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Le jour où Johan Cruyff aurait participé à une orgie

Le 7 juillet 1974, la Hollande s’incline en finale de Coupe du monde face à l’Allemagne de l’Ouest (2-1). Pendant le match, Cruyff est à côté de ses pompes. Un coup de mou qui, selon la presse allemande, aurait pris naissance dans une piscine avec des filles, une semaine avant...
Première minute de jeu. Johan Cruyff est fauché par Uli Hoeness. Penalty. But de Neeskens. Les Pays-Bas entament de manière idéale leur finale de Coupe du monde face à la RFA. Sauf que c’est la dernière action décisive de Cruyff dans ce match. Après l’ouverture du score, les Oranje déjouent et abandonnent la possession de balle. Les Allemands reviennent par Paul Breitner sur penalty et prennent l’avantage par Gerd Müller. 2-1, score final. Cruyff, muselé toute la rencontre par Berti Vogts, passe complètement à côté de son match. « Le jour de la finale, Cruyff n’était pas dans son assiette, assure l’ancien journaliste allemand, devenu peintre, Guido Frick. À l’époque, quand Cruyff n’était pas en forme, c’était 50% de l’équipe en moins. S’il l’avait été, les Pays-Bas auraient probablement été champions du monde. »
« Cruyff a fumé toutes mes cigarettes »
Guido a sa petite idée sur l’origine de la méforme du Ballon d’or. À l’époque, il couvre le parcours des Pays-Bas pour le journal local Stuttgarter Nachrichten. Le 2 juillet, cinq jours avant la finale, il publie un papier relatant la folle soirée de quatre joueurs hollandais, dont Cruyff, accompagnés de quelques filles. Son titre ? « La superstar Cruyff invite à une fête à poil dans la piscine » . Le même jour, Bild, le plus grand tirage du pays, sort également l’information. Dans un style plus racoleur : « Cruyff, champagne, filles à poil et bain froid » . Quelques jours plus tard, la femme de Cruyff, Danny, restée à Barcelone, est mise au courant. « Je ne sais pas pourquoi il a raté sa finale, s’interroge Robbie Rensenbrink, présent à la sauterie lui aussi. Mais c’est vrai qu’il était énervé, car il avait eu des problèmes avec son épouse à la suite de notre soirée. » Quel genre de soirée, au juste ? Le 30 juin 1974, les Pays-Bas battent la RDA, 2-0, lors du deuxième match de la seconde phase de poules. Après la rencontre, les Oranje retournent à l’hôtel Krautkrämer, situé à Münster. Les joueurs et le staff décident de fêter la victoire (qui les maintient en course pour la finale, avant le dernier match de groupe décisif contre le Brésil, le 3 juillet) dans le sous-sol de l’établissement. Au même moment, Guido Frick déboule à l’hôtel avec la ferme intention de rencontrer sa nouvelle idole, Johan Cruyff. À la réception, il se renseigne pour une chambre. On lui demande s’il est journaliste. « J’ai dit que j’étais un représentant pour une entreprise de Spätzle (des pâtes alimentaires, spécialité du sud de l’Allemagne, N.D.L.R.) et que j’avais besoin d’une chambre pour la nuit à Münster. » Discrètement, Guido observe la petite fête des Néerlandais. Cuba libre ou vodka à la main, le roi semble en bonne compagnie, alors qu’une platine vinyle joue One Way Wind du groupe hollandais The Cats, chanson porte-bonheur de l’équipe. « Il était entouré de deux-trois filles, j’ai trouvé ça marrant. Mais ensuite, je suis remonté dans ma chambre », resitue Frick.
La soirée est pourtant loin d’être finie. « J’étais dans mon bain quand, vers 1h du matin, j’ai entendu les Bee Gees dans le couloir. J’ai sorti la tête pour essayer de savoir d’où venait la musique. » Krautkrämer Junior, le fils du patron de l’hôtel, surgit, s’excuse pour le bruit et propose à Frick de venir boire un verre avec lui… et quelques joueurs.« Dans la chambre, il y avait Cruyff, Rensenbrink, Schrijvers et Strik, entre autres. Ainsi que deux filles. » Cruyff se méfie, puis finit par papoter avec l’infiltré. « J’ai fait attention à ne pas montrer que je m’y connaissais en football. Au fur et à mesure qu’on parlait de football, il m’a dit:« Tu n’es pas journaliste, hein ? » J’ai dit que non. Je lui ai expliqué ce qu’étaient les Spätzle, il ne connaissait pas. On a bavardé pendant une bonne heure et demie. Il a fumé toutes mes cigarettes. » Certains joueurs rejoignent leur chambre, mais d’autres prolongent la soirée dans la piscine de l’hôtel, avec quelques bouteilles de whisky et de champagne sous le coude. En confiance, Cruyff se remet à discuter. Il se dit bien meilleur que Beckenbauer, qu’il pourrait affronter dans six jours s’ils battent le Brésil, confie qu’il en a marre de prendre des coups, qu’il pense à prendre sa retraite dans quatre ans, qu’il a une famille dont il doit s’occuper. Blablabla. Guido Frick : « Ça a duré trois quarts d’heure, et puis tout le monde est remonté dans sa chambre. J’étais quand même étonné de voir comment ces joueurs, avant un sacre potentiel, étaient à ce point relax, au lieu de se préparer de manière optimale. »
Guerre froide et théorie du complot
Le lendemain, le rédacteur en chef de Guido Frick le somme d’écrire l’article. Entre-temps, il rencontre, dans le hall de l’hôtel, Klaus Schlütter, qui travaille à Stuttgart pour Bild. Le premier raconte au second ce qu’il a vu la veille.« Comme son histoire me plaisait bien, j’ai demandé s’il était possible que je la reprenne pourBild, confie Schlütter. Il a accepté. » Contre argent comptant, selon certaines sources, qui parlent de 500 marks… Quelques heures plus tard, Otto Stubbe, un autre journaliste de Bild officiellement détaché pour suivre l’équipe des Pays-Bas, se laisse conter l’anecdote de la piscine. Vexé de ne pas avoir eu le scoop, il cafte auprès des joueurs… qui pètent un plomb. « Cruyff est venu me voir et m’a dit :« Qu’as-tu écrit ? » « Tout », j’ai répondu. « Mais quoi donc ? » « Bah ce qui s’est passé. » » Frick manque de se faire casser la gueule par Cruyff, retenu par deux coéquipiers. L’hôtel Krautkrämer décide de renvoyer les journalistes.« Vingt-cinq ans plus tard, j’ai été invité à l’hôtel à Münster par des journalistes néerlandais, rembobine Schlütter. Ils m’ont attrapé, et ils m’ont jeté dans l’eau. Ils ont fait une vidéo, c’est passé à la télé. C’était une sorte de « vengeance ». Pour rigoler. »
D’autres n’ont toujours pas avalé la pilule. Wim Rijsbergen, ancien coéquipier de Cruyff, voit dans cette histoire une manipulation allemande pour les déstabiliser « en période de guerre froide » : « Pour moi, le journaliste(Guido Frick, N.D.L.R.) était pétri de mauvaises intentions. Il a manqué d’honnêteté et montré une mauvaise facette du journalisme. Cela a sans doute eu une influence sur Johan, il y avait tant d’articles de presse négatifs à son sujet, la pression était immense sur ses épaules. » Klaus Schlütter se défend : « Si l’histoire n’était pas vraie, les Néerlandais n’auraient jamais réagi comme ça quand ils l’ont appris de mon collègue, et on ne se serait pas fait virer. Et Cruyff ne se serait pas autant pris la tête avec sa femme. » Plusieurs témoins auraient ainsi aperçu Cruyff argumenter avec sa compagne de longues heures au téléphone, les jours séparant le match contre le Brésil de la finale contre la RFA, pour rattraper le coup. « Cruyff a eu de gros problèmes avec sa femme. Tout le monde savait qu’il ne viendrait pas à la Coupe du monde quatre ans plus tard, en Argentine, à cause de cette affaire », reste persuadé l’attaquant Johnny Rep. Mais cela a-t-il vraiment eu une influence sur sa finale contre les Allemands ? Difficile de juger, au fond. Ceci étant, une chose est certaine, selon Guido Frick : « Il n’y a pas eu de sexe. Au mieux, des demi-molles. » Ça ne rendra pas la Coupe du monde aux Pays-Bas, mais si ça peut rassurer Danny…
Par Ali Farhat et Victor Le Grand, avec Émilien Hofman.
Article paru initialement dans le SO FOOT 100% Cruyff de l'été 2015.