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Les 50 joueurs qui ont écrit l’histoire du FC Nantes (1er)

Propos recueillis par Ronan Boscher, à Nantes

Club historique de l'élite française, le FC Nantes a imprimé sa marque au milieu des années 1960, sans jamais quitter la première division pendant 44 saisons, jusqu'à ce que la Socpresse ne vienne y mettre son nez. Premier de ce top : cet amour de Japhet N'Doram. Qui mérite bien sa longue interview.

#1 - Japhet N'Doram

Le jean retouché à l’africaine, une chemise noire sur les épaules, une autre à la main et un long pardessus kaki, Japhet N’Doram a l’air moins élancé qu’autrefois, mais il a conservé l’essentiel : son célèbre duvet pileux. Surtout, il a le pas décidé du type venu pour tout dire. La guerre civile au Tchad, le Cameroun en pirogue, les surnoms, les boîtes de Blacks, les savons de « Blaz » et « Coco » , l’alcool, le divorce, et même les compliments de Patrick Colleter.

On commence simplement. Pourquoi le « Sorcier » ?
Ça vient de Joël Henry. Quand je suis arrivé en 1990 à Nantes, il était numéro 10, gaucher, avec ses locks. C’est lui qui m’a donné ce surnom parce que je faisais des trucs qui l’impressionnaient à l’entraînement. Ce n’est pas un surnom qui vient du Tchad.

Au Tchad, la vie démarre avec beaucoup de monde autour de vous…
Je suis issu d’une famille très modeste. Mon père était maçon, ma mère femme au foyer parce qu’on était dix enfants à la maison. Enfin, on était douze, mais il y en a deux qui sont décédés avant moi. Moi j’étais le onzième, l’avant-dernier. Famille nombreuse donc, mais malgré ça, on avait de quoi manger et plein de libertés, on s’épanouissait. J’ai connu une enfance très heureuse. C’est à partir de l’adolescence que ça a été un peu plus dur.

Cela correspond à la première guerre civile (1979-1980) ?
Oui, à mes 14 ans, cette guerre civile tuait indifféremment, des obus tombaient au mauvais endroit, notre famille a été obligée de s’éparpiller. Il fallait quitter N’Djamena, il y avait des massacres. Mes parents sont restés, mais nous, les enfants, on a dû partir. C’était la débandade. Mes parents m’ont fait évacuer en taxi-brousse, avec ma grande sœur et un de mes grands frères. D’autres sont partis ailleurs. Tous les amis d’enfance, la famille, on s’est perdus de vue à ce moment-là. Je me suis retiré chez ma grande sœur qui habitait dans le Sud-Est, à la campagne, loin de la zone de guerre. Il n’y avait plus d’école, on allait aux travaux champêtres, à la pêche, on cultivait du maïs, du mil, du manioc, des patates… C’était notre quotidien. Enfin, pendant la saison pluvieuse, à peu près quatre mois et demi. Le reste du temps, c’était encore plus dur de se nourrir. Je suis revenu à N’Djamena en « vacances » vers 1982, il y avait encore la guerre civile. Je faisais partie de la colonne de réfugiés, on a marché quarante ou cinquante kilomètres à peu près. Ça a marqué mon adolescence tout ça. À 13-14 ans, voir des tueries, des cadavres, des choses plus qu’abominables…

Votre ethnie posait problème dans ce conflit ?
Non, non. Mon ethnie, les M’Beri, on n’est vraiment pas nombreux. On n’a pas d’hommes politiques, on a des artistes plutôt, MC Solaar, par exemple. C’est un peu comme une grande famille élargie, on a tous plus ou moins des liens de parenté. Le conflit opposait le Nord, musulman, et le Sud, chrétien.

« Quand on maîtrise le ballon pieds nus, c’est plus facile avec la chaussure. Ta peau est devenue une sorte d’écorce, tu connais déjà toutes les surfaces de contact du pied. » Japhet N’Doram

Vous êtes né à N’Djamena, vous seriez plutôt musulman ?
Non. Même si je suis né à N’Djamena, mes parents sont du Sud, chrétiens. Protestants. N’Djamena est plus ou moins divisé en deux : le quartier nord, musulman, et le quartier sud, chrétien, mais pendant longtemps, on traversait indifféremment les deux quartiers. Depuis la guerre, une barrière s’est instaurée, et ceux qui veulent accéder au pouvoir encouragent cette séparation, c’est diviser pour mieux régner. Comme souvent en Afrique, ces gens viennent au pouvoir par les armes. Je ne m’intéresse pas à la politique, mais ce qui me déplaît, c’est que la première chose qu’on met en avant chez les gens, c’est leur ethnie…

Que retirez-vous de cette période ?
Aujourd’hui, je n’ai peur de rien. Je prends la vie telle qu’elle est. Ça m’a endurci, ça m’a permis de grandir plus vite et d’affronter la vraie vie, la vie rurale.

Vous étiez bon à la pêche, au fait ?
Ouais, pas mal, c’est ce que je préférais d’ailleurs, parce que travailler la terre, c’est beaucoup plus difficile. On pêchait surtout au filet. À l’épervier. Après on séchait le poisson, on le fumait et on le rapportait deux mois après pour le vendre. Pendant la période sèche, évidemment. Parce qu’il n’y avait pas la culture agricole. Ça forge le caractère, tout ça.

Et le foot dans tout ça ?
Le foot, c’était quotidien jusqu’à mes 14-15 ans. Pas du foot de club, plutôt des équipes spontanées. Chacun choisissait ses partenaires, on prenait deux ou trois pierres, des ballons fabriqués avec les chaussettes des parents, on les fourrait avec du papier, du tissu. Et on jouait pieds nus.

Et les débuts en crampons, ça donnait quoi ?
Quand on maîtrise le ballon pieds nus, c’est plus facile avec la chaussure. Ta peau est devenue une sorte d’écorce, tu connais déjà toutes les surfaces de contact du pied. Coco Suaudeau m’a confirmé que jouer pieds nus favorisait la technique.

Suaudeau imposait des séances pieds nus ?
Il pouvait nous le conseiller sur des tennis-ballon, des jongleries avec un petit ballon, celui des gamins, des jeux de passes, des trucs comme ça, mais pas dans le jeu, parce qu’il y a des contacts. À Abidjan, j’ai découvert les gamins de la première génération du centre de Jean-Marc Guillou. Jusqu’à leurs 14-15 ans, ils jouaient pieds nus, même pendant les oppositions. Guillou interdisait juste les contacts. Aujourd’hui, dans la formation, je pense que c’est quelque chose de nécessaire et indispensable.

« Je suis parti du Tchad pour le Cameroun en douce du jour au lendemain avec un petit sac dans lequel j’avais juste un tee-shirt, une chemise, un pantalon et une trousse. » Japhet N’Doram

Le foot était quotidien pour vous, jusqu’à la guerre civile. Pourquoi avoir ralenti la cadence quand vous êtes parti chez votre sœur ?
À cause de mon beau-frère. Comment dire… Pour lui, il ne fallait pas faire du sport. « Le football, c’est pour les gonzesses » , il disait.

Plus tard, vous avez fait du football en « scolaire » .
Oui, on était encadrés par un ancien footballeur tchadien, Kopa Augustin, passé par un centre de formation en France. Il nous a structurés au niveau tactique, les postes, tout ça. Comme j’étais toujours le plus habile, le plus dribbleur de tous, il me faisait jouer au milieu, le plus offensif possible. Mes copains m’appelaient à l’époque « petit Pelé » , pas « le Sorcier » . J’ai commencé en club à 19 ans, au Tourbillon, quand je suis rentré sur N’Djamena. Là-bas, ils me faisaient jouer 6. Six mois après, j’étais en sélection nationale, également en 6. J’ai joué milieu défensif jusqu’à mon départ pour le Cameroun. Au Tourbillon, pour que je gagne ma vie, ils m’avaient fait rentrer au service comptable de Sonasucre, une société sucrière qui était le plus gros sponsor du club.

C’était un vrai job ou une rémunération déguisée ?
Un vrai job, avec un contrat de travail, un salaire mensuel et tout et tout, je devais pointer. Sauf qu’à 20 ans à peu près, je ne voyais pas ça comme un job d’avenir pour moi. Et j’ai eu l’opportunité de partir au Cameroun. En trois ans, j’avais tout prouvé dans le championnat de N’Djamena.

Elle s’est présentée comment, cette opportunité camerounaise ?
Le Tonnerre de Yaoundé était venu à N’Djamena pour faire un tournoi d’une semaine. J’avais joué deux matchs contre eux. Il y avait George Weah au Tonnerre. Il faisait déjà très mal. Comme par hasard, sur ces deux matchs, il avait marqué deux buts et moi aussi. Le hasard, peut-être… En tout cas, le Tonnerre a accepté facilement l’idée d’un essai.

La route vers le Cameroun fut en revanche plus compliquée…
Oui. Mes parents ne voulaient pas que je parte. C’était trop l’aventure pour eux. Je suis parti en douce du jour au lendemain avec un petit sac dans lequel j’avais juste un tee-shirt, une chemise, un pantalon et une trousse. Je suis arrivé au Cameroun en clandestin, ce qui était fréquent en Afrique. J’ai traversé le fleuve entre N’Djamena et le Cameroun en pirogue, puis j’ai pris un taxi-brousse jusqu’à la première gare, enfin un train jusqu’à Yaoundé. Vingt-quatre heures non-stop. Le surlendemain, on me présentait à l’entraînement au Tonnerre.

« Pour moi, à l’époque, Nantes c’était deux noms, Touré et Ayache, et c’est à peu près tout. » Japhet N’Doram

L’essai se déroule bien ?
Les premiers jours ont été difficiles. George Weah venait de partir à Monaco, et il avait mis la barre tellement haut… J’arrive donc pour remplacer un 9 alors que je joue 6. Au début, ça grondait un peu du côté des supporters, ils m’appelaient « le Réfugié » . J’avais connu la guerre, je venais du Tchad, j’étais gringalet, pour eux, j’étais un réfugié qui venait chercher à manger. Finalement, je me suis imposé en trois ou quatre matchs. En numéro 10. On a gagné la coupe du Cameroun et perdu en demi-finale de la Ligue des champions d’Afrique contre le Raja. J’avais un statut semi-pro, je gagnais trois cents euros par mois, l’un des trois ou quatre meilleurs salaires du club. J’avais un deux-pièces avec un grand salon, j’étais bien. J’avais même eu une prime à la signature, un peu plus de deux mille euros, une somme colossale. J’ai tout envoyé à mes parents ! Ça a permis de mettre de l’électricité et de l’eau potable à la maison. Tous les mois, j’envoyais la moitié de mon salaire à ma mère. Je me sentais utile. Mes parents ont découvert à ce moment-là qu’on pouvait rapporter de l’argent grâce au foot, ça les a aidés à comprendre pourquoi j’étais parti. Malgré ça, mon père n’a jamais voulu que j’abandonne les études. Même au Cameroun, quand j’étais professionnel, quand on s’appelait, il me demandait toujours : « Alors, ça se passe bien les études ? » Je lui répondais toujours : « Oui, oui » , même si c’était faux. Il ne pouvait pas comprendre l’exigence que demandait le foot professionnel.

Quand a-t-il découvert le bobard ?
Il ne l’a jamais découvert, jusqu’à sa mort, trois ans après ma venue en France. Il n’a jamais su que je ne faisais pas d’études.

L’histoire au Tonnerre se finit mal.
Oui. Un jour, j’ai demandé au club si je pouvais rentrer au Tchad pour les obsèques d’un de mes grands frères, décédé à Cotonou où il était parti faire des études. On avait la demi-finale de Coupe d’Afrique contre le Raja, donc le club n’a pas voulu me laisser partir. Moi, j’étais déboussolé, je n’avais pas revu mon frère depuis 1979, à cause de la guerre, c’était important d’être là à son enterrement. Alors j’ai pris le même sac que celui avec lequel j’étais venu et j’ai sauté dans un avion pour rentrer au pays. Pas de taxi-brousse cette fois, j’avais de l’argent. Et je ne suis plus jamais revenu au Cameroun.

Heureusement, il y a alors ce stage à Saint-Brévin-les-Pins avec l’équipe nationale du Tchad…
Oui, on est donc en 1990, on fait ce stage à quelques kilomètres de Nantes. Et là, on me propose un essai dans ce club. Pour moi, à l’époque, Nantes c’était deux noms, Touré et Ayache, et c’est à peu près tout. J’ai fait l’essai au mois d’avril. Ils disaient qu’ils voulaient se laisser un peu de temps pour me voir de près. En juin, deux mois après mon arrivée, c’est la fin de saison. Comme tout le monde partait en vacances, Nantes m’a payé un billet d’avion pour que j’aille au Tchad, et que je vienne reprendre l’entraînement avec le groupe professionnel à la fin du mois. Fin juin, je pars donc en stage avec le FC Nantes, toujours sans contrat, bien évidemment. Certains avaient toujours des hésitations sur mes capacités à jouer en pro. Le championnat reprend, toujours rien. J’étais à la Jonelière avec les gamins du centre de formation, les 15-16 ans. J’y ai vécu pendant six mois. Et je me suis emmerdé. J’avais 24 ans, ils étaient beaucoup plus jeunes que moi, on ne partageait rien, je passais mon temps à écouter de la musique africaine et à lire. Quelle solitude…

Vous sortez quand de cette solitude ?
Le jour où Jorge Burruchaga se pète les ligaments du genou. C’était en septembre. Le fait qu’il soit blessé pour longtemps libérait une place d’étranger. Il a accepté de céder sa licence professionnelle pour une licence amateur. Pour moi. Bon, il avait trouvé un accord avec le club pour garder son salaire, mais quand même… Jorge m’estimait beaucoup. Malgré ça, le club a d’abord cherché partout un numéro 10 de la trempe de Jorge, mais ils n’ont pas trouvé, c’était toujours trop cher. Vis-à-vis des supporters, remplacer Burruchaga par un inconnu comme moi, c’était difficile à faire accepter hein, mais ils ont été obligés de se rabattre sur cette solution. Tous les jours, pendant des mois, Paul Le Guen m’a posé la question : « Tu signes quand ? Tu signes quand ? » Il ne comprenait pas qu’on ne me fasse pas signer un contrat plus tôt. L’heure était enfin venue.

« Le football, je l’ai toujours conçu comme le jeu à la nantaise : jeu collectif, proposer la solution, ne toucher qu’une fois la balle pour accélérer, tout le monde a le droit de marquer, de défendre aussi. Le jeu à la nantaise, c’est un peu le jeu que je connaissais tout gamin. » Japhet N’Doram

Un an de contrat seulement.
Oui, donc le couteau sous la gorge. Premier match, on bat Saint-Étienne 2-1, Desailly marque le premier, moi le deuxième. Derrière, je fais mon meilleur match de la saison au Parc contre le PSG. Ça démarre fort, mais vient le mois d’octobre, le temps pourri, les terrains gras, la pluie, et là… Un match ça allait, le suivant, j’étais méconnaissable, je ne me suis jamais habitué à ce temps-là. Physiquement, j’étais largué. Heureusement, le beau temps est revenu et j’ai refait surface. À la fin de la saison, après des tests physiques, le club m’a proposé quatre ans de contrat. J’ai dit « ouf » .

Il était comment le coach Blažević, avec vous ?
Blažević, c’est un très dur. Un coup, il t’encense, le lendemain, il te détruit. Il pouvait t’humilier devant tout le monde. « Espèce de gonzesse » , c’est comme ça qu’il m’appelait. C’était un dur, mais il m’a aimé, j’en suis sûr. Il me voyait plus comme un 9. Il m’a fait comprendre que j’étais le « meilleur attaquant de race » . C’est comme ça qu’il parlait. Bon, je n’ai jamais découvert ce qu’était un « attaquant de race » …

C’est Suaudeau qui vous place en numéro 10, finalement ?
Ouais. Suaudeau remplace Blažević après un match à Marseille où on se prend une volée. Coco me connaissait bien, vu qu’il m’avait entraîné avec la réserve. Il était persuadé que numéro 10, c’était mon vrai poste. Ou plutôt, il voulait « quelqu’un qui savait faire jouer les autres » . C’était son obsession. Moi, ça me plaisait parce que je touchais beaucoup plus de ballons. J’étais à l’aise. Et puis, en 1992, le club s’est retrouvé dans une situation financière où il fallait vendre les joueurs pour renflouer les caisses et ne pas être rétrogradé. Paul Le Guen, Marcel Desailly, Thierry Bonalair, Jean-Jacques Eydelie, tout ça, sont partis. Les jeunes sont devenus titulaires et l’aventure « jeu à la nantaise » a commencé.

Le jeu à la nantaise, c’est quoi, pour vous ?
Pour moi, au début ce n’était que des mots. Le football, je l’ai toujours conçu comme ça : jeu collectif, proposer la solution, ne toucher qu’une fois la balle pour accélérer, tout le monde a le droit de marquer, de défendre aussi. Donc pour moi, le jeu à la nantaise, c’est un peu le jeu que je connaissais tout gamin.

Comment on l’inculque aux entraînements, ce jeu à la nantaise ?
Ah, c’est là où tu vois qu’il est formidable, Coco. Déjà, il crée un état d’esprit : tu ne joues pas seul. Ça, il l’inculque à travers des jeux banals, comme une opposition avec ballon imaginaire. Tu te fais des passes en disant le prénom du receveur avant que l’adversaire ne te touche. C’est un exercice où tu dois toujours avoir la tête levée, savoir anticiper. Après, il proposait des jeux où tu n’as pas le droit de rendre le ballon à celui qui te l’a donné, toujours aller chercher un troisième. Tous ces jeux sont des prétextes pour regarder autour. La notion de l’espace, c’était très important. Coco traçait le terrain avec des carrés. Dans la phase offensive, il demandait à ce que tous les carrés soient occupés. Si tu voulais aller dans un carré, il fallait regarder d’abord s’il y avait déjà quelqu’un dedans ou pas. Il créait des réflexes. En même temps, Coco n’excluait jamais la solution individuelle. Quand tu te trouvais dans la merde, il fallait aussi s’en sortir. On faisait par exemple des jeux où il disait : « Obligation de dribbler avant la passe. » En fait, Coco, il te donnait toute la panoplie. On ne faisait pas ce genre d’exercices avec Blaz’.

Vous sentiez que vous construisiez un truc spécial ?
Honnêtement, je ne me rendais pas compte qu’on avait une équipe collectivement aussi fluide, aussi belle à voir. Ce sont les adversaires qui nous félicitaient, en fait. Je me rappelle par exemple de Patrick Colleter, et pourtant, lui, c’était pas un tendre. Un jour, il me dit : « Le football que vous êtes en train de montrer, c’est extraordinaire. C’est impossible de vous arrêter. Pour choper un type, il faut au moins que le ballon soit un peu arrêté. Mais vous, vous n’arrêtez jamais le ballon. » On jouait en déviation, en une touche. Le temps qu’il arrive, c’était déjà trop tard. Et pourtant, quand il s’agissait de « choper un type » , tu pouvais compter sur Colleter… Cette saison-là, en 1995, on termine champions et on se dit qu’à défaut d’individualités extraordinaires, on a un groupe extraordinaire.

Pas d’individualités ? Ouédec, Loko, Pedros, ils étaient plutôt costauds techniquement…
Il y avait de tout. Makelele par exemple, il ne savait pas jouer en une touche, à l’époque. Et devant le but, il était incapable de marquer. Ferri, c’était difficile. Des fois, il se battait avec le ballon pour jouer en une touche, Ferri. Mais tactiquement et physiquement, il donnait le tempo. Techniquement, on n’était pas si nombreux que ça à avoir une maîtrise au-dessus du lot, mais quel état d’esprit ! Ambiance extraordinaire, surtout quand on sait qu’en dehors du terrain, on n’était pas vraiment potes. Mais sur le terrain, ça y allait, ça charriait, ça courait, ça rentrait dedans, ça taclait, ça sautait, ça jouait la gagne, à deux cents à l’heure. Des fois, on sortait plus fatigués d’un entraînement que d’un match.

Vous nous dites que cette équipe qui s’entendait si bien sur le terrain n’avait pas de réelle complicité en dehors ?
Personnellement, c’était plutôt entraînement-dodo. J’avais du mal à manger après les matchs, je rentrais chez moi, je venais rarement en ville. Il y avait deux boîtes de blacks à l’époque à Nantes, j’y allais parfois, toujours avec la même bande : Makelele, Karembeu, Eddy Capron. Mais dans l’ensemble, j’étais très casanier. Loko, lui, il ne savait même pas ce qu’était une boîte. Jusqu’en 1995. Après, avec le titre de champion, ça lui est monté plus ou moins à la tête, et il a découvert les discothèques. Pour autant, dans le groupe, pour moi, c’était le plus réglo. Et c’est pourtant lui qui a dérouillé après…

Quelle relation vous entreteniez avec Suaudeau ?
Pas complice, plus une relation de confiance. J’étais plus ou moins son interlocuteur sur le terrain, et il y avait une sorte de franchise entre nous. Il appréciait que je défende toujours l’intérêt collectif. Mais il a quand même été sévère avec moi, plus qu’avec d’autres sans doute.

Par exemple ?
Eh bien, à Marseille, une fois, il m’a choqué. On avait perdu, je sais plus, 4-0 je crois. À l’aéroport, je suis avec Thierno Youm, discrets dans un coin. Coco avance et nous lance : « Vous êtes fiers de vous ? » On se regarde avec Thierno, sans trop comprendre. « Vous n’avez pas de quoi être fiers de vous, hein. J’ai connu des Noirs plus fiers ! » qu’il dit, Coco. Moi, je le prends très mal. Ça me choque. Je ne dors pratiquement pas de la nuit. Le lendemain, au décrassage, Coco m’appelle dans son bureau : « Ça t’a choqué ce que je t’ai dit hier ? Bon, si ça t’a choqué, c’est une bonne nouvelle, je m’excuse. » Et je suis sorti de son bureau. Histoire terminée. Il voulait toucher notre orgueil. Gagné.

Le départ à Monaco s’est fait facilement ?
Sans clash. Coco aimait particulièrement la qualité de jeu du Monaco de l’époque, et puis, juste après mon départ, il a jeté l’éponge lors d’un stage pour laisser les rênes à Denoueix. Je l’ai appelé après coup, et il m’a dit qu’il ne sentait pas le coup, qu’il n’avait plus la force de se casser la tête. « Raynald est prêt » , il me disait. J’arrive à Monaco, et au début, c’était difficile, car Tigana pensait qu’on ne pouvait pas jouer tous les trois ensemble, Sonny Anderson, Ali Benarbia et moi. Il pensait qu’on allait faire doublon. Mais à l’entraînement, on faisait des choses tous les trois, pam pam pam pam. On avait créé un triangle où on ne savait pas qui jouait à quel poste. Tigana décide finalement de nous faire jouer ensemble pour le Trophée des champions, contre Nice. On a gagné le trophée et convaincu Tigana. On s’est épanouis le peu de temps que ça a duré, vu que Sonny est parti et que moi, je me suis blessé au genou…

« La chose que j’ai vécue douloureusement, c’est mon divorce. Je ne m’y attendais pas et j’ai plus ou moins tout perdu. J’ai rapidement senti le danger venir avec l’alcool, alors je me suis abstenu un moment avant d’aller trop loin. » Japhet N’Doram

Qu’avait-il, votre genou ?
J’ai cassé un bout de cartilage à Nantes. Le chirurgien a voulu recoller le morceau, assez gros, avec l’ensemble, que tout ça se reforme. Il m’a dit que c’était une option plus rapide que d’enlever le morceau cassé. C’était une opération qu’il réalisait pour la deuxième fois seulement. La première fois, il l’avait réussie, c’était sur Trossero, l’Argentin. La deuxième fois, avec moi, ça n’a pas fonctionné. Et derrière, ceux qui étaient chargés de ma rééducation à Monaco n’ont pas respecté le programme qu’avait demandé le chirurgien. Par négligence. Pendant deux mois, j’ai eu la jambe raide, dans un plâtre. Après quatre mois de rééducation intense, toujours raide. À mon âge, le cartilage ne se régénérait pas aussi vite que ça. Je me suis accroché, je suis revenu, je suis allé jouer en CFA, trois ou quatre matchs, j’ai marqué cinq ou six buts, et puis je suis allé voir un spécialiste qui m’a dit que si je voulais retrouver mon niveau, j’allais sérieusement abîmer mon genou, et qu’à 40 ans, j’aurais des prothèses. C’était dur. À partir de ce moment-là, j’ai commencé à réfléchir à ma reconversion. Campora m’a proposé d’être recruteur pour le club, il pensait que j’avais l’œil. Je n’avais aucun diplôme, rien, on me donnait l’opportunité de rester dans le milieu. Ils m’avaient payé cher, et je ne leur avais pas apporté ce qu’il fallait sur le terrain. Je ne pouvais pas refuser. J’ai fait des supervisions de Ligue des champions, ou alors des joueurs au bout du monde dont il avait entendu parler. Je suis allé en Finlande, en Irlande, au Danemark ou au fin fond du Mali. J’arrivais à rester anonyme pendant mes supervisions, incognito. Mais Monaco, ce n’était pas mon monde. Là-bas, je n’ai pas dû sortir plus de trois fois. Les réceptions chez le prince, ça ne m’intéressait pas trop. Je ne suis pas là-dedans.

Une rumeur vous envoie le nez dans la coke…
Moi ? Pfff… J’ai jamais touché à un truc illicite de ma vie. J’ai juste commencé à boire de l’alcool après ma carrière.

Vous avez été alcoolique ?
Ça a failli. Quand j’ai divorcé vers 2003-2004. J’ai failli rentrer là-dedans. Je ne buvais pas tout le temps, mais quand je faisais la fête, je buvais beaucoup plus que ce que j’avais l’habitude de boire. Avant, j’étais comme on dit « un petit joueur » , hein. Oui, la chose que j’ai vécue douloureusement, c’est mon divorce. Parce que je ne m’y attendais pas. J’ai plus ou moins tout perdu. J’ai rapidement senti le danger venir avec l’alcool, alors je me suis abstenu un moment avant d’aller trop loin.

Pourquoi aller se fourrer dans le bordel qu’était le FC Nantes en 2007 ?
Ça a été une erreur de se mouiller. Didier Deschamps voulait que je reste avec lui, il m’avait prévenu : « C’est bien, c’est une belle ambition, mais est-ce que tu sais où tu mets les pieds ? » J’étais tellement attaché au club, je n’ai pas vu le guet-apens arriver. Je me suis rendu compte trop tard que c’était ingérable. J’étais allé voir Raynald Denoueix pour qu’il revienne au club. Il m’avait dit : « Japh’, non je peux pas, pour toi je le ferais, mais tu sais, il y a des gens au club que je n’ai pas envie de voir. » Ce n’était plus le FC Nantes que j’avais connu.

PInterview publiée dans le So Foot n°108

Propos recueillis par Ronan Boscher, à Nantes

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