- Allemagne
- Décès d'Helmut Kohl
Le jour où Helmut Kohl a envoyé Matthias Sammer à Stuttgart
Helmut Kohl, que d'aucuns considèrent comme un grand artisan de la réunification allemande, est mort de sa belle mort à 87 ans. Passionné de ballon rond, l’ancien chancelier chrétien-démocrate n’a pas hésité à monter au créneau pour stopper la fièvre acheteuse du Bayer Leverkusen après la chute du mur de Berlin.
Une figure majeure de la politique allemande contemporaine s’est éteinte ce vendredi 16 juin. À 87 ans, Helmut Kohl a rendu son dernier soupir dans son fief palatin de Ludwigshafen, la ville où il est né et où a démarré sa carrière politique longue de plusieurs décennies. Resté seize ans à la tête du pays de 1982 à 1998, son action pour l’Allemagne et l’Europe a été marquante. En plus de la photo main dans la main avec François Mitterrand, prise à l’ossuaire de Douaumont en 1984, il a œuvré une grande partie de sa vie en faveur de la réunification de son pays, survenue cinq ans plus tard. Un vaste chantier que Kohl préparait minutieusement et qu’un voyage à l’Est en mai 1988 a achevé de convaincre.
Cette année-là, le chancelier se rend en RDA pour un court séjour à titre privé, répondant à l’invitation faite un an auparavant par le dirigeant allemand de l’Est Erich Honecker. Accompagné de quelques proches, la visite se révèle être un fameux pied de nez fait aux autorités de la patrie des ouvriers et des paysans. Kohl visite de nombreux lieux hautement symboliques (notamment le seul séminaire catholique du pays, à Erfurt) et en profite pour prendre la température auprès de la population qui, selon ses dires, l’encourageait à tenir bon dans son projet de réunification. Le clou de ce séjour a lieu à Dresde. Alors que de nombreux officiels du parti l’attendent dans un musée, ce fan absolu du 1. FC Kaiserslautern se rend au stade pour assister à la rencontre entre le Dynamo Dresde et le FC Carl Zeiss Iéna. Pour cette dernière journée de championnat, les locaux s’imposent 3-1 devant 13 000 spectateurs et terminent à la troisième place. Venu incognito, Kohl est reconnu par plusieurs supporters à qui il ne se prive pas de signer des autographes. Ceux-ci seront immédiatement confisqués à la sortie du stade par les agents de la Stasi présents sur place, mais une chose est sûre : la visite du chancelier de la RFA est annonciatrice de profonds changements. De l’autre côté du Mur, les révolutions populaires sont en marche.
Reiner, le cow-boy du Far-West
Effectivement, un an plus tard, Kohl a réussi son coup. Mikhaïl Gorbatchev a promis qu’il n’interférerait pas dans la réunification allemande, le mur de Berlin peut tomber. Deux jours plus tard, un homme arpente les rues de la capitale en liesse. Il s’appelle Reiner Calmund et officie comme manager du Bayer Leverkusen. Sa traversée de l’ancien Rideau de fer n’est pas fortuite, Calmund a un plan en tête : rapatrier au plus vite les meilleurs talents de RDA sous la bannière du Werkself. « Je me suis demandé comment le Bayer pouvait profiter de la chute du mur, se souvient-il dans sa biographie. Il était clair que l’Est allait subir une invasion de l’Ouest et que nous ne pourrions pas l’empêcher. » Cela tombe bien, la sélection nationale de RDA joue sa qualification pour le Mondial 1990 quelques jours plus tard contre l’Autriche. Sans hésiter, il envoie le responsable de l’équipe réserve en mission.
Wolfgang Karnath, c’est son nom, exerce la profession de laborantin chez Bayer. Il débarque à Vienne avec une accréditation de photographe que lui a dégotée Calmund, mais fait mieux en se procurant de faux papiers attestant qu’il est médecin de l’équipe. Karnath se glisse sur le banc des remplaçants et prend contact avec la short list retenue par son patron : Andreas Thom, Ulf Kirsten et Matthias Sammer. Dit autrement : les trois meilleurs joueurs du pays à l’époque. « Il est venu s’asseoir à côté de moi sans que personne ne sache comment il était arrivé jusque-là, raconte Sammer dans des propos rapportés par le journal Bild. Il m’a tout simplement dit : « Je suis du Bayer Leverkusen, les autres équipes sont là dehors. » » Effectivement, les tribunes sont remplies de recruteurs, Reiner Calmund avait vu juste. Son émissaire revient avec tous les contacts recherchés, impossibles à obtenir autrement que de la bouche même des intéressés. Les tractations peuvent commencer.
Un médiateur nommé Helmut
Dans le même temps, un triplé de Toni Polster met fin aux espoirs de qualification de la RDA pour la Coupe du monde italienne. Depuis la Chancellerie, Helmut Kohl se réjouit. Pour lui, il était inconcevable que deux équipes allemandes puissent concourir l’une contre l’autre après la Réunification. Avec cette élimination, la sélection allemande de l’Est est en train d’imploser. Confortés par la chute du mur, les joueurs n’ont plus qu’un rêve : passer à l’Ouest et continuer leur carrière dans la bien plus lucrative Bundesliga. Reiner Calmund se frotte les mains : il a été le premier à observer ses cibles lors de rencontres européennes et les contrats sont déjà prêts. Le premier à signer est Andreas Thom. Pour ce qui correspond à 1,4 million d’euros et six mille billets de salaire mensuel, l’attaquant du Dynamo Berlin et chouchou d’Erich Mielke – le chef de la Stasi – rejoint Leverkusen quatre semaines seulement après le match de Vienne. Peu avant Noël 1989, Calmund rencontre Kirsten et Sammer pour leur formuler son offre. Mais un gros grain de sable politique va venir enrayer la machine pourtant bien huilée.
En décembre, Helmut Kohl visite ce que l’on appelle désormais les nouveaux Länder. À Dresde, sur le parvis de la Frauenkirche, il prononce un discours devenu historique et qui consacre l’unité allemande (celle-ci ne sera définitive qu’en octobre 1990). De nombreux signaux sont envoyés aux Ossis, comme on surnomme les habitants de l’Est, pour montrer que l’Ouest traite avec eux d’égal à égal et non avec l’arrogance mal placée des vainqueurs de la Guerre froide. C’est cette ligne politique qui sera fatale au projet de Reiner Calmund. Le Chancelier s’oppose fermement à ce que le club n’acquiert le trio magique de l’équipe nationale. Question d’image. « Kohl a dit aux dirigeants de Bayer qu’il ne pouvait pas laisser une seule équipe recruter trois internationaux allemands de l’Est aussi peu de temps après la chute du mur, pour des raisons économiques et politiques » , explique Calmund dans sa biographie, avant d’ajouter que ce dernier lui aurait dit mot pour mot : « Vous ne pouvez pas piller la RDA comme ça ! »
Un compromis est finalement trouvé avec les deux joueurs du Dynamo Dresde. Kirsten peut s’engager avec Leverkusen, mais Sammer doit se trouver un autre club. Les propositions ne manquent pas et l’attaquant décide finalement de signer à Stuttgart. « À Stuttgart, j’ai passé une période très importante de ma carrière. J’y ai trouvé mon bonheur » , confie-t-il, en souvenir des deux saisons où, en plus de remporter d’un cheveu le tout premier championnat de l’Allemagne réunifiée en 1992, il a aussi rencontré sa femme. De son côté, Reiner Calmund n’a pas tout perdu. Ulf Kirsten sera aussi prolifique à l’Ouest qu’à l’Est. Lorsqu’il termine sa carrière en 2003 à l’âge de trente-sept ans, il a inscrit 182 buts, soit la cinquième meilleure performance de l’histoire de la Bundesliga. Le manager, quant à lui, signera d’autres grands noms jusqu’à son départ du Werkself en 2004 : Michael Ballack, Rudi Völler, Bernd Schuster, Zé Roberto et Lúcio pour ne citer qu’eux. Et Helmut Kohl ne mettra plus jamais le nez dans ses affaires.
Par Julien Duez