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Le jour où Romário est arrivé au sommet

Par Mathieu Faure
Le jour où Romário est arrivé au sommet

17 juillet 1994, finale de la Coupe du monde. Match fermé. Ennuyeux. Étouffant. Au bout du suspense et d'un tir au but trop haut de Roberto Baggio, le Brésil de Romário est champion du monde pour la quatrième fois de son histoire. La première fois sans Pelé. Le « petit », comme il était surnommé, est sacré meilleur joueur du Mondial et sort d'une saison record au FC Barcelone. Le début de la fin pour le joueur aussi croyant que possédé. Après cette finale, le Brésilien ne voudra plus revenir en Europe.

La scène se passe dans les couloirs d’un l’hôtel de luxe en bordure de la Freeway 57, à 80 bornes de Los Angeles où Roberto Baggio a envoyé le Brésil au quatrième ciel du football. Sur place, les Brésiliens fêtent leur titre. Il y a de tout : alcool, femmes, joueurs souriants, staff heureux, sponsors ravis et des journalistes curieux. Très vite, une rumeur prend de l’ampleur. Romário ne veut plus retourner en Espagne, lui qui vient d’être élu meilleur joueur du tournoi. Sur place, Luiz Augusto Veloso, le président de Flamengo, apprend la nouvelle et commence à attaquer le « Petit » , comme on le surnomme au pays. Flamengo, c’est un club de Rio avec des arguments : le Maracanã, des titres à la pelle et un centenaire qui arrive à grands pas, le 15 novembre 1995. Politiquement, rapatrier Romário au pays après le titre de champion du monde est un geste fort. Sans le quatrième titre mondial, impossible d’envisager une telle folie. Il faut un terrain fertile pour accueillir Romário. De l’engouement. Une émulation. Quoi de mieux qu’un titre mondial couplé avec le mal du pays de la star numéro 1 pour se lancer dans une telle folie ? Romário n’a que 28 ans et déjà envie de rentrer au Brésil, alors qu’il vient de balancer trente patates dans les filets espagnols lors de la dernière Liga. Ils évoluent sous les ordres de Johan Cruijff. Son pote offensif s’appelle Hristo Stoichkov. Pourquoi diable Romário songe-t-il à revenir chez lui au sommet de son art ?

Parce que le garçon a sans doute fait le tour de la question sur le Vieux Continent. En Europe depuis 1988, son passage de quatre ans et demi à Eindhoven lui a appris le football européen par la racine. Un sport fait aussi de racisme, de jalousie et de mesquinerie. Dans le froid batave, le natif de Rio sèche l’entraînement quand la température descend en dessous de zéro. Il se fait engueuler, mais sait se faire pardonner. Le week-end suivant, il plante un doublé. Ou un triplé. Au PSV, il est à deux doigts de tout abandonner. Le froid, la pluie, cette langue que personne ne comprend, c’en est trop. Et puis Johan Cruijff et le Barça sont arrivés. « Jouer dans cette équipe, sous les ordres de Cruijff, c’est le rêve de tout footballeur » , déclare-t-il en décembre 1993 peut de temps avant un match contre Monaco en Ligue des champions. Romário, c’est surtout le premier Brésilien (à part Evaristo) à s’imposer au FCB. Le premier de cordée. Celui qui a ouvert la voie. Deux mois auparavant, le 19 septembre 1993, Romário avait offert l’Amérique à son pays grâce à deux buts face à l’Uruguay.

Football et Jésus-Christ

Trois heures avant ce match décisif, le garçon a été se recueillir, seul, dans une chapelle de São Conrado. Quand il ne joue pas au football et délaisse les liens divins, Romário file sur la place jouer au football avec le quidam. Romário est un homme simple. Son pognon, il le plaçait dans l’immobilier et l’or. Jeune, il rêve de piloter un hélicoptère, alors qu’au quotidien, il se gave de plaisirs simples : bonne bouffe, des films de Schwarzenegger et Jodie Foster et un petit son de MC Hammer. Sans oublier la politique, son dada. Sur un terrain de football, le petit frère du Brésil fait deux choses : marquer et se signer. Le football et Dieu, voilà son leitmotiv. Au Brésil, il compose avec Bebeto un duo qui fait flipper le monde entier. Romário-Bebeto. Les deux ont mis les Pays-Bas à genoux en quarts de finale du Mondial 94. Bebeto s’est chargé du pays hôte en huitième de finale avant de laisser Romário crucifier la Suède en demi-finale. Contre l’Italie, les deux compères sont à un match du sacre mondial. Un duo de poche. Romário culmine à 1,68m et Bebeto chausse du 37. Deux garçons qui ont gagné ensemble la Copa América 1989. Carlos Alberto Parreira, sélectionneur du Brésil en 1994, n’a d’ailleurs jamais caché sa préférence pour le premier cité durant le tournoi : « Il a un toucher de balle unique au monde, son geste est de plus toujours élégant et sa force de frappe remarquable. » Même si Romário sort d’une énorme saison en Liga (30 buts, meilleur buteur d’Espagne), il vient de rater sa finale de C1 où le FC Barcelone a pris une fessée contre l’AC Milan : 0-4. Face à l’Italie, il retrouve d’ailleurs ses bourreaux que sont Albertini, Donadoni, Massaro et Maldini. Romário, le solitaire qui n’a pas vraiment d’amis dans cette équipe (si ce n’est lui-même), dispute une finale quelconque. Pris dans la nasse. À l’image des 21 autres acteurs du jour, il est en petite forme, lui qui fait pourtant rarement comme les autres. Durant les entraînements du Brésil, tout le monde s’habille en bleu. Pas Romário, qui opte pour le jaune. En finale, le Brésil joue en jaune. Enfin, en or.

« C’est ma Coupe du monde »

Alors, même si la Seleção l’emporte finalement aux tirs au but après 120 minutes d’ennui (0-0), Romário a accompli sa destinée. Devenir champion du monde. Une semaine avant la finale, le garçon s’était confié à nos confrères de France Football : « La pression d’une Coupe du monde, ça ne m’affecte pas du tout. Pour moi, c’est exactement pareil que quand je joue un petit match avec mes potes de Vila Penha, mon quartier de Rio. C’est ma Coupe du monde. Je pense être le héros d’un tel événement depuis l’âge de quinze ans. Je suis persuadé que cette Coupe du monde me permettra de laisser mon nom gravé dans l’histoire, à côté de Pelé, Garrincha, Maradona et Beckenbauer. Je vais réussir là où d’autres figures historiques comme Zico, Falcao ou Sócrates, et même Cruijff et Van Basten, ont échoué. » Romário, c’était ça. Un mec capable de trouver une faille dans un mètre carré, d’être sûr de lui et de plaquer l’Europe à 28 ans alors qu’il est le meilleur joueur du monde.

À son retour en Espagne, le mal du pays est toujours là. Six mois plus tard, en janvier 1995, Romário signera à Flamengo. Comme prévu. Il ne reviendra en Europe que deux fois. Et à chaque fois au FC Valence. Deux fois six mois. Deux échecs. Drôle pour un type qui a enfilé les buts jusqu’à 40 ans sur le continent américain. Mais voilà, une fois champion du monde, Romário avait payé sa dette envers son pays, et son séjour européen pouvait prendre fin. Un parcours Erasmus en quelque sorte : « Je n’ai pas pu faire des études, d’accord, mais j’ai acquis une culture petit à petit. Je ne prétends pas être un universitaire, mais je parle bien trois langues, le portugais, l’espagnol et le néerlandais, et je me défends assez bien avec l’allemand. Je sais parler politique ou de sujets culturels. Je peux même vous parler de peinture hollandaise. Non, nous les joueurs, nous ne sommes pas les idiots que certains imaginent… » Au final, Romário était un gars du Brésil. Une fois la quatrième étoile brodée, il a pu rentrer au pays. Chez lui. Là où il joue au football sur la plage. Le FC Barcelone, la Ligue des champions, tout ça, au fond, il s’en fout. Comment lui en vouloir ?

Bleus : une année zéro

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