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Le Mohammedan Sporting Club, un symbole de la minorité musulmane en Inde

Par Adrien Candau
Le Mohammedan Sporting Club, un symbole de la minorité musulmane en Inde

Marginalisée par les politiques identitaires du Premier ministre Narendra Modi, la minorité musulmane indienne s'inquiète de l'instrumentalisation de l'islamophobie par une frange importante des leaders ultra-nationalistes hindous. Même si elle peut toujours se raccrocher à certains symboles, encore relativement épargnés par les tensions communautaires : parmi eux, le Mohammedan Sporting Club, une formation mythique de Calcutta, qui a changé la face du football indien dans les années 1930 et réintégré la première division cette saison.

« Si nous sommes cent d’entre nous prêts à tuer deux millions d’entre eux, alors nous serons victorieux et ferons de l’Inde une nation hindoue. » « Eux », ce sont les musulmans, alors violemment ciblés par Pooja Shakun Pandey. Cette meneuse ultra nationaliste s’exprimait ainsi fin décembre, devant des milliers des militants survoltés à Haridwar, à 200 kilomètres au nord de New Delhi. Son obsession ? Faire de l’Inde – un État pourtant laïc et multiconfessionnel depuis son indépendance en 1947 – un pays 100% hindou et délesté de sa minorité musulmane. Des propos outrageux, qui n’ont pourtant pas suscité la moindre réaction de Narendra Modi. Le silence du Premier ministre indien, au pouvoir depuis 2014, n’a pourtant plus grand-chose d’étonnant. « Ces idées sont très anciennes, mais elles sont désormais énoncées en toute impunité, sans qu’aucun membre du parti au pouvoir les condamne et avec le soutien tacite du gouvernement », confiait début janvier au Monde Gilles Verniers, un professeur de sciences politiques à l’université d’Ashoka, dans la banlieue de New Delhi.

L’esprit des musulmans indiens s’est construit au travers de trois grands symboles: l’université musulmane d’Aligarh, l’école islamique Darul Uloom Deoband et le Mohammedan Sporting Club.

De fait, voilà plusieurs années que Modi et son parti, le BJP, ont mis en œuvre des politiques identitaires visant les musulmans indiens, qui représentent 170 millions de personnes (15% de la population). Depuis 2019, le gouvernement a notamment abrogé l’autonomie constitutionnelle du Cachemire, le seul État à majorité musulmane du pays. Il a aussi fait adopter la très critiquée loi sur la citoyenneté, qui facilite l’obtention de la nationalité indienne pour les personnes ayant fui les pays voisins, à condition de ne pas être de confession musulmane. Alors que le pouvoir en place s’attaque avec une subtilité toute relative à la seconde religion la plus pratiquée d’Inde, un symbole national de l’identité musulmane a replongé dans la lumière des projecteurs : pour la première fois depuis 2014, le Mohammedan Sporting Club de Calcutta, identifié comme le club des musulmans du pays, retrouvait fin 2021 la I-League. Soit l’élite du championnat indien.

Les trois grands de Calcutta

Un retour qui n’a rien d’anodin, au pays des maharadjas. « L’esprit des musulmans indiens s’est construit au travers de trois grands symboles : l’université musulmane d’Aligarh, l’école islamique Darul Uloom Deoband et le Mohammedan Sporting Club », assure le journaliste vétéran Zafar Ali Khan, supporter du club depuis 1974. Dans une nation où le cricket écrase notoirement les autres disciplines sportives, le Mohammedan continue de marquer les consciences populaires. D’abord parce que Calcutta est indéniablement la plus grande ville de football du pays, celle qui engendre le plus d’excès, de passion et de rivalités. Mais aussi celle qui a engrangé le plus de succès : avant la création de la première division professionnelle indienne en 1997, le plus prestigieux trophée national fut pendant des décennies la Federation Cup. Cet équivalent de la coupe d’Inde de football a été respectivement soulevé à quatorze, huit et deux reprises par le Mohun Bagan, l’East Bengal et le Mohammedan. Soit trois équipes de Calcutta, qui ont à elles seules remporté 24 des 38 éditions de la compétition.

Le capitaine du Mohammedan, Shabbir Ali, soulève la Coupe de la Fédération, en 1984.

« À mon époque, si vous vouliez percer dans le football, vous deviez soit jouer pour une équipe de Bombay, soit pour une équipe de Calcutta, pose Shabbir Ali, ex-joueur et capitaine emblématique du Mohammedan, de 1980 à 1987. Mais de nombreux joueurs finissaient par opter pour Calcutta, parce que les trois grands clubs de la ville ont un charme à part. L’amour du foot et la folie des fans de Calcutta n’a aucun équivalent dans le pays, encore aujourd’hui. Le derby Mohun Bagan-East Bengal dépasse souvent les 100 000 spectateurs d’ailleurs. » Le Mohammedan, lui, jouit d’un statut plus spécifique. « C’est le club emblématique des musulmans du Bengale-Occidental (région indienne frontalière du Bangladesh, NDLR), poursuit Shabbir Ali. Moi, j’ai pu participer au second âge d’or de l’équipe dans les années 1980. Nous avons notamment remporté deux coupes de la Fédération, en 1984 et 1985. »

The Golden Age

La première apogée du club est intervenue des décennies plus tôt. Fondé en 1891 par des musulmans de Calcutta, le Mohammedan prend vite une coloration politique, alors que l’Inde commence à remettre en question la domination du colon anglais sur ses terres. La scène publique bengalie est alors divisée entre le Congrès national indien – un parti à dominante hindoue qui pilote le Mouvement national pour l’indépendance – et la Ligue musulmane, qui œuvre à la défense des droits des Indiens musulmans. « Des documents d’époque montrent que certains membres exécutifs du Mohammedan étaient déjà publiquement critiques du Congrès, pointe Kausik Bandyopadhyay, professeur d’histoire à la West Bengal State University, auteur de plusieurs livres sur le football indien. Néanmoins, le club permettait surtout aux musulmans de Calcutta de se sentir représentés et valorisés via le football. Il n’était pas encore vecteur de tensions ou de revendications communautaires et religieuses. »

Les joueurs du Mohammedan, en 1936.

Les choses se gâtent au détour des années 1930. La Ligue musulmane commence alors à militer massivement pour la création d’un État séparé pour les musulmans indiens, ce qui aboutira à la création de la République islamique du Pakistan, en 1947. Ce sont lors de ces deux décennies de bouillonnement politique que le Mohammedan s’impose comme la superpuissance du football indien : entre 1934 et 1941, le club remporte sept fois la Calcutta Football League, qui constitue alors la division régionale la plus relevée et suivie du pays. Il devient ainsi la première équipe indienne créée par des locaux – et non par des colons britanniques – à soulever le prestigieux trophée. Le club épouse alors une symbolique émancipatrice, dans le récit populaire : « Certains considéraient le Mohammedan comme une incarnation du succès de tous les Indiens contre l’empire britannique », retrace Zafar Ali Khan. Les Blacks Panthers (le surnom des joueurs du Mohammedan) fédèrent aussi au sein d’une communauté musulmane pourtant divisée sur la question de la création d’un État islamique, qui ferait sécession de l’Inde. « Le Mohammedan était autant le club des partisans de la Ligue musulmane – favorables à une partition des musulmans indiens – que celui des nationalistes musulmans alliés au Congrès National, qui voulaient que les leurs restent intégrés à une Inde indépendante, plurielle et multiconfessionnelle », explique Bandyopadhyay.

La grande équipe du Mohammedan des années 30

Soutenu publiquement et financièrement par les élites musulmanes du pays, le Mohammedan prend une tournure plus clivante à la fin des années 1930, alors que les tensions religieuses et communautaires atteignent leur paroxysme.« Le Mohammedan commençait davantage à être perçu comme l’expression du sentiment et de l’identité musulmane, voire de la Ligue musulmane au Bengale », traduit Bandyopadhyay. De quoi exacerber les tensions avec les deux autres grandes formations de Calcutta, le Mohun Bagan et l’East Bengal, majoritairement supportées par des Hindous. « Dans les comptes-rendus d’époque, il est fait mention de matchs à Calcutta où les spectateurs utilisaient carrément des couteaux pour poignarder les supporters adverses, précise Bandyopadhyay. Certains fans venaient également au stade avec des bouteilles d’eau gazeuse, pour les jeter sur les joueurs ou interrompre les matchs. » On n’invente plus rien de nos jours.

Après la partition de 1947, des millions de musulmans ont quitté Calcutta. Le Mohammedan a perdu énormément des supporters, notamment des soutiens de poids sur le plan politique et économique.

La partition, puis le déclin

L’année 1947 sera à la fois celle de l’indépendance de l’Inde et de la création du Pakistan. Elle amorce aussi l’inévitable déclin du Mohammedan. Le Bengale est en effet particulièrement affecté par ces bouleversements géopolitiques : l’est de la région, à majorité musulmane, est détaché du territoire indien, pour être affilié au Pakistan. Le territoire – d’abord qualifié de Bengale oriental – prendra le nom de Bangladesh, à la suite de son indépendance en 1971. « Après la partition de 1947, des millions de musulmans ont quitté Calcutta et le Bengale occidental pour aller vivre au Bengale oriental ou au Pakistan, confirme Bandyopadhyay. Le club a perdu énormément de supporters musulmans, notamment des soutiens de poids sur le plan politique et économique. Bien sûr, il était toujours important pour les musulmans qui sont restés en Inde. Il a aussi continué de remporter des trophées à l’occasion, mais il n’a plus jamais été une force dominante du football indien. » Si l’équipe reste très marquée identitairement, elle sera progressivement perçue comme moins communautaire et politisée, au fil des années. « De mon temps, la quasi-intégralité des supporters étaient musulmans, se souvient Shabbir Ali, qui a participé à remettre le club au sommet des charts du football indien, en remportant le championnat de Calcutta en 1981. Les musulmans restent assez largement majoritaires, mais tu trouves aussi des fans d’autres confessions qui soutiennent le Mohammedan aujourd’hui. »

Monument populaire

La professionnalisation du football indien dans les années 1990 sera un temps fatale à l’emblématique formation de Calcutta. « Le Mohammedan a longtemps eu de grosses difficultés à trouver des sponsors et financements solides, confirme Shabbir Ali, qui a aussi entraîné les Black Panthers de 2007 à 2010. Néanmoins, quand on m’interrogeait sur le futur incertain du club, je disais toujours la même chose : à savoir, qu’il était suffisamment populaire pour ne jamais avoir à disparaître. » Alors que Narendra Modi et le BJP soufflent depuis des années sur les braises des crispations communautaires, le Mohammedan semble encore relativement préservé par le durcissement des tensions politico-religieuses. « Il faut souligner que les musulmans représentent encore 40% de la population du Bengale. Le club a toujours un soutien très important là-bas, nuance Bandyopadhyay. S’il maximise ses investissements et améliore ses infrastructures, il a le potentiel pour redevenir une des plus grandes formations du pays. » Racheté à 50% par la firme Bunkerhill Private Limited en 2020, le Mohameddan a remporté un an plus tard son premier championnat de Calcutta depuis 1981. Cette saison, il réintègre même la première division indienne, la I-League, après sept ans d’absence dans la compétition. De quoi perpétuer comme il se doit la légende d’une formation décidément unique, dans l’histoire et le paysage du football indien.

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Par Adrien Candau

Tous propos recueillis par AC

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