islamique. « Les forces de l’ordre se fichent des actes isolés de désobéissance. Ils en rigolent même, reconnaît la spécialiste de l’Iran. En revanche, si je décide de lancer un mouvement avec un hashtag qui devient une déferlante sociale, rendue publique à l’échelle internationale, la République islamique a peur de perdre la face. » Et le mouvement n’est pas lancé par n’importe qui : Maryam Shojaei, la sœur de Massoud. La jeune femme a parcouru le monde pour suivre son pays à l’extérieur et faire entendre ses revendications dans les tribunes à travers des pancartes. « Je suis allée à la Coupe du monde au Brésil en 2014 et j’ai vu beaucoup de femmes qui supportaient l’Iran, retrace la militante. C’est là que je me suis dit que je devais faire quelque chose. » Elle enchaîne alors les lettres adressées à la FIFA. Dans le vide, souvent. « L’année dernière, j’ai transmis à Fatma Samoura (secrétaire générale de la FIFA, N.D.L.R.) une pétition avec 300 000 signatures, raconte-t-elle. La FIFA a mis du temps à agir, j’aurais aimé qu’elle prenne position plus tôt. Notre « blue girl » aurait peut-être été sauvée. »
Insultes et corps à demi nus
Maryam Shojaei reste optimiste pour la suite. « Désormais, soit l’Iran évolue, soit la fédé sera sanctionnée » , espère-t-elle. Pourtant, chaque avancée s’accompagne souvent d’un pas en arrière. Ce n’est pas la première fois que la République islamique d’Iran promet d’ouvrir le stade aux femmes. En juin 2018, les femmes étaient autorisées à pénétrer dans les stades où étaient retransmis sur écran géant les matchs de la Coupe du monde. Quatre mois plus tard, elles avaient pu assister au match amical Iran-Bolivie (2-1). De quoi provoquer la colère de Mohammad Jafar Montazéri, procureur général iranien, au lendemain de la rencontre. Le message était clair : « Nous nous occuperons de tout responsable cherchant à autoriser la présence de femmes dans les stades. Qu’une femme aille au stade et se retrouve face à des hommes à demi nus dans des habits de sport, cela conduira au péché. » Et en plus de protéger leur vue, il faut aussi prendre soin de leur ouïe. « Une raison souvent citée pour justifier les interdictions de stade est que les conservateurs veulent éviter aux femmes d’entendre un langage ordurier de la part des hommes, histoire que leurs oreilles restent chastes » , complète Amélie Chelly.
Le sujet s’invite alors sur le terrain de la politique iranienne. Les représentants les plus modérés appellent à faire évoluer les mœurs. Jusqu’au président Rohani qui a donné son feu vert pour faire entrer les femmes dans les stades. « Cette lutte est parfois instrumentalisée par les modérés pour décrédibiliser les opposants conservateurs » , nuance la sociologue. La mixité était d’ailleurs promue lors des dernières élections présidentielles. Les caméras officielles s’appliquaient à filmer les femmes dans les stades, assises à côté d’hommes, mais pour assister à des meetings politiques. Le 10 octobre prochain, elles seront bien dans une tribune séparée de la gent masculine et devront passer par une entrée différente des hommes, à l’écart. Une nouvelle occasion de compliquer les choses pour les autorités réticentes. « Certains stades de clubs ne sont pas adaptés pour avoir différentes entrées bien séparées » , explique Maryam Shojaei. Car après les matchs internationaux, il faudra s’attaquer aux rencontres à l’échelle nationale. En espérant des actes avant le drame cette fois-ci.
Par Robin Richardot
Propos d'Amélie Chelly et Maryam Shojaei recueillis par RR