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Le jour où… Arsenal a chipé le titre à Liverpool
Il était écrit que Liverpool, équipe la plus sexy des 80's, ne pouvait tout simplement pas gagner la First Division en 1989. La faute à un but plein de suspense du Gunner Michael Thomas, aux conséquences bien plus importantes que ce que l'on peut imaginer.
Dans le football anglais, il y eut un avant et un après 26 mai 1989. Définitivement. Lorsque Arsenal se pointe à Anfield pour la toute dernière journée de First Division circa 1988-89, tout le monde se demande à quelle sauce les Gunners vont être mangés par les Reds. Même le Daily Mirror titre « C’est peine perdue, Arsenal ! » Et pour cause. Depuis le 2 janvier, cela fait vingt-quatre matchs que Liverpool n’a plus perdu en compétition. Mieux, ils ont remporté vingt de leurs matchs, dont une FA Cup face à l’ennemi juré Everton. En championnat, Liverpool roule à toute berzingue sur la M1 de la victoire. Une seule équipe lui suce la roue : Arsenal, à trois points derrière. À dire vrai, l’issue du championnat anglais aurait pu se décider bien en amont pour Liverpool, puisque cet ultime match face à Arsenal aurait dû se dérouler plusieurs semaines avant, le 23 avril 1989. Mais huit jours plus tôt, la tragédie de Hillsborough, ses quatre-vingt-seize décès et ses sept cent soixante-six blessés en ont décidé autrement.
Cet événement qui constitue la catastrophe la plus meurtrière jamais survenue dans le football vient une nouvelle fois rouler dans la boue l’image d’un football anglais déjà bien salie par le drame du Heysel et par les hordes de hooligans qui s’illustrent tous les week-ends dans ses travées. De fait, le match entre Liverpool et Arsenal est repoussé au mois suivant et, hasard des résultats sportifs des uns et des autres, constitue une finale inédite en First Division. Inédite et quelque peu déséquilibrée puisque les Gunners se sont totalement écroulés en deuxième partie de saison, ne remportant que dix de leurs vingt derniers matchs, alors qu’ils possédaient quinze points d’avance sur Liverpool à la trêve. Surtout, ils n’ont plus gagné à Anfield depuis quinze ans. Mais pas impossible : pour espérer ravir le titre aux Reds, Arsenal doit simplement gagner par deux buts d’écart.
Et Michael Thomas crucifia Bruce Grobbelaar…
George Graham, le coach des Londoniens, surprend son monde en alignant un innovant 5-4-1 avec le vétéran David O’Leary essayé pour la première fois au poste de libero. La plèbe s’imagine donc voir sur le billard d’Anfield un paroxysme du boring Arsenal installé cette saison par le technicien écossais. Sauf qu’il s’agit plus en réalité d’un 3-5-2 dans lequel Dixon et Bould sont censés apporter le danger en phase offensive et, surtout, bloquer les débordements de Houghton et Barnes en phase défensive. À la mi-temps, toujours 0-0 au tableau d’affichage et les fans des Reds commencent à chambrer : les « Champions ! Champions ! » résonnent dans tout Anfield. Jusqu’à cette 52e minute où l’attaquant Alan Smith plante une tête sur un coup franc de Winterburn. Suite à ce but, Graham passe à un 4-4-2 plus offensif et ouvre des brèches en contre pour les attaquants de Liverpool. Infructueux. De part et d’autre, d’ailleurs. On joue les dernières secondes du match. Grobbelaar fait des passes avec ses défenseurs, et Barclay’s, sponsor principal du championnat, a demandé à ce que les caisses de champagne soient descendues dans les vestiaires des Reds.
Après un énième débordement de Barnes, Lukić récupère la balle, puis l’envoie à Dixon qui balance une grande chiche sur Smith. L’attaquant remet dans la course à Michael Thomas. Profitant d’un contre favorable, le milieu de 22 ans s’engouffre dans la surface de réparation, attend un maximum avant de crucifier Grobbelaar d’une frappe entre le pointu et le piqué. Au nez et à la barbe de Liverpool, Thomas vient d’offrir un neuvième titre de champion à Arsenal, le premier depuis dix-huit ans. Pendant que Barclay’s se dépêche de balancer le mousseux dans les vestiaires visiteurs, le joueur d’Arsenal entame une célébration aussi magique que l’acte qu’il vient d’accomplir : une roulade d’enfant de centre aéré enchaînée d’un saut de crapaud qu’on aurait laissé gigoter sur le sol. C’est que le titre a une saveur toute particulière pour Thomas. Outre le fait qu’il soit un pur lad de Londres (il a grandi à Lambeth, dans la grande banlieue sud de la capitale), celui qui porte le numéro 4 ce jour-là aurait pu ne jamais être amené à marquer ce but salvateur face à Liverpool. Arrière droit la saison précédente, Thomas ne dut sa montée au poste de milieu droit qu’à l’arrivée de Lee Dixon à l’été 88 en provenance de Stoke City. Un but qui va également transformer la carrière de Michael Thomas.
La pierre fondatrice de la Premier League
En 1991, un Écossais en remplace un autre sur le banc de Liverpool. Bye bye Kenny Dalglish, hello Graeme Souness. Évidemment, le nouveau technicien veut imposer son style. Souffrant sans doute un peu du syndrome de Stockholm, le board de Liverpool valide l’arrivée de Michael Thomas pour la somme d’1,5 million de livres après que ce dernier a remporté un ultime titre de First Division avec Arsenal. Il restera sept ans chez les Scousers avant de tenter sa chance à Benfica, puis de prendre sa retraite tranquillou, après une dernière pige à Wimbledon. Une fois les crampons raccrochés, le natif de Lambeth reviendra… du côté de Liverpool. Résidant dans la péninsule du Wirral, entre le pays de Galles et le grand Liverpool, Thomas y a même monté une boîte de service de sécurité et de chauffeur nommée « Stop Taking the Michael » (expression cockney signifiant « Arrête de te moquer » ). Mais si son but n’a apporté au milieu aux deux sélections chez les Three Lions qu’une simple reconversion, il est clairement beaucoup plus considéré au sein du football anglais.
À Arsenal d’abord, où il fut élu deuxième meilleur moment de l’histoire du club en 2007, derrière les « Invincibles » Gunners qui termineront la saison 2003-2004 sans aucune défaite au compteur. En Angleterre plus généralement ensuite, où le public se reprit à vibrer pour des footballeurs dans un contexte politico-social extrêmement strict rognant sur le cadre sportif. Nick Hornby en fera même le climax de son ouvrage Fever Pitch, sorti en 1992. Dans les médias anglais aussi, où l’on considère souvent que ce match fut un moment charnière dans l’attribution des droits télé d’un championnat qui a engrangé près de 7 milliards dans ce domaine récemment. Dans les années 80, la diffusion du football à la télévision est sporadique et, surtout, gratuite via la chaîne ITV, mais avec l’arrivée de la Premier League, les consortiums TV pointent le bout de leur nez. Sky les premiers, qui raflent pour plus de 300 millions de livres les droits du championnat anglais dès 1991. Il se murmure que Rupert Murdoch, patron de Sky et lobbyiste de la Premier League, aurait pris la décision de mettre des billes dans le foot anglais après avoir ressenti tout le potentiel dramatique du but de Michael Thomas dans le money time en ce fatidique 26 mai 1989.
Par Matthieu Rostac