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« Le poteau est un peu froid, un peu dégueu mais ça me manque »

Par Maxime Brigand
«<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Le poteau est un peu froid, un peu dégueu mais ça me manque<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

C'est une liaison de plus de vingt ans. Une histoire entre un homme sans trop de cheveux et un bout de fer. Celle d'un gardien de but et de son bois. D'un bisou éternel, religieux, entre Jérôme Alonzo et son poteau gauche.

Depuis quand et à quel moment as-tu voulu être gardien de but ?Aussi loin que je m’en souvienne, depuis toujours. Avant de jouer au foot, je jouais au hand et j’étais gardien, déjà. Mes entraîneurs de foot en poussins m’avaient mis joueur au début car j’étais le plus grand donc je jouais devant. Perso, moi, ça me gonflait même si mon père me disait que j’avais le sens du but. Gardien, il y avait ce côté où tu n’es pas habillé comme les autres, cette tenue, les gants. Je trouve qu’il y avait un côté assez mystique et comme j’arrivais à tomber sans trop me faire mal, je suis parti là-dedans.

Est-ce qu’on peut parler d’une histoire d’amour entre toi et le poste de gardien ?Oui, vraiment, parce que j’ai toujours eu une passion pour les gardiens de but. Tous sports confondus. J’ai une vraie affection et un vrai amour pour mes collègues et ce poste qui est mal compris, incompris et terriblement difficile à comprendre.

Durant ta carrière tu as souvent été doublure. Comment on partage cet amour du but à deux ?C’est compliqué. J’ai la chance de toujours avoir eu une relation fusionnelle avec mes coéquipiers si je puis dire. Il y a eu Lionel Letizi à Nice, Köpke à l’OM qui m’avait pris sous son aile, Jérémie Janot à Sainté avec qui j’étais vraiment très ami puis Lionel de nouveau, au PSG. On partage mieux quand on est pote. C’est un peu comme les gardiens de hand. Si tu regardes, ils se tapent souvent dans les mains, dans les poings, quand l’un fait un arrêt, l’autre lui saute dessus. C’est compliqué à mettre en place, ça ne s’invente pas, tu ne décides pas d’être pote avec le mec.

C’est quelque chose qui vient d’un gardien qui jouait à Nice, quand moi j’étais au centre, et qui s’appelait Fabien Piveteau.

Est-ce qu’il y a un numéro un qui t’a transmis cet amour particulier du poste ?Honnêtement, non. En revanche, à Marseille, j’ai été époustouflé par la classe d’Andreas Köpke. Il est arrivé et a pris ma place mais il a compris que c’était dur pour moi, que c’était le premier vrai frein dans ma carrière donc il m’a pas mal aidé. Il m’invitait souvent chez lui le soir et Köpke, c’était le meilleur gardien du monde hein. Moi, j’étais plutôt inspiré par des mecs plus calme (rires). Olmeta, Huard…

Pour toi, un gardien est-il forcément un fou furieux ?L’histoire nous montre que non. Regarde Hugo Lloris qui est le contre-exemple parfait. Après, je pense que pour être gardien de haut niveau au hand, au foot, au hockey, de toute façon, il faut avoir un grain. Tu ne peux pas être totalement normal dans ta tête si tu es gardien de but. C’est impossible.

L’image qui reste surtout de toi c’est cette relation d’amour que tu as réussi à installer avec ton poteau gauche. D’où ça vient ?C’est quelque chose qui vient d’un gardien qui jouait à Nice, quand moi j’étais au centre, et qui s’appelait Fabien Piveteau. Quand j’étais jeune, je voyais Fabien jouer et il avait ce gimmick là. Si tu veux, quand t’es gamin, surtout dans les années 90 où t’as pas internet, très peu de télé, tu t’identifies à ce que tu as à côté de toi. Et moi, je trouvais ce truc sympa. Je me cherchais un peu une identité et j’ai commencé à le faire quand j’étais en réserve. C’est devenu à moi ensuite, pendant dix-huit ans.

Est-ce que ton poteau t’a déjà trompé ?C’est marrant ce que tu me dis car souvent les gens m’appelait la baraka. Sur une saison, la 2003-04, j’ai eu une baraka au-delà de la moyenne. Mais je pense que sur une carrière ça s’équilibre donc oui, malgré le bisou, il est arrivé qu’il me trahisse.

L’odeur de la peinture et du poteau où je posais ma lèvre est un truc qui me manque vachement. Surtout que moi, j’ai un gros nez donc je la sentais direct.

Dans ta tête, qu’est-ce que t’apportait ce bisou ?En fait, à ce moment-là, le match commence. J’ai adoré mon métier à en crever mais je détestais tout ce qu’il y avait avant. J’ai toujours détesté la demi-heure qui précédait le match. L’échauffement, pour moi, c’était une torture. Alors le moment du bisou, pour moi, c’est l’instant où le rideau se ferme. Pendant une heure et demie, il n’y a plus rien sur terre qui existe. Je tournais le bouton et je devenais quelqu’un d’autre. Une sorte de bête, de scène ou de cirque en fonction, mais je savais qu’à ce moment là, M. Hyde entrait en scène.

Quel genre de personne devenais-tu à ce moment-là ?Pas un personnage parce qu’on ne joue pas un rôle. Je devenais extrêmement froid, pragmatique, égoiste. Une sorte de petit chef de guerre, quelqu’un qui peut devenir détestable parce que quand tu vis ta passion à fond, tu ne vis que pour la gagne. Je crevais pour gagner et j’ai très vite compris à quel point une défaite faisait mal. C’est pour ça que parfois j’en ai peut-être trop fait, avec des phrases déplacées, de gestes déplacés, qui parfois allaient au-delà du sportif. Alors oui, tu peux devenir une personne que tu peux facilement détester.

Est-ce que tu as déjà raté un bisou sur un poteau ?Ah non. D’ailleurs c’est très drôle parce que dans les petits clubs, souvent en Coupe, les gens me criaient souvent « N’oublie pas le bisou ! » . Alors quand je pense que je l’ai piqué à quelqu’un, je trouve que c’est un bel hommage de perpétuer cette tradition.

Est-ce qu’il y a un poteau plus agréable qu’un autre ?Écoute, non. Ils se ressemblent un peu tous. C’est un peu froid, c’est un peu dégueu mais quand tu arrêtes le foot, c’est ce genre de trucs à côté qui te manquent le plus. L’odeur du fer au moment où je posais ma lèvre dessus. Surtout que moi, j’ai un gros nez donc je la sentais direct. L’odeur de la peinture et du poteau est un truc qui me manque vachement. Quand tu arrêtes ta carrière, c’est pas la tune, les bagnoles ou les gonzesses qui te manquent mais c’est ça. Alors je te rassure, je n’ai pas fait monter un poteau chez moi pour l’embrasser tous les soirs mais c’est quelque chose qui me manque énormément. Il faut comprendre que quand tu arrêtes le foot, c’est fini à tout jamais. Tu peux rejouer au foot avec tes potes mais tu n’embrasseras plus jamais un poteau.

Quand j’étais petit, le PSG cherchait une mascotte. Et, un jour, un pétard a explosé à côté de ma figure et je n’ai plus jamais voulu y retourner (rires).

Ta femme a-t-elle déjà été jalouse de ton poteau ?Les différentes compagnes que j’ai eues au cours de ma carrière, non. Elles trouvaient même ça plutôt mignon, elles n’étaient pas jalouses du tout, pas à propos du poteau en tout cas (rires).

Tu préfères embrasser un poteau ou un trophée ?Les deux fois où j’ai embrassé la Coupe de France, c’était bien sympathique quand même. C’est de la bonne ferraille.

Justement, on parle d’amour. Du coup, pour toi, le cœur c’est le PSG ?Non, ça serait injuste de dire ça. J’ai une histoire à part et à jamais avec ce club mais quand on parle de fidelité, tu sais, j’ai été formé à Nice, je me suis fait un nom à Marseille, il y a eu Sainté, le PSG et Nantes. Si tu veux, j’ai toujours joué dans des clubs avec une histoire. En treize ans, passer de l’OM au PSG, tu vois, c’est dur à porter surtout quand t’es gardien, c’est lourd. J’ai effectivement, par rapport aux autres clubs, une histoire plus particulière avec le PSG.

Comment a-t-elle commencé ?Mon papa a créé le centre de formation du PSG ce qui a conditionné d’ailleurs toute une partie de ma carrière car un jour, mon père a recruté un garçon qui s’appelait Luis Fernandez. Au bout de sa première année, le comité directeur du PSG voulait le renvoyer et mon papa a dit « non, non, le petit Luis vous me le laissez encore deux ans et je vais en faire quelque chose » . Et à cette période-là, le club cherchait une mascotte, un truc marrant pour animer avant les matchs et donc ils ont décidé que ça serait moi qui entrerait avec le ballon du match, devant les joueurs, avec le poing levé. Ça a duré un moment et, un jour, un pétard a explosé à côté de ma figure et je n’ai plus jamais voulu y retourner. Voilà comment l’histoire s’est fini lamentablement (rires).

Qu’est-ce qu’on ressent quand on est gamin et qu’on entre avec le poing levé au centre du Parc ?J’ai énormément de mal à avoir des souvenirs précis de cette période car c’était il y a quand même quarante ans ! Je me souviens de bruits très, très forts, de la mi-temps où je traversais le terrain d’un but à l’autre et de moments où quand je marquais dans le but vide les gens se levaient. Si tu veux, je serai malhonnête de dire que je ressentais de la fierté.

Du coup dans ta carrière, si tu avais dû embrasser un écusson, ça aurait été lequel ?Le truc c’est que quand t’es gardien, c’est dur d’embrasser un écusson. C’est un truc d’attaquant, quand tu marques, et moi j’ai pas trop marqué. J’aurais pu le faire dans tous les clubs où je suis passé avec leur histoire mais c’est vrai que je prenais énormément de plaisir à voir Ronaldinho ou Pauleta le faire. Quand ces mecs marquaient, c’est moi qui marquait. D’ailleurs, souvent, je traversais le terrain alors que ce n’est pas forcément autorisé de le faire. C’était spontané. C’est super frustrant gardien car quand tu fais un arrêt, c’est très rare qu’un mec vienne te voir alors que quand un mec met un but pourri, tout le monde va le voir, c’est super injuste. Donc moi, je vivais cette frustration par le plaisir de voir Pedro ou Ronnie marquer des buts de folies. J’embrassais l’écusson à travers eux.

Depuis le début tu nous parles de bisous, d’histoire, mais comment embrasse-t-on l’histoire d’un club alors ?En écrivant une page qui marque. Je n’ai pas été champion de France mais j’ai réussi trois montées avec Nice, l’OM post-VA-OM à un moment où le club était en train de mourir avec une équipe faite de jeu et de minots, et j’ai eu la chance de finir mon triptyque avec Saint-Étienne, un autre monument en péril à l’époque. J’ai l’impression d’avoir laissé une trace.

Justement le foot, c’est aussi une histoire de danse et de câlins. Qu’est ce que tu ressens au moment où tu vois Luis Fernandez danser avec sa sucette dans la bouche lors d’un PSG-OM ?Je suis sur le banc à ce moment-là, Lionel joue le match. Je suis à cinq mètres de lui et on a tous envie de danser aussi. À aucun moment on se dit que Luis est fou parce qu’en 2003, c’est pas l’époque de Twitter ou Facebook. S’il fait ça aujourd’hui, c’est un raz-de-marée mondial. Sur le coup, on ne se rendait pas compte de l’importance que ça allait prendre parce qu’au retour, on a vécu l’enfer. On avait les RG avec nous et tout. C’était de la folie. Mais quand Luis le fait, à l’instant où il le fait, on est tous avec lui. Il y a une communion rare entre lui, le stade, la sucette et le banc. On est tous Luis.

On parle de danse mais Ronaldinho était-il le plus beau danseur que tu aies vu sur un terrain de foot ?Sur un terrain je sais pas mais en dehors, c’est sûr ! (rires). Mais oui, Ronnie c’était… pfff. Souvent, quand on me demande le meilleur joueur avec qui j’ai joué, j’hésite entre lui et Pedro. Pedro, c’était pas le spectacle, c’était l’obsession de la mettre au fond. Mais pour la beauté, Ronnie ne touchait parfois même pas le sol. C’était Michael Jordan sur un terrain de foot. C’était Air Ronnie. En dehors du terrain, ça a toujours été un mec adorable avec moi. J’étais peut-être le joueur le moins connu de l’effectif mais il me demandait toujours de rester avec lui pour les coups francs à la fin de l’entraînement. Même, on a fait deux ou trois bringues ensemble. À l’époque, je gagnais 10 000 euros par mois mais Ronnie il n’en avait rien à foutre, même dans mon Audi A3. On partait bouffer, c’était le copain que tu pouvais avoir en PH. Il avait une simplicité en dehors effarante.

J’ai pris un Paris-Lisbonne avec Pauleta. Bah écoute, j’aurais voyagé avec le pape que c’était pareil.

Et avec Pedro, du coup, c’était quoi ton coup de cœur ?Sur le terrain, il y en a trop mais un jour, tout à fait par hasard, je partais en week-end au Portugal. J’ai pris un Paris-Lisbonne avec lui. Bah écoute, j’aurais voyagé avec le pape que c’était pareil. Il fallait voir les mecs d’Air Portugal, c’était incroyable, j’avais l’impression d’être avec Michael Jackson dans l’avion quoi ! Et le mec, bonjour, la bise, des photos à tout le monde. C’était Pedro. Moi, je l’appelais monsieur le ministre mais j’aurais dû l’appeler monsieur le Président.

Justement, sur la pelouse, vous vous êtes quittés sur un bisou. Le sien, au milieu de la pelouse du Parc. Comment as-tu vécu ce moment ?J’ai pensé à Francis Borelli qui avait fait pareil avec sa sacoche à la main. Je me suis dit, c’est marrant, voir le même geste de ces deux personnes qui ont marqué l’histoire d’un même club.

Du coup, ça serait quoi ton plus beau bisou de carrière ?Après ce PSG-OM, mon premier, où j’arrête quatre penaltys, après l’euphorie générale, je crois que tous les joueurs m’ont fait un bisou un par un. Ce soir-là, en février 2002, tu te dis que c’est au-delà du foot. C’est juste onze potes qui viennent te faire un bisou parce que tu viens de leur enlever une épine du pied. Là, ce n’est plus du foot. C’est du rapport humain et c’est beau.

On peut aussi parler du plus beau câlin…J’en ai eu tellement que c’était oui, un bon gros câlin.

Mais qui fait les plus beaux câlins alors ?J’étais trop ému sur le moment mais, de mémoire, j’étais pas loin de me faire galocher par Édouard Cissé (rires). J’ai encore cette photo dans une chambre chez ma mère. Édouard savait à quel point ce match était important pour moi à plusieurs égards. Il savait tout de ma vie à ce moment-là et c’était bien cool.

En quelques mots, si tu devais décrire ton histoire d’amour avec le foot ça serait quoi ?C’est de la passion à en crever, de la passion à s’en rendre malade même si c’est pas évident tous les jours. On est parfois très proche de la folie.

Donc le foot, c’est plus beau que les femmes au final ?C’est plus… vrai (rires).

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