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« Les gens qui passent au PSG ont du mal à rebondir »
Joueur, Laurent Fournier a disputé trois finales de Coupe d'Europe avec un club français. Un record. Comme entraîneur, il a réussi l'exploit d'être viré alors qu'il était à deux points d'une place en Ligue des champions. Entretien avec un technicien qui replongerait bien, mais n'est pas prêt « à lécher ou sucer pour un poste ».
Tu as été formé à l’Olympique lyonnais, la der à Gerland, cela t’a fait quoi ?C’est là que j’ai commencé, c’est là aussi où je suis allé voir mon premier match, un Lyon-Mönchengladbach avec Bonhof et la grosse équipe de Mönchengladbach de l’époque. C’est dommage qu’ils aient terminé sur une défaite, mais ils ont des soucis offensifs, ils ne savent pas concrétiser leurs occasions comme à Nice où ils peuvent marquer deux fois avant de s’en prendre trois. C’est une équipe aussi qui manque de caractère, je crois. Contre St-Étienne, ils ont fait le match de leur vie, car c’était un derby, mais après, tu as l’impression qu’ils n’arrivent pas à se surpasser dans certaines occasions. Je ne sais pas si un truc s’est cassé avec l’entraîneur, mais les jeunes qui ont resigné, ils sont devant ce qu’il y a de plus dur : confirmer. J’ai connu ça à leur âge. Quand tu es insouciant, c’est génial. Mais dès qu’on attend beaucoup de toi et que cela ne vient pas, c’est compliqué pour être performant.
Quelles sont tes activités aujourd’hui ?Je bosse pour Canal, sur Infosport et Canal Plus Sport pour la Youth League, je fais aussi D8 et D17 pour les matchs retransmis en différé. C’est le même groupe. J’interviens chez Vincent Guérin Sport, avec Le Sens du jeu, et depuis 2-3 ans, j’ai monté mes propres stages en partenariat avec des clubs amateurs. On permet à ces clubs amateurs de gagner de l’argent et des équipements. Ils n’ont pas de chasubles, de plots… On fait payer le stage et on partage la marge avec les clubs. Je m’occupe de l’entraînement, je fais venir des intervenants comme Amara Simba.
Envie de replonger comme entraîneur ou tu préfères cette approche du foot avec ces gamins ?Pour le moment, cela m’intéresse, puis pour retrouver le haut niveau, c’est compliqué, faut être copain avec beaucoup de monde. Moi je n’aime pas lécher ou sucer pour un poste, cela ne m’intéresse pas. Je préfère me démerder tout seul, être fidèle à mes principes.
Dans tes deux dernières expériences sur un banc, cela s’est mal passé, surtout à Auxerre, on a le sentiment que tu as souffert d’un gros choc générationnel…Je comprenais les plus vieux, pas les plus jeunes. Cela a bien marché au début, mais les revalorisations de certains leur sont montées à la tête. J’avais le sentiment là-bas que l’objectif de certains était de signer un bon contrat et basta. J’aimais bien le club, les gens, mais je suis tombé sur des tarés au niveau des joueurs. Il y en a un qui m’a donné 50 euros et m’a dit : « Tenez coach, c’est pour mes futures amendes. » Quand vous n’avez pas beaucoup de joueurs, ou que vous n’êtes pas soutenu au-dessus… À part Gérard Bourgoin, je ne me sentais pas soutenu par les Guy Roux… En fait c’était un conseil d’administration où il y avait une cinquantaine de personnes âgées qui voulaient rester dans leur truc. Pour moi, le foot consiste à faire partager. J’ai beaucoup de respect pour Guy Roux par rapport à ce qu’il a fait comme entraîneur. Quand je le laisse rentrer dans le vestiaire en début de saison parce qu’il a mal au genou et se fait soigner, je pense qu’il va m’aider. En fait, cela ne s’est pas passé comme ça. Tout ceux qui ont réussi à Auxerre ne lui ont pas permis de rentrer dans le vestiaire. Moi, je pensais qu’il pouvait m’apporter. Quand on a vécu ce qu’il a vécu comme entraîneur, je me dis qu’il va partager son expérience. Mais en fait, par derrière, il te fracasse.
Dans ta carrière d’entraîneur, les fois où tu étais bien en place, à Créteil ou Strasbourg, tu ne restes pas…Pour Créteil, c’est vrai. Je finis quatrième derrière Bastia, Guingamp et Amiens, la deuxième derrière Évian et d’autres. Je suis parti de moi-même, c’est vrai. En revanche, à Strasbourg, je ne voulais pas partir. Le club a déposé le bilan, c’est à cause de cela que je suis parti. On a fini quatrièmes, on a raté la montée dans une Ligue 2 à 21 clubs. J’y serais resté, j’adorais, le club comme la ville. Créteil, c’était un peu plus compliqué, car il fallait reconstruire chaque année. Avec du recul, j’ai envie de revenir. Aussi à cause de tous les matchs que je regarde quand je bosse avec Canal. Je ne me sens pas plus con qu’un autre. On a des méthodes, elles marchent dans un club et pas dans d’autres. Par exemple, au PSG, cela avait marché. Quand j’ai pris le club, il était presque sur la relégation, puis on a terminé 7e. La seconde saison, on est à deux points de la Ligue des champions à la trêve et je me fais virer. On peut se faire virer quand on a des résultats. Parfois, les gens ne vous laissent pas le temps.
Bizarrement, ton bilan à Paris est plutôt bon, mais tu n’as jamais eu d’opportunité de niveau égal depuis…Ben non parce que tous les gens qui passent par le PSG ont du mal à rebondir. On l’a vu avec Vahid Halilhodžić, on l’a vu avec Paul Le Guen, on l’a vu avec Guy Lacombe… Quand vous êtes dans un club comme Paris, il y a beaucoup de pression, mais vous avez aussi de bons joueurs, de bons mecs. Pauleta, Letizi, Rozehnal, Yepes et tant d’autres… Ce sont des stars et des pros, donc cela me semble plus facile.
Ton départ de Paris, c’est aussi un contentieux avec le président Blayau par rapport à l’utilisation de Jérôme Rothen…Le jour du match contre Rennes (celui à la suite duquel son éviction est annoncée, ndlr), tout le monde pense que je vais faire jouer Cristian Rodríguez. C’était l’une des recrues de l’été, et le président voulait que je le fasse jouer. Mais je ne voulais pas sortir Jérôme Rothen qui avait été bon avant. Sur ce match, il fait une passe décisive, on gagne 2-0, et le lendemain dans Le Parisien, le président Blayau dit qu’il n’est pas content de moi, que je n’avais pas fait le maximum par rapport à Lyon. Sauf que Lyon est intouchable à cette époque. J’ai appris mon départ alors que j’étais parti en vacances à Saint-Pétersbourg. J’ai lu l’article en montant dans l’avion, c’était marqué que j’étais viré. Au moins, le journal était gratuit, je n’ai pas payé pour apprendre mon licenciement (rires).
Les plus jeunes ne le savent pas, mais en tant que joueur, tu es le seul Français à avoir disputé trois finales de Coupes d’Europe avec un club français. Tu en gardes quels souvenirs ?J’ai énormément appris à Marseille. Quand on s’entraîne avec Waddle, Casoni, Papin, Stojković ou Cantona, vous êtes obligé de vous mettre au niveau. J’arrivais de Saint-Étienne, j’avais 24 ans. Je débarquais chez les champions de France, une équipe qui avait failli atteindre la finale de Coupe d’Europe… En plus coaché par Beckenbauer, Gili, Goethals. Paris, c’était différent, là notre rôle, c’était d’arriver à concurrencer l’OM, on était un groupe exceptionnel. Dans ces clubs, j’ai participé à des choses géniales.
Quels entraîneurs t’ont inspiré ?Ils m’ont tous appris quelque chose. Raymond Goethals m’appelait « chose » au départ. Mais je suis fier de l’avoir fait changer d’avis : il m’a ensuite appelé « Fournier » , puis « Laurent » , puis « Lolo » , c’est qu’il y avait une évolution et qu’à la fin, il me respectait. Je n’étais pas le genre de joueurs à demander pourquoi je ne jouais pas, mais plutôt à me tenir prêt au cas où on fasse appel à moi. Je n’avais pas de problème à aller jouer avec la réserve en troisième division. J’y ai côtoyé Boghossian et Libbra… Cela ne me déplaisait pas, car cela me permettait de jouer. Et lorsqu’on a eu besoin de moi face au Milan AC, j’étais prêt. C’est là que Goethals a commencé à me considérer.
Parmi les épopées européennes que tu as vécues, quels sont les matchs qui t’ont le plus marqué ?Je dirais la finale de Coupe des coupes contre le Rapid de Vienne et celle perdue contre le FC Barcelone. Les gens ont dit « ce n’est que le Rapid de Vienne » , mais avant, on bat La Corogne de Bebeto, Parme de Stoïchkov et on s’impose 3-0 à Glasgow contre le Celtic. Je me souviens du Milan AC en 1991 avec Marseille, parce que c’était Van Basten, Gullit, Rijkaard en face. À l’époque, on n’avait le droit qu’à trois étrangers, donc c’était de vraies formations françaises qui obtenaient de bons résultats. C’était de la formation française, une superbe récompense pour les éducateurs. J’aimerais bien qu’un jour, un club français remporte une nouvelle Coupe d’Europe avec des joueurs français dans son équipe.
Selon toi, qu’est-ce qu’il manque aux clubs français sur la scène européenne ces dernières années ?L’expérience. Quand vous voyez Lyon partir en Ligue des champions avec des joueurs à 50 matchs de Ligue 1 dans les jambes… Nous, on a gagné une Coupe des coupes en 1996 avec des joueurs qui avaient disputé une cinquantaine de matchs européens. Pas forcément des mecs avec beaucoup de sélections, mais qui avaient côtoyé leur sélection. Forcément, on apprend des choses à travers ces expériences.
Avec Paris, tu as connu deux déconvenues européennes : un 6-1 à la maison contre la Juventus en aller de Supercoupe d’Europe, ainsi qu’une défaite sur tapis vert 3-0 contre le Steaua Bucarest car le PSG t’avait aligné alors que tu étais suspendu…Il n’y a pas que le PSG, car le Real Madrid a fait la même chose en Coupe d’Espagne, alors qu’aujourd’hui, il y a internet. À l’époque, il n’y avait que les fax et la poste. Cela arrive… À l’époque, c’était compliqué de calculer les cartons, car c’était cumulable entre les différentes compétitions… Le 6-1, on s’est complètement raté, mais la Juve était aussi beaucoup plus forte physiquement.
Ta suspension contre Bucarest a débouché sur un match retour d’anthologie avec la victoire 5-0 de Paris…C’était fait exprès (rires). Ce n’était que le Steaua en face. Ils se sont pris un penalty à la première et un second but à la 3e, les mecs étaient en train de trembler. Ce que j’en retiens, c’est qu’on a fait une erreur, mais on a ressenti dans le Parc l’atmosphère des grands matchs que l’on avait joué avant contre Madrid ou Parme… Le public ressentait comme une injustice, et il nous a poussés pour gagner. C’était un match de fou.
Propos recueillis par Nicolas Jucha