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Le foot français peut-il arrêter de pleurer auprès de Canal+ ?
Canal+ sera-t-il gentil avec le foot français ? Une situation que doit évidemment goûter Maxime Saada, le président du directoire du groupe Canal, qui savoure ainsi sa revanche après l’humiliation du dernier appel d’offres. La ligne de conduite quasi victimaire de la LFP se révèle surtout fortement inquiétante, tant elle semble s’accrocher à l’illusion suicidaire que tout peut redevenir comme avant.
C’est le dernier feuilleton du foot français avant l’Euro : quel sera le montant que seront prêts à verser les diffuseurs, Canal+ associé à beIN Sports, pour les droits télé de la Ligue 1. Les pensionnaires de cette dernière sortent en effet essorés de la crise sanitaire et surtout avec des budgets prévisionnels qui s’appuyaient en grande partie sur les 800 millions et quelques de Mediapro. Aujourd’hui, les chiffres sur la table dévissent quasiment de moitié et le prochain mercato ne permettra certainement pas de compenser le manque à gagner. Bref, le foot a peur.
De patron à patron ?
Les négociations se déroulent donc désormais avec Canal+, seule option, qui a de fait toutes les cartes en main, d’autant que la chaîne, elle, a repensé son modèle après s’être fait évincer sans ménagement voici un an. Commençons par rappeler que dans ce genre de bataille économique, il serait illusoire et fastidieux de distribuer le rôle du « méchant » à quiconque. Si Canal débourse finalement un ou deux milliards pour la Ligue 1, bien heureux qui y trouverait « moralité » ou « injustice » . En revanche, la façon dont l’ensemble des boss du foot tricolore réagissent et surtout raisonnent, sans honte ni retenue, laisse songeur. Prenons le dernier en date, Noël Le Graët, qui siège au titre de la FFF au bureau de la LFP, qui nous a offert un festival après une visioconférence jeudi dernier où est intervenu Maxime Saada. « Qu’il y ait eu un petit divorce, je peux comprendre, ça peut arriver dans plein de familles. Maintenant, il faut arrêter les histoires. Canal et beIN sont nos partenaires naturels et ils doivent se mettre à un niveau normal, a déroulé le président de la FFF. Donc nous devons nous retrouver très vite pour changer les chiffres proposés. C’est la moindre des choses en élégance et en patron. » Si le capitalisme connaissait l’élégance, le monde offrirait un autre visage.
Tout cela pour balancer un majestueux « il y a eu une présentation très professionnelle pour montrer que c’est difficile, mais ça aussi, je sais le faire dans ma boîte ». En gros, je sais arnaquer mes employés et mes fournisseurs moi aussi, Maxime. Superbe, la section CGT a dû apprécier. Enfin, il a terminé en balançant les violons nostalgiques : « Je lui ai rappelé aussi qu’il devait beaucoup au football. Parce que j’ai quand même l’âge de me souvenir du démarrage de Canal où Canal était très attentif au football et que ses abonnements étaient dus très très largement au football. » Sauf que nous sommes en 2021, et dorénavant, Canal sait justement comment faire au mieux avec beaucoup moins de ballon rond. Et c’est étrangement la LFP qui lui en a apporté la révélation en l’en privant.
Aucun bilan, aucune perspective
Toutes ces lamentations illustrent parfaitement la conception du capitalisme du foot pro en France. Libéral par inclinaison, se plaignant de la fiscalité, mais colbertiste à la première bourrasque. Il est surtout incapable d’accepter les règles de la libre concurrence qu’il aime imposer aux autres. Après avoir dégagé la chaîne cryptée au nom du mieux-disant, voilà qu’il faudrait que Canal débourse désormais le « juste prix » d’office, et obligatoirement au nom d’on ne sait quelle raison supérieure (l’intérêt général, une reconnaissance de dette historique, etc.). Cette posture de suppliant souligne aussi la faible attractivité de la L1, y compris en matière de marché domestique. Fut un temps, Thiriez serait allé pleurer à Matignon ou à l’Élysée pour « contraindre » les opérateurs à doper leurs propositions. Désormais, Jupiter a bien d’autres chats à fouetter, et Bercy semble trouver qu’il a suffisamment desserré les cordons de la bourse.
Au cœur de cette guerre de communication, dans laquelle la LFP tente de prendre l’opinion à témoin, transparaît en creux son abyssale incapacité à tirer les leçons de ses erreurs et de ses problèmes structurels, hormis en dégainant un championnat à 18 censé amadouer un prétendant bien rétif pour la dote. Le foot pro tricolore n’a clairement toujours pas compris ce qui l’a conduit dans une telle impasse. Il donne juste l’impression de vouloir reprendre sa course folle vers le milliard de droits télé. « Savoir tourner la page », leitmotiv le plus usité, tourne en boucle, personne n’ayant envie d’endosser la faute d’une défaillance collective et d’une incompétence dramatique. À défaut de repenser son modèle économique, la LFP implore dès lors simplement un retour « à la normale ». Et le baiser du prince charmant. Le réveil de la belle au bois dormant risque d’être cette fois un peu plus douloureux.
Par Nicolas Kssis-Martov