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Le jour où une sélection féminine espagnole clandestine a défié Franco

Par Anna Carreau
7 minutes
Le jour où une sélection féminine espagnole clandestine a défié Franco

Le 21 février 1971, le stade La Condomina de Murcie est le théâtre d'un match historique pour le football espagnol : les débuts de l'équipe nationale féminine espagnole. En pleine dictature franquiste, la Roja féminine affronte le Portugal, mais son principal rival est en dehors du terrain : les défenseurs acharnés du modèle du football comme sport viril, réservé aux hommes et seulement aux hommes.

Il y a 51 ans, 19 joueuses espagnoles prenaient place sur le carré vert du stade La Condomina de Murcie et défiaient la dictature franquiste ouvertement machiste, pour qui la femme doit être au foyer à s’occuper de la marmaille. Le football féminin est alors en plein essor aux quatre coins de l’Europe, l’UEFA vient de reconnaître officiellement la pratique comme nouvelle discipline… Mais Franco et ses sbires refusent toujours de voir des femmes taper dans un ballon, alors que la Section féminine de la Phalange, parti fasciste au pouvoir, n’autorisait les femmes qu’à pratiquer le volley-ball, le handball, le basket-ball, le hockey, la natation, le ski et l’alpinisme. En plus des sports dits « féminins » , tels que la gymnastique, la natation synchronisée, la danse etc. Le grand sport roi a lui pour devise « seulement pour les hommes ». Et si l’on estime qu’à cette époque, il y avait 950 équipes féminines en Espagne, dont seulement 40 avaient une structure organisée, hors de question pour le président de la Fédération royale espagnole de football de l’époque José Luis Pérez Payá de voir une équipe revêtir les couleurs nationales. « Je n’ai rien contre le football féminin, mais je ne l’aime pas non plus, déclarait-il en 1970. Je ne le vois pas comme très féminin d’un point de vue esthétique. Une femme en chemise et en short n’est pas très flatteuse. N’importe quelle tenue régionale lui conviendrait mieux. »

La Phalange et sa mainmise sur le football

Alors qu’un premier championnat national féminin est en train de se mettre en place, porté par quatre clubs – Sizam de Madrid, Peña Femenina Barcelonista, Polidepotivo Fuengirola et Racing de Valencia -, un tout premier match est organisé par Rafael Muga, un jeune enseignant tout juste diplômé ayant la volonté de mettre en avant le football féminin. Le match entre Sizam et Mercacredit réunit 8000 personnes sur le terrain de Villaverde, dans la banlieue madrilène, ce qui vaut à l’instigateur de finir en garde à vue. Il sera finalement vite relâché grâce aux 50 personnes réunies devant la caserne. La dictature franquiste est alors affaiblie, et même si la Phalange continue de vouloir contrôler la moindre action individuelle – l’état de santé de Franco se dégradant et son successeur étant déjà désigné -, les revendications sociales et les attentats contraignent les autorités dictatoriales à lâcher du lest. Un contexte qui rend possible cette fameuse rencontre du 21 février 1971, tout premier match de l’équipe nationale féminine espagnole. Un match finalement historique, qui devait initialement n’être qu’une opposition entre le Portugal et l’équipe nationale de Castille à Madrid, mais qui par l’impulsion du récent championnat et l’impossibilité de jouer dans la capitale, opposera finalement une sélection espagnole clandestine à ses voisins lusophones, à Murcie, au stade de La Condomina.

Dans la ville du sud de l’Espagne, les organisateurs disposent partout des affiches où l’on voit les joueuses être associées à des stars masculines de l’époque, ainsi renommées Kubalita, La Amancio, La Puskás… Une publicité malvenue pour la section féminine locale, qui s’empresse de les arracher ou de grimer les jeunes femmes en hommes à coups de feutre. Le jour J, le président de la Fédération de Murcie, Manuel Cerezuela, tente d’empêcher les actrices d’accéder au stade en se plaçant devant la porte des vestiaires. Accompagné de membres de la Phalange, il dissuade également les supporters d’entrer dans le stade, leur promettant de les envoyer en prison. Voilà pourquoi seuls 3000 spectateurs assistent à cette rencontre historique, ayant payé leurs places entre 40 et 50 pesetas. Pour autant, Codina Benítez, président du Real Murcia et propriétaire du stade à l’époque, ignore toutes les menaces et va au bout de son idée. « Nous avons amené ce premier match de l’équipe nationale espagnole à Murcie, car c’est ici que nous avons trouvé des installations meilleures que partout ailleurs. Ici, pour autant que nous le sachions, il y a une grande ambiance », s’est enthousiasmé Manuel Carlon Urién, organisateur du match, lors de la présentation des équipes.

Un premier match officiel dix ans plus tard

Sur le terrain, l’arbitre Sánchez Ríos débarque en jogging et T-shirt bleu, la tenue officielle lui ayant été interdite par la Fédération. Les joueuses espagnoles, elles, n’étaient pas autorisées à porter l’écusson espagnol sur leur maillot ou à écouter l’hymne. Elles se donc contentées de simples T-shirts rouges. Le coup d’envoi prévu à midi a lui aussi été retardé par les nombreux obstacles des dirigeants franquistes. En vain. « La graine avait déjà été semée, raconte aujourd’hui Rafael Muga à AS des années plus tard. Et des clubs consolidés s’ouvraient dans toute l’Espagne : Olímpico Villaverde, Espanyol de Barcelona, Marcol de Valencia, Fuengirola, Isla Cristina, Peña Barcelonista Femenina, Sizam et tant d’autres… C’était une véritable révolution qui fut à l’origine de ce qu’est aujourd’hui le football féminin espagnol. » Disputée en deux périodes de 35 minutes, la rencontre se solde finalement sur un score de 3-3. Laura, autrice du premier but officieux de la Roja femenina, a ouvert le score, tandis que le capitaine espagnol Conchi « Amancio » et Cruz ont marqué les deux autres buts. « Il n’y a pas de mots pour décrire ce match, s’émeut aujourd’hui Carmen Arce « Kubalita », la première gardienne internationale d’Espagne. Nous étions inconscientes de toute la spirale contre le football féminin. Quand nous avons joué à La Condomina, la section féminine de La Phalange a dit que le match n’allait pas se jouer, et ils l’ont dit alors que le stade de La Condomina était plein de monde. Mais nous ne nous sommes pas rendu compte de tout cela. Il y a eu une opposition de la RFEF qui n’a pas cessé, jusqu’à étouffer le football féminin. »

Après ce match, cette équipe nationale clandestine espagnole en a joué cinq autres à Turin, Padoue, Udine, Cordoue et Badajoz, toujours sans porter l’écusson national sur son maillot. Elle devra même renoncer à sa participation à la deuxième Coupe du monde féminine au Mexique en 1971 en raison d’une interdiction express formulée par la Fédération espagnole. Il faudra attendre novembre 1980 pour que la Fédération espagnole, sous la présidence de Pablo Porta, reconnaisse enfin officiellement le football féminin, mais à titre non professionnel, et établisse que ce match Espagne-Portugal devienne le premier match de la sélection. Le 5 février 1983, la sélection féminine espagnole dispute son premier match officiel, arborant cette fois l’écusson de la RFEF sur son maillot. Curieusement, les débuts officiels se feront aussi contre le Portugal. Cinquante et un ans plus tard, le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez salue le courage des 19 pionnières « pour toutes les réalisations, pas seulement dans le sport. Pour avoir donné de la visibilité aux femmes dans le sport et ouvert la voie aux prochaines générations. Continuons à travailler pour que les femmes puissent concourir en toute égalité. »

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