- JO 2020
Les clubs français ont-ils le droit de bloquer leurs joueurs pour les Jeux olympiques ?
L'annonce de la liste des sélectionnés français pour les Jeux olympiques de Tokyo aurait simplement dû nous amuser, avec tendresse évidemment, notamment grâce à la présence d'André-Pierre Gignac et Florian Thauvin, ou nous indigner devant le peu de reconnaissance accordé à Jean-Philippe Mateta, décisif pour la qualification. Mais elle suscite surtout d'interminables débats éthiques, puisque de nombreux clubs pros ont déjà clairement refusé de libérer leurs joueurs pour un événement qui tombe en pleine préparation. Si notre patriotisme peut en être froissé, il faut aussi se souvenir que dans le petit monde du ballon rond, les anneaux olympiques sont clairement de trop.
Le tournoi de football masculin – la donne est légèrement différente chez les féminines – des Jeux olympiques ne pèse certes pas rien dans la carrière d’un footballeur, mais cela relève plus d’un petit kiff personnel. Au mieux un souhait de rachat à la Neymar en 2016 après le fiasco en Coupe du monde à domicile. Ou bien une compensation après une carrière internationale avortée ou inaccomplie, suivez notre regard vers le Mexique. Historiquement, le football s’est non seulement construit, professionnalisme oblige, à l’écart de l’olympisme, mais également quelque part contre. D’une certaine façon, Jules Rimet a lancé le projet d’une Coupe du monde d’abord pour éviter que le CIO rafle la mise de la popularité grandissante d’une discipline qu’il méprisait pourtant allègrement. Depuis, la FIFA et ses fédérations vivent tranquillement, sans trop se soucier de ce qui se passe dans cette grande famille du sport. Même en France. Noël Le Graët aurait lâché avant l’attribution des olympiades à Paris un mémorable : « Les JO, je n’en ai rien à foutre. » (Pour expliquer pourquoi il ne soutenait pas Jérôme Champagne face à Gianni Infantino.)
Un tournoi sans valeur ajoutée
Personne n’est jamais devenu un grand joueur en remportant une médaille d’or, et même celle de nos Bleus en 1984 à Los Angeles – merci au boycott du bloc socialiste – reste de second ordre dans notre mémoire collective. Il faut dire qu’on avait paisiblement laissé les pays de l’Est rafler tous les podiums pendant près de trente ans avec leurs amateurs gradés de l’Armée rouge. Certes, la donne a changé. Les pros sont acceptés, et même quelques entorses au règlement permettent aux plus de 23 ans d’enjoliver les effectifs. Le CIO a clairement essayé de transformer son handicap en une fenêtre d’exposition des jeunes prometteurs et une compétition internationale où cette fois une équipe africaine peut l’emporter.
La Ligue 1 avant les JO
Mais finalement, tout se résume encore à cette dure réalité. Les JO s’avèrent bien un des rares espaces du sport international où les enjeux de la Ligue 1, même une hypothétique place en Ligue Europa Conférence, pèseront toujours davantage qu’une médaille d’or. Au fond, le refus de Lyon ou du PSG n’a rien de surprenant de ce point de vue. En retour, la soumission à l’Euro ou à la Coupe du monde ne se limite d’ailleurs pas à une quelconque dimension sportive ou à la peur des sanctions de l’UEFA ou de la FIFA en cas de non-mise à disposition de leurs joueurs (problématique régulièrement sur le tapis pour la CAN). Un bon parcours en sélection, en Coupe du monde ou à l’Euro se monnaie. Cela ravit les supporters et surtout gonfle la cote au mercato. Le trading et les transferts sont devenus des sources de revenus essentiels, surtout vu le contexte post-pandémie. Si Eduardo Camavinga ramène une médaille du Japon, on peut douter que cet exploit fort respectable affecte positivement, avec un zéro de plus au bout du nombre, les négociations financières s’il venait à quitter Rennes pour la Premier League ou un autre cador européen.
En retour, la stratégie de la FFF et du sélectionneur Sylvain Ripoll laisse aussi un peu interdit. S’agit-il d’un coup de pression en mettant une opinion à témoin, qui chante en ce moment La Marseillaise dans les bars et craque des fumigènes au moindre but en phase de poules, ou alors d’une naïveté qui frise l’incompétence ? Personne ne découvre la situation aujourd’hui. Julien Fournier, directeur du football de l’OGC Nice, l’a fort simplement résumé dans L’Équipe : « On avait indiqué qu’aucun joueur de Nice n’irait aux Jeux olympiques. Je suis désagréablement surpris. Notre président (Jean-Pierre Rivère) parle avec Noël Le Graët et il lui avait clairement indiqué notre position. Comme les textes de la FIFA n’obligent pas les clubs, on est dans notre bon droit. On applique toujours les règlements, et la FFF va s’y conformer. » Bref, avant de hurler contre l’égoïsme des clubs, se souvenir que ce sont bien les instances du foot qui ont en premier décidé de sacrifier les JO. Ne nous trompons jamais de colère.
Par Nicolas Kssis-Martov