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Le jour où un doublé de David Hellebuyck en Bolivie a consolidé la diplomatie française

Par Thomas Allain
Le jour où un doublé de David Hellebuyck en Bolivie a consolidé la diplomatie française

« Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? » Le 15 mars 1997, l’une des plus célèbres théories mathématiques a été revisitée pour devenir « Comment la reprise des essais nucléaires français en Polynésie a-t-elle permis à David Hellebuyck de claquer un doublé en Bolivie ». Retour sur une page d’histoire méconnue du football français.

En mars 1997, le président Jacques Chirac effectue sa première visite officielle en Amérique latine en compagnie de plusieurs chefs d’entreprise français. Pendant ce voyage de huit jours, il a prévu de se rendre dans cinq pays : le Brésil, l’Uruguay, l’Argentine, le Paraguay et la Bolivie. Si les quatre premiers sont les fondateurs du MERCOSUR, la communauté économique sud-américaine, la Bolivie n’y joue qu’un rôle d’associé. Alors, pourquoi Jacques Chirac tient-il à faire un stop dans le pays andin ? Pour connaître la réponse, il faut revenir quelques mois en arrière. À l’époque, le président français provoque un tollé mondial en annonçant sa volonté de reprendre une dernière campagne d’essais nucléaires, et, face à l’ONU, la Bolivie fait partie des rares pays à ne pas voter contre la France. Dans la foulée, le président bolivien glisse à son homologue français qu’il apprécierait un petit coup de pouce permettant au pays andin de gagner le bras de fer qu’il livre face à la FIFA. Cette bataille, c’est celle de l’altitude.

Des jeunes pousses comme cobayes

La Bolivie est à l’époque une nation footballistique de premier plan sur le continent, et ses principaux concurrents souhaitent lui interdire de jouer ses matchs de qualification à La Paz. La capitale administrative bolivienne est perchée à 3 600 mètres d’altitude, et jouer un match dans son stade Hernando-Siles nécessite une préparation physique et alimentaire spécifique, au risque de souffrir de forts maux de tête et d’une fatigue musculaire inhabituelle. Au fil des semaines, le président français devient un soutien de poids pour la Bolivie et joue le rôle d’avocat de luxe face à l’organisation mère du football mondial. Sa visite à La Paz ne fait donc que sceller son engagement, et ce petit arrangement aura débouché sur l’organisation d’une rencontre amicale entre les deux pays dans l’enceinte au cœur de la polémique : le stade Hernando-Siles de La Paz. Le football comme arme diplomatique, en quelque sorte.

La visite du président français en Bolivie tombe en plein championnat de France. Envoyer des joueurs professionnels à l’autre bout du monde pour disputer une rencontre amicale serait insensé. La sélection Espoir ? Pas possible, elle vient juste de s’imposer face à la Suisse en match de qualification à l’Euro (1-0, but de Henry). Solliciter les catégories inférieures reste la seule option. Excepté le jeune Mickaël Landreau, déjà promu chez les Espoirs, les meilleurs joueurs français de la génération 1979-1980 sont conviés et embarquent pour le vol Paris-Miami-La Paz le lundi 10 mars 1997. Dans cette aventure ô combien excitante, les 15 joueurs de la catégorie U17 sont encadrés par des monuments de la FFF : Henri Emile, Jean Verbeke ou Christian Damiano, l’actuel DTN de la Chine. Le corps médical est composé d’un jeune médecin, un certain Franck Le Gall et d’un kiné à peine plus âgé, Christophe Geoffroy. Les joueurs arrivent sur place quelques jours avant la rencontre et affirment à la presse bolivienne ne présenter aucune gêne liée à l’altitude. De son côté, le gouvernement local veut transformer cet événement en fête et distribue des places gratuites dans les écoles et les clubs sportifs de la ville.

Hellebuyck, ce héros

Le jour J, le stade est comble, 45 000 spectateurs sont venus assister à cette rencontre de l’amitié. Le président Chirac fait son apparition dans l’enceinte bolivienne sous les acclamations du public. Il est reçu par son homologue qui lui remet le titre de « Grand condor des Andes » (la plus grande distinction du pays) pour avoir défendu la cause andine et défié la FIFA. En fin tacticien, Chirac s’est assuré de la présence à ses côtés de Michel Platini qui est à l’époque le co-président du Comité français à l’organisation de la Coupe du monde 98. Lors de son discours, Chirac se la joue cool et se permet même de chambrer Platoche. « J’étais persuadé qu’un jour, sur un stade de football, je ferais mieux que Michel Platini, eh bien c’est fait, car lui n’a pas cette décoration » , se marre-t-il avant d’ajouter, un brin optimiste : « Et si les dieux sont avec nous, peut-être aurons-nous le privilège de voir la Bolivie et la France en finale de la Coupe du monde à Paris. » Le public est conquis, et les hymnes retentissent. Michel Platini donne le coup d’envoi d’une louche maîtrisée, et les équipes peuvent enfin en découdre.

Titulaire dans les rangs boliviens, le futur international Augusto Andaveris se souvient. « J’étais anxieux, nerveux. Imagine-toi, à mon âge, jouer devant autant de monde, il y avait les deux présidents, Michel Platini… À l’époque, je jouais déjà en première division, mais seulement devant 5 000 personnes. Ces ambiances-là, je ne les ai retrouvées qu’en Copa Libertadores ou avec la sélection. » Pas émoussés, les Bleuets mettent du rythme d’entrée de jeu, et dès la troisième minute, l’ex-futur prodige David Hellebuyck décoche une frappe des 25 mètres en pleine lucarne (0-1). Les Français asphyxient les Boliviens, et 25 minutes plus tard, le jeune Steed Malbranque sert ce diable d’Hellebuyck qui remet ça (0-2, 29e). Pour Andaveris, il n’y avait pas photo : « Je me souviens avoir failli marquer de la tête, mais c’est tout, les Français étaient supérieurs et paraissaient ne pas ressentir de gêne avec l’altitude, ils couraient autant que nous et jouaient de manière très rapide. » En seconde période, les tricolores feront briller Carlos Arias, futur gardien de la sélection bolivienne (42 sélections avec les A), puis lèveront le pied et se contenteront de gérer, ils finiront même à 10 après l’exclusion d’un dénommé Frédéric Robin. Le match se termine sous les « Viva Francia » du public local : Jacques Chirac a démontré qu’il maîtrisait à merveille la diplomatie du football.

Prendre de la hauteur

Depuis, la polémique de l’altitude resurgit comme un vieux serpent de mer, mais la Verde continue de jouer ses matchs de qualification à La Paz. Parmi les joueurs présents en 1997, certains connaîtront le bonheur d’être sélectionnés avec les A lors du siècle suivant. Côté bolivien, les supporters du FC Rouen se souviendront peut-être de Carlos Duran, passé brièvement par le club normand lors de la saison 2007-2008. Le gardien Arias et les deux attaquants Bengolea et Andaveris porteront aussi le maillot de la sélection bolivienne. Chez les Français, la grande majorité finira professionnelle, et David Hellebuyk, bourreau des Boliviens, se contentera d’une belle carrière de plus de 400 matchs professionnels dans l’élite. D’autres auront l’occasion de jouer avec la sélection suprême de différents pays comme Sébastien Frey, Anthony Réveillère ou Jérémie Bréchet avec les Bleus, Samir Beloufa avec l’Algérie et Gilles Domoraud avec la Côte d’Ivoire. Le défenseur David Di Tommaso succombera lui tragiquement d’un arrêt cardio-circulatoire en novembre 2005.

De ce passage éclair de l’équipe de France U17 en Bolivie, il ne reste plus grand-chose. À l’époque, le président bolivien avait décidé de remercier Jacques Chirac en baptisant un stade à son nom. Désormais, la petite enceinte a changé d’appellation et appartient à ABB, club qui végète dans les divisions inférieures du pays. Pourtant, de cette aventure, deux sont toujours présents au plus près des joueurs de l’équipe de France et seront à Nantes ce soir pour affronter la Bolivie : le médecin Franck Le Gall et le kiné Christophe Geoffroy qui auront, qui sait, une pensée pour ce qui fut une parenthèse de football enchantée un jour de 1997.


Bolivie 0-2 France

Buts : Hellebuyck (3e et 29e)

Bolivie : Carlos Arias – Luis Riveiro, Raúl Becerra, Fermín Rodríguez, Rider Molina, Carlos Durán, Julio Severich (Enrique Rodríguez), Danny Callaú, Marco Aguilera, Diego Bengolea, Augusto Andaveris (Jhonny Etcheverry).

France : Sébastien Frey (Olivier Blondel) – Anthony Réveillère, David Di Tommaso, Samir Beloufa, Clément Vigier (Jérémie Bréchet), Sylvain Marchal, Fréderic Robin, Charles Devineau (Gilles Domoraud), Sébastian Heitzman (Franck Goudeagbé), Steed Malbranque, David Hellebuyck.

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Par Thomas Allain

Propos de Andaveris recueillis par TA.

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