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Le jour où Ronaldinho a été le premier à atteindre le million de vues sur YouTube
Bien avant le chanteur sud-coréen Psy avec son clip à deux milliards de vues Gangnam Style, il y a eu Ronnie, un ballon, une balle transversale et des chaussures à la griffe dorée, dans une vidéo de son équipementier, la première de la série Joga Bonito.
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Dans le jargon publicitaire, Lars Cortsen est ce que l’on appelle un directeur de création. Un job qui consiste notamment à imaginer des idées et inventer des concepts qui puissent servir une marque. Grâce à son métier, ce Danois fan de football a pu croiser le chemin de quelques-unes de ses idoles. Voilà comment, un jour, il s’est retrouvé à converser avec Alex Ferguson afin de plancher sur quelques publicités pouvant servir l’image de Manchester United. Mais cette fois-là, raconte Lars Cortsen, le célèbre entraîneur mancunien ne lui a pas parlé du club de sa vie. Celui-ci voulait plutôt discuter de cette fameuse vidéo qu’il avait gardée jusque-là précieusement dans l’un des dossiers de son ordinateur. Des images que Lars Corsten avait contribué à mettre en scène et qu’Alex Ferguson trouvait fichtrement « remarquables » . Dessus : Ronaldinho, cheveux noirs attachés en arrière, tunique jaune fluo frappée de l’écusson du FC Barcelone et chaussures blanches griffées d’une virgule dorée, envoie le cuir se fracasser contre la barre transversale de la cage qui lui fait face. Quatre fois de suite. En vingt-quatre secondes. Sans jamais que le ballon ne touche le sol entre chacune de ses tentatives…
Flirt avec les filles de la prod
En 2005, Lars Cortsen travaille pour le compte de Framfab, une agence de pub installée à Copenhague, quand Nike lui demande en début d’année de réfléchir à une manière de promouvoir la chaussure qu’il a conçue pour son égérie Ronaldinho, la R10 Tiempo, alors que se profile à l’horizon la Coupe du monde organisée en Allemagne. Lors des séances de brainstorming, Lars Cortsen et ses compères se plaisent à imaginer un format inédit : « À cette époque, on voyait des petites vidéos que l’on s’échangeait par e-mail et qui, à la longue, formaient des sortes de chaînes. Des vidéos expérimentales, un peu dingues, de skateboard par exemple, tournées par des gens dans leur coin, qui n’avaient jusque-là jamais été exploitées commercialement. Là, on devait voir Ronaldinho en train de tester sa chaussure dans ce format simple. » Quand on y repense, c’est dingue : c’est une époque où il n’y avait pas Facebook ni Twitter. D’une certaine manière, la vidéo de Ronaldinho est historique parce qu’elle est la première vidéo virale. Vient très vite sur la table ce fameux défi qu’aiment se lancer grands professionnels et petits amateurs : et si Ronnie visait la barre transversale ? « Il fallait montrer de quoi il était capable avec cette chaussure, que cela soit spectaculaire, mais que ça ne dépasse pas la réalité non plus. Lorsque l’idée lui a été soumise, Ronaldinho a tout de suite été très enthousiaste » , se souvient Rasmus Frandsen, lui aussi directeur créatif chez Framfab. Rendez-vous est donc pris un après-midi d’été, au bord du terrain du Mini Estadi, l’enceinte ronde comme un bocal qui accueille d’habitude les matchs des équipes réserves du Barça. Si le réalisateur danois Christian Lyngbye a longtemps attendu le joueur, le Brésilien n’a eu besoin que d’une prise pour le satisfaire. « Une fois l’exercice terminé, Ronaldinho a flirté avec les filles de l’équipe de production. Cela devait faire partie de sa nature » , se marre Rasmus.
« Il n’y a aucun trucage »
À peine quelques semaines après le tournage, la fameuse vidéo est diffusée en avant-première sur les grands écrans du Camp Nou, à la mi-temps d’un match du Barça. Et puis très vite, elle se répand, devenant même, selon les archives d’Internet, la première vidéo à dépasser le million de vues sur YouTube. « Quand on y repense, c’est dingue : c’est une époque où il n’y avait pas Facebook ni Twitter. Ce sont les chaînes de mails qui propageaient l’information, s’enthousiasme encore aujourd’hui Lars Cortsen. D’une certaine manière, la vidéo de Ronaldinho est historique parce qu’elle inaugure l’ère des vidéos virales. C’est la première. » Mais tandis que les compteurs de vues s’affolent, le débat fait rage : le Gaucho a-t-il vraiment frappé quatre fois de suite la barre transversale ? Lars Cortsen sourit. « Ce que vous voyez dans la vidéo est ce que vous voyez dans la vidéo. Nous présentons Ronaldinho et ses chaussures, et le reste appartient à l’histoire » , explique le publicitaire, avant d’ajouter qu’il s’est même brouillé avec son meilleur ami parce qu’il refusait de lui raconter les dessous de son travail. Quant au joueur, il s’est toujours évertué à entretenir sa légende. « Les gens ne me croient pas, mais je peux assurer qu’il n’y a aucun trucage ou montage. J’ai toujours fait ça » , affirmait-il par exemple en marge d’un déplacement avec la sélection du Brésil, quelque temps après la sortie de la publicité. Une affirmation appuyée aujourd’hui par ceux qui connaissent Ronaldinho depuis ses débuts à Porto Alegre. « À la fin des entraînements, il se mettait face au but et tirait sur le poteau ou la barre, comme dans la pub, assure Dênis Abrahão, vice-président du Grêmio Porto Alegre de 1991 à 2002.Les gens peuvent dire que c’est impossible, mais je l’ai vu de mes propres yeux. »
Saudade et solutions digitales
Malheureusement pour Ronaldinho et sa légende, quelqu’un a finalement vendu la mèche. Lors d’une interview accordée à la presse danoise, la responsable de la communication européenne de Nike à l’époque, Vita Clausen, a indiqué que les équipes de production avaient eu recours à quelques « solutions digitales » et à « un homme dans le but qui renvoyait le ballon à Ronaldinho » . Et alors ? Lorsque Rasmus Frandsen se rappelle ces quelques moments passés en compagnie du Brésilien, il le revoit d’un coup taper dans le ballon, jongler et dribbler. « La caméra ne tournait plus, mais lui continuait à jouer et tout était incroyable. Comme s’il ne pouvait pas s’empêcher de faire ça, se remémore-t-il. Il y avait quelque chose de magique avec le ballon chez Ronaldinho, de l’amour et de la joie. Vous savez quoi ? Il me manque. »
Cet article a été initialement publié dans le numéro 148 de SO FOOT.
Par Raphaël Malkin