- FC Matignon
- AS Élysée 2 (3-2)
Le match que vous n’avez pas regardé : FC Matignon-AS Élysée
Pendant que Toulouse dominait Valenciennes ou que le Bayern explosait face à Bochum, deux équipes se livraient un choc titanesque. À Paris, l'équipe du Premier ministre recevait en effet celle de l'Élysée dans un derby électrique. Et on ne sait toujours pas si l'équipe du président de la République est candidate à la montée.
FC Matignon 3-2 AS Élysée 2
Au centre sportif Jules Noël, dans le 14e arrondissement de Paris, près de la porte d’Orléans, il n’y a qu’un seul terrain de foot : un magnifique synthétique, pas toujours du même vert à tous les recoins. À 30 minutes de ce choc entre le service du Premier ministre (renommé FC Matignon, car c’est plus joli) et l’équipe 2 de l’AS Élysée, les futurs acteurs de la rencontre s’échauffent sur un quart de terrain. Une des rares parcelles qui ne baigne pas dans le soleil parisien. Des ados occupent l’autre portion et des gamins, en bleu et en orange, s’affrontent sur la seconde moitié de la pelouse. Les adolescents, sans doute mal renseignés sur les horaires, commencent à comprendre qu’ils vont devoir se chercher un nouveau gazon : à 15 heures, les Verts de l’Élysée et les Rouges de Matignon vont en effet se déchirer. Ce match de la troisième division de la ligue des entreprises a de quoi tenir en haleine, l’AS Élysée 2 surfant notamment sur une impressionnante série de quatre succès consécutifs. « C’est parce qu’il y a les présidentielles qui arrivent ! » rigole Steeve, le coach assistant/arbitre de touche/remplaçant/joueur du FC Matignon.
Peu de joueurs du cru
En fait, les hommes du palais présidentiel sont généralement une proie facile. « Souvent, on coche déjà les trois points », explique Michael, l’entraîneur de l’équipe de Jean Castex. D’ailleurs, aucune chance de voir débouler le chef du gouvernement et encore moins le chef d’État, dans ce centre sportif du sud de Paris. Il y a même très peu de probabilités de voir une personne travaillant réellement à l’Élysée ou à Matignon. S’il fallait jadis avoir un lien avec le palais ou l’hôtel pour entrer dans l’équipe, les joueurs viennent désormais d’horizons bien différents. Beaucoup d’étudiants représentent par exemple Matignon, alors que coach Micky est machiniste à la RATP. Ancien gendarme et débarqué des Antilles fin 1999, il est aussitôt rentré dans l’équipe en 2000. Le coup d’envoi, lui, tarde à être donné par l’arbitre du jour Jamal Miraoui. Mais à 15h13, Rouges et Verts sont enfin libérés.
Si ne pas vraiment travailler au sein de ces institutions n’aide pas à créer une véritable rivalité, la tension est palpable. Le banc de Matignon est garni de remplaçants, de blessés, de supporters et de joueurs arrivés en retard à cause du travail. « Ça, c’est un de mes joueurs », glisse plusieurs fois Michael au cours du match, en se retournant vers des types pas franchement habillés pour aller taper dans un ballon. Jouer un samedi à 15 heures est assez contraignant, et c’est aussi pour ça qu’il y a de moins en moins de personnes de Matignon. « Souvent, ils travaillent. Et encore, là, on joue à 15 heures. Parfois, c’est 11h30… Je ne comprends pas », peste le coach. Quoi qu’il en soit, l’ambiance est chaleureuse à Matignon. Tout le contraire du côté de l’Élysée, où une seule femme s’assoit sur le banc. Elle est rapidement rejointe par un blessé, puis par un joueur qui n’est pas sur la feuille de match. À deux et demi face à une dizaine, le palais présidentiel ne compte pas sur le douzième homme.
Les trois frères
Gonflés à bloc, les joueurs de Matignon prennent le contrôle de la partie. Mais les Élyséens s’engouffrent dans les brèches et forcent le latéral droit, Boubou, à provoquer un penalty. Heureusement pour lui, son gardien à la repartie bien tranchée et à la voix qui porte détourne le ballon sur sa barre pour empêcher le hold-up. Bien que maladroit dans la dernière passe, Matignon finit par trouver Jo, le capitaine habituel de l’équipe qui a dû exceptionnellement laisser son brassard. « On ne savait pas quel jeu de maillots ils allaient utiliser, donc il a dû aller chercher ceux-ci en catastrophe, alors qu’ils étaient encore en train de sécher, détaille le coach.On a dû donner un autre capitaine à l’arbitre sur la feuille de match, le temps qu’il revienne. » Même sans son tissu autour du biceps, le numéro 9 fait son boulot et ouvre le score. 1-0, avantage Matignon. La mi-temps se profile, mais le numéro 4 rouge – d’ordinaire remplaçant – s’emmêle les pinceaux : il permet à Étienne, l’entraîneur-joueur de l’Élysée, d’égaliser. 1-1 à la pause, donc. Après quelques causeries individuelles, le match reprend. Et une nouvelle fois, le numéro 4 rouge se distingue d’une bien mauvaise manière en concédant un penalty. Cette fois, le portier de Matignon ne peut rien, et les Verts – couleur donnée à l’équipe par Valérie Giscard d’Estaing, grand fan de Saint-Étienne – prennent l’avantage. Une avance de courte durée puisque l’ailier droit rouge, le 11, ramène tout le monde à égalité à peine deux minutes plus tard d’un pointu sous la barre. Virevoltant, Sébou est le frère de Boubou, le latéral droit, juste derrière lui. Mais ils sont également les frères de Ramos, le défenseur central. La famille Hernández n’a qu’à bien se tenir.
À mesure que le chrono tourne, les consignes et les élucubrations jaillissent en créole depuis le banc de Matignon. Outre l’entraîneur, beaucoup d’Antillais représentent l’équipe du Premier ministre. De l’autre côté, c’est toujours aussi silencieux. Mais ils confirment qu’il s’agit bien de l’équipe habituelle, malgré les doutes du staff adverse soupçonnant certains joueurs de la 1 d’être venus prêter main forte à la 2. À un bon quart d’heure de la fin, Jo inscrit un doublé de la tête et redonne l’avantage aux siens. S’ensuivent des dernières minutes qui semblent durer une éternité, pour les futurs vainqueurs. « Il a rajouté une heure de temps additionnel ou quoi ? » balance Roben, le gardien de Matignon. Après une fin de match tendue et hachée, l’arbitre finit par renvoyer tout le monde aux vestiaires et permet aux hommes du Premier ministre de s’imposer dans ce choc. Peut-être un des derniers, puisque les équipes de sport tendent à disparaître des institutions. Et le foot, bien que toujours présent, obtient de moins en moins de subventions. L’équipe qui reçoit, Matignon en l’occurrence ce samedi, doit payer l’arbitre de sa poche (76 euros). Il est de plus en plus difficile pour ces équipes de continuer à exister. Alors, pourquoi ne pas élire Zinédine Zidane aux prochaines présidentielles afin de remettre le ballon au milieu du terrain ?
Par Léo Tourbe, à Paris XIV