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Le jour où Nedved a détrôné Zidane
Dans l'esprit des tifosi juventini, personne ne pouvait remplacer Zidane. Et pourtant depuis son arrivée au club, et surtout ce soir-là, ce 14 mai 2003, Nedvěd ne cesse de les faire démentir.
L’arbitre vient de siffler la fin du match. La Juventus vient de taper le Real Madrid et est en finale de la Ligue des champions. Tout le monde exulte sauf Pavel Nedvěd. Lui a du mal à être heureux. Il est à quatre pattes, le visage dans la pelouse. En se relevant, des larmes apparaissent sur son visage. Ce ne sont pas que des larmes de bonheur, elles sont bien plus complexes que cela. Ce sont aussi des larmes de tristesse, de colère même. Il vient de mener la Vieille Dame jusqu’au bout du chemin, mais il est contraint de s’arrêter là. La faute à un tacle inutile dans les dernières secondes qui lui vaut un carton jaune et, donc, une suspension pour la grande finale. Impossible de sourire. Et pourtant, ce soir-là, le Tchèque a montré à toute l’Europe que sa Juve n’avait rien à envier à celle de Zidane, ni aux Galactiques de Madrid.
Omniprésence
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’était pas gagné d’avance. En 2001, quand Florentino Pérez vient faire son shopping à Turin, qu’il vient leur arracher Zidane, les tifosi de la Juve comprennent le sens profond du mot chagrin. Même les 75 millions d’euros laissés sur la table ne réussissent pas à les consoler. Et encore moins ce Tchèque venu de la Lazio pour le remplacer. La Juve doit continuer à vivre même si ce n’est plus aussi simple qu’avant. Le temps passe, et petit à petit, la crinière blonde de substitution commence à faire son effet. Ce n’est certainement pas la même classe, pas la même vista, pas la même technique, mais il compense par une envie, une rapidité d’exécution et une omniprésence folle. Pavel, déjà idole des supporters de la Lazio où il a tout gagné en cinq saisons, prend le temps de séduire son nouveau public. Et ça marche, puisqu’il l’amène au titre dès sa première saison.
Et la deuxième est encore plus belle. Il enchaîne les performances, les efforts, les buts, les passes décisives. Il devient un élément clef du dispositif de Marcello Lippi, positionné en numéro 10, seul entre l’attaque et le milieu de terrain. Exactement comme lors de cette double confrontation en mai 2003. À l’aller, au Bernabéu, les Turinois limitent la casse et ne perdent que 2–1. Ils abordent donc le retour au pied du mur. Pavel est titulaire, sous le coup d’une suspension, en électron libre devant Davids, Tacchinardi, Zambrotta et derrière Del Piero et Trezeguet. En face de lui, il n’y a pas que Zidane. Cambiasso, Guti et Flávio Conceição sont là, eux aussi, et ils ont un contrat sur sa tête. Dès les premières minutes de jeu, tous les ballons passent par Pavel. Que ce soit à gauche, à droite, au milieu du terrain, il est de partout, ultra disponible. Il est d’ailleurs le premier à s’illustrer d’une frappe lointaine finalement sans conséquence.
Délivrance
Arrive alors la 12e minute. Nedvěd, bien servi par Trezeguet, s’excentre côté droit et adresse un long centre piqué au deuxième poteau à Del Piero qui remise pour Trezeguet. Ça fait 1-0. La Juve est, pour le moment, qualifiée. Plus besoin de faire le jeu. En bon Italien qui se respecte, Marcello Lippi fait reculer ses joueurs. Pavel avec. Buffon, Tudor et Montero se contentent de balancer des grandes quilles sur Trezeguet, et le pire, c’est que ça leur réussit. Un peu avant la mi-temps, Del Piero aggrave la marque d’un coup de maître. Certainement l’un des plus beaux buts de sa carrière. Hierro en a encore mal au dos.
Nedvěd et la Juve retournent donc aux vestiaires la tête haute. Zidane n’existe quasiment pas. Ils ont clairement pris le dessus sur les Galactiques. Et leur état d’esprit reste le même pendant les 45 minutes suivantes. Pavel fait l’essuie-glace. Il se met au service du collectif, se tue à la tâche défensivement et tente de relayer sa défense et son attaque aussi proprement qu’il le peut. Plus le temps passe et plus la Juve se replie. Ça sent mauvais. Buffon doit même sortir un penalty bien dégueulasse de Figo. Et puis le Tchèque, loin d’être fatigué, se décide à abattre le Real. Tout seul. Une longue ouverture de Davids dans le dos de Hierro, une pointe de vitesse folle et une frappe sans contrôle de demi-volée qui finit dans le petit filet de Casillas.
La Juve ne craint plus rien. Nedvěd a mis le Real à terre. La réduction du score de Zidane dans les derniers instants est anecdotique. La Juventus de Pavel sort le Real de Zinédine. Voilà ce que l’on aurait dû retenir de ce match.
Souffrance
Pourtant, un incident en fin de match éclipse tout ça. Une erreur de débutant, une mauvaise appréciation, un manque de réflexion efface tous les souvenirs de gloire. Aux alentours de la 80e, McManaman, perdu au milieu du terrain, cherche une solution. Aucun danger à l’horizon. Pavel le tient à distance. Et là, sans aucune raison apparente, il fauche l’Anglais par derrière. Carton jaune. Il déchante. À quatre pattes, la tête dans le gazon, il comprend. Une année de travail partie en fumée. Comme ça. Sur un coup de sang. Une impulsion qui n’est pas sans rappeler celui qu’il cherche à remplacer. Celui qui se trouve à quelques pas de lui. Celui qu’il vient d’éliminer. Celui qu’il a fait oublier aux tifosi juventini.
Des larmes coulent sur son visage. Entre joie et colère. Pavel sait qu’il ne jouera pas la finale, que son absence déséquilibrera le système de Marcello Lippi. D’ailleurs, la Juve perdra en finale contre le Milan et rien ne pourra gommer en lui ce souvenir antinomique. Même pas le Scudetto. Même pas le Ballon d’or qu’il reçoit en fin de saison. Même pas le fait d’avoir détrôné au moins un soir, une saison, l’un des meilleurs joueurs au monde. Il en reste juste un souvenir dont la Juve pourrait se servir ce soir comme d’un talisman : le Real, aussi fort qu’on le dit, venant peut-être d’une autre galaxie, reste toujours prenable.
Par Ugo Bocchi