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Les Dubois, frères d’âme

Par Mathieu Rollinger
Les Dubois, frères d’âme

En Anjou, la petite commune de Sainte-Gemmes-d’Andigné a vu grandir une fratrie pas comme les autres. Car si les familles de footballeurs ou les familles d'artistes se comptent par dizaines, chez les Dubois, on a varié les plaisirs. Et plutôt avec succès, puisque l’aîné Quentin a déjà décroché un Oscar, le cadet Léo est footballeur international, pendant que le benjamin Hugo se lance dans une carrière d’acteur. Rencontre avec un clan soudé.

« Des cas soc’ ». C’est de cette manière que Jean-Pierre Dubois aime présenter « en rigolant » ses trois fils qui, quoi qu’il en soit, « sortent du cadre social ordinaire ». « Segré, c’est une commune de 7000 habitants et il n’y a pas beaucoup de familles où il y a un joueur de foot pro, un réalisateur de films et un acteur en puissance, justifie ce paysagiste de 52 ans. Quand des passants les voient en train de m’aider à tailler les haies, ça les surprend par rapport au statut des uns et des autres. » Et ces regards sont d’autant plus insistants quand c’est Léo Dubois, cinq sélections en équipe de France au compteur, qui l’accompagne à la déchetterie pour décharger sa remorque : « Mais moi, ça restera mon gamin ! » Depuis plusieurs années, les rôles sont savamment distribués dans cette famille. Il y a d’abord Quentin, 29 ans. Lui a voulu très tôt créer ses propres films d’animation pour « faire rêver les enfants », comme ça a pu être son cas devant les Disney et Pixar. Après trois ans d’études à Paris et cinq à Arles dans des écoles d’animation, son projet a pris de l’ampleur quand, en octobre 2018, il remporte l’Oscar étudiant dans la catégorie du meilleur court-métrage animé avec The Green Bird, réalisé avec quatre camarades de promo et déjà récompensé dans plusieurs festivals. « C’était assez fort pour cinq petits Français, se félicite-t-il. C’est comme si on avait gagné la Coupe du monde espoirs en football. »

Ce coup de projecteur lui ouvre quelques portes en Amérique. « J’ai travaillé un an à Los Angeles pour Facebook, Google et Apple, dans une boîte de pub. Puis, j’ai enchaîné deux ans à Londres, sur l’animation 3D d’un film Disney qui doit sortir en avril 2021, liste Quentin. Aujourd’hui, je m’installe à Montpellier pour commencer un nouveau contrat sur une série Netflix. » Cette success story, Hugo, 21 ans, la suit avec de grands yeux, même si lui aspire à être devant la caméra. Terminant sa formation de comédien au Cours Florent à Paris, cela fait depuis ses 9 ans qu’il s’affirme sur des planches, bien qu’occupé en ce moment à écrire une web-série. « On verra ce que ça va donner », lâche-t-il, sans pression. Mais pourtant, la tête de gondole de la fratrie est intercalée entre ces deux artistes, quitte à prendre un peu plus la lumière qu’eux. Et celui-ci évolue dans un univers complètement différent : le football.

Au début, j’ai pris un chemin différent par rapport aux gars. Mais aujourd’hui, on se rend compte qu’on vit à peu près les mêmes choses.

Un footeux au milieu des cultureux

Chez les Dubois, entre Quentin « le mec posé », Léo au « sang chaud » et Hugo « le réservé », chacun a son menu préféré : pendant que le grand et le petit se gavent de films, Léo, lui, bouffe du ballon. Un régime spécifique qui ne l’empêche pas de partager un petit intérêt pour la chose culturelle. « J’écoute surtout mes frères quand ils parlent de cinéma. Je ne comprends pas forcément tout ce qu’ils disent, mais j’apprends pas mal de choses, assume le défenseur lyonnais. Ma culture cinématographique n’est pas très large. J’ai tendance à avoir beaucoup de retard. Là, par exemple, je suis surBreaking Badet j’ai même un peu de mal à la finir. Sinon, j’aime les documentaires, les biographies, avoir les ressentis de sportifs, de personnes qui ont réussi. » La réussite, c’est bien là que se trouve le principal lien familial. « Même si nous évoluons dans des milieux différents, Léo ne s’est jamais retrouvé à l’écart », assure Quentin. « On a été élevés de la même façon, tous ensemble, dans les mêmes valeurs, continue le footballeur. Nos parents nous ont toujours dit de bosser pour aller le plus loin possible et décrocher nos rêves. Au début, j’ai pris un chemin différent par rapport aux gars. Mais aujourd’hui, on se rend compte qu’on vit à peu près les mêmes choses. » Surtout, ils ont été façonnés dans le même moule : d’un côté, il y a le père fondu de foot, de l’autre, la mère passionnée de théâtre et de littérature. « Si on avait été tous les deux dans le foot ou tous les deux dans la culture, je ne sais pas comment on aurait fait », convient Jean-Pierre. Un équilibre qui permet à chacun d’y trouver son compte, comme les dimanches soir. Puisque le domicile est équipé de deux téléviseurs, Quentin et Léo ont tout le loisir de regarder le foot sur Canal avec papa, quand Hugo privilégie les films en prime time avec maman.

Autre point d’accroche : les garçons ont tous joué au football, tous licenciés au club de Segré et tous vainqueurs un jour ou l’autre d’une Coupe d’Anjou dans les équipes jeunes. Ce virus, c’est le paternel qui l’a introduit, lui qui évoluait en son temps en championnat de district. « J’avais des capacités, mais mon père n’aimait pas le foot, il ne m’a jamais autorisé il y a quarante ans à partir dans le club phare de Segré. Je ne sais pas si j’aurais pu aller plus loin de toute façon », balaye celui qui possède tout de même ses diplômes d’entraîneur. Pour ce qui est de ses fistons, tous ont aussi fini par occuper le poste de latéral droit. « C’est peut-être notre personnalité qui veut ça : on est généreux, on veut se donner pour le collectif, on soutient beaucoup », concède aujourd’hui Léo, même s’il a commencé à étaler son talent en tant que meneur de jeu. Pour le cadet, tout s’est décidé très tôt. « Dès l’âge de 2 ans, on a remarqué qu’il avait une motricité assez exceptionnelle, jure Jean-Pierre, qui a raccroché les crampons à 26 ans, à la naissance de Léo. Son pied d’appui était bien placé, son corps était bien équilibré. On sentait qu’il avait une belle petite frappe. Après, à 6 ans, wow ! Tout le monde a vu qu’il était très à l’aise. » Un don qui l’a poussé dès l’âge de 13 ans à prendre ses distances avec le reste de sa bande et à rejoindre le centre de formation du FC Nantes. « Vu comme il travaillait, vu ce qu’il mettait sur le terrain, ça me donnait une motivation supplémentaire pour croire au projet, jure le papa, qui s’est beaucoup impliqué à partir de ce moment-là. Pendant cinq ans, j’ai travaillé à raison de deux heures par jour sur le mot« football ». Je passais beaucoup de temps le soir ou les week-ends, quand j’allais sur les terrains, pour rencontrer du monde, pour comprendre comment fonctionnait le haut niveau, comment c’était structuré et pour identifier les dangers qu’on aurait à éviter. Et j’ai compris que le maître mot est la patience. » Même si, finalement, tout est allé très vite.

Je ne connais pas mes origines. Je n’ai jamais souhaité savoir d’où je venais ni connaître mes parents (biologiques), mais ce sont mes enfants qui avaient envie d’aller au Liban.

Camping, Liban et confinement

Si d’après Jean-Pierre, ce départ « un peu brutal » a été « compliqué pour tout le monde », il était malgré tout inéluctable. « Il n’y a pas quelqu’un qui est venu frapper un jour à la porte pour l’enlever, relativise Quentin. Il a été fort depuis toujours, et on se doutait que ça allait arriver. Le bémol, c’est que ça lui a fait rater des moments qu’on pouvait partager. » Ainsi s’évapore l’innocence de l’enfance, d’un claquement de doigts, et les parties de foot dans le jardin se raréfient. Restent ces vacances en Bretagne, ces semaines dans un camping de Lampaul-Ploudalmézeau, pour rattraper le temps perdu entre parties de beach-volley et sorties en bateau gonflable. Aujourd’hui, alors que Léo Dubois passe ses étés entre stage de préparation, rassemblement en équipe de France ou Final 8 de Ligue des champions, son cercle le plus proche a appris à faire avec son absence. En juin 2019, la famille assiste à la Beaujoire à la toute première sélection de Léo et met le cap quelques jours plus tard vers le Liban, sans lui. « C’était un peu contradictoire dans mon esprit : j’étais super fier et heureux de pouvoir porter les couleurs de mon pays, mais j’aurais adoré visiter le Liban pour la première fois avec ma famille, regrette-t-il. Mais ce n’est que partie remise, on y retournera tous ensemble. » Plus qu’un voyage, c’est un pèlerinage, puisqu’il s’agit du pays dans lequel est né son père, avant de le quitter à l’âge de 13 mois et d’être recueilli et adopté par une famille française. « Je ne connais pas mes origines, explique celui-ci. Je n’ai jamais souhaité savoir d’où je venais ni connaître mes parents (biologiques), mais ce sont mes enfants qui avaient envie d’y aller. »

Pour Léo Dubois, cela va même au-delà : « Ce sont mes racines, même si on a construit d’autres choses après. » À un point tel qu’il soutient depuis 2019 l’association Les Amis du Liban, et encore plus activement à la suite des explosions en plein cœur de Beyrouth. « L’idée, c’est d’aider à la reconstruction, venir en aide aux enfants dans le besoin. Depuis l’explosion, ils sont en manque de logement, en manque d’instruction, donc on veut les accompagner pendant un an à l’école et pour qu’ils aient un toit sur leur tête, explique-t-il. Grâce à une cagnotte, on a réussi à récolter les fonds qu’on voulait et je pense qu’on va mettre en place d’autres actions pour aider sur place. » Une implication qui rend forcément fier son clan, qui fait de la solidarité un de ses piliers.

Léo, c’est une source d’inspiration. Je lui demande souvent conseil, par message, parce qu’il a beaucoup de mental et de confiance.

« Je ne voulais pas qu’il devienne un connard »

Entre les statuettes des uns et les capes de l’autre, pas de jalousie, juste une capacité à se tirer vers le haut. « Pour moi, mes frères sont une source de motivation et d’inspiration. Ils m’ont donné envie d’avoir un aussi beau parcours qu’eux, pose Hugo. Léo, c’est une source d’inspiration. Je lui demande souvent conseil, par message, parce qu’il a beaucoup de mental et de confiance. Avec Quentin, nos métiers se ressemblent un petit peu, donc on a plus de liens. Il a aussi pas mal d’expérience grâce à ses voyages, c’est un énorme bosseur. » Avec le temps, les différences s’estompent, et les coudes se resserrent. La preuve en est pendant le confinement. Si toute la famille a pu se retrouver pendant deux mois au QG de Sainte-Gemmes-d’Andigné, chose inédite depuis des années, un deuil a permis de mesurer la solidité des liens. « Quand on a perdu mon beau-père, les enfants étaient là, j’ai senti qu’ils étaient autour de ma femme, impliqués chaque jour dans tout ce qu’il se passait, témoigne Jean-Pierre Dubois. Et moi, je suis fier de ça, d’avoir des enfants qui ont des valeurs. Moi, je m’en fous de ce qu’ils font. Un Oscar, une sélection en équipe de France, c’est très bien parce que c’est ce qu’ils voulaient. Mais j’ai toujours dit à Léo, quand il a mis un pied dans le monde pro, que je ne voulais pas qu’il devienne un connard. C’est ça le plus important, c’est l’être humain. » Et là, il y en a trois pour le prix d’un.

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