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Le bonheur est dans le Préville

Par Florian Lefèvre et Théo Denmat
Le bonheur est dans le Préville

Révélé aux yeux de la Ligue 1 au Stade de Reims, Nicolas de Préville, vingt-six ans, a franchi un nouveau palier au LOSC. Retour sur les traces d’un attaquant spectaculaire « comme on n’en fait plus », un type à la progression lente qui a su slalomer entre les soirées sur la plage, son voyage de noces et les circuits de Mario Kart pour intégrer une caste très recherchée des entraîneurs : celle des grands discrets décisifs.

Dans Ocean’s Eleven, George Clooney appellerait ça un braquage. En Ligue 1, Marc Coucke le désigne sobrement comme un « montage financier » , question de point de vue. Question d’objectif, aussi : à Las Vegas on braque des casinos, à Lille on braque des joueurs. L’été dernier, le LOSC place Nicolas de Préville dans son viseur pour le mercato. Problème, Gérard Lopez n’a pas encore pris les manettes du club nordiste et le LOSC n’a pas les moyens de claquer les cinq millions d’euros réclamés par le Stade de Reims. Acculé en bout de table, le LOSC dégaine l’as de pique caché dans sa manche. C’est le club belge du KV Ostende qui achète NDP grâce à la manigance de son président Marc Coucke, également actionnaire minoritaire du club nordiste. Coucke, l’agent double. Nicolas de Préville est prêté dans la foulée au LOSC avec obligation d’achat à l’été 2018. Un joli doigt d’honneur dans la face du gendarme financier du football français, mais surtout la bonne pioche pour les Dogues : malgré deux mois et demi sur le tapis des blessés, NDP s’est imposé avec onze pions en championnat comme le dynamiteur essentiel à tout groupe d’action. Comme ça, l’air de rien. À son image : l’agent parfait.

« Et là, tu te dis : qu’est-ce qui vient de se passer ? »

À quatorze ans, Nicolas de Roussel de Préville – son patronyme complet coupé par ses parents, qui craignaient des moqueries à l’égard de leur fils à l’école – quitte son Gard natal pour rejoindre le Calvados. Au bout de cette traversée de l’Hexagone : un essai au Stade Malherbe Caen. Franck Dechaine n’a rien oublié de cet après-midi sur le terrain synthétique du club normand : « Il avait marqué un but fabuleux. Une frappe coup de pied, du droit, qui vient fracasser la barre. Et là, tu te dis : « Qu’est-ce qui vient de se passer ? » » , raconte celui qui va « accompagner » le prodige en quatorze ans fédéraux. « Nico, c’est un joueur qui m’a marqué, non pas parce qu’il est passé pro, mais parce qu’il pouvait déclencher une frappe d’un coup, alors que personne ne l’aurait fait. C’était un attaquant déjà « racé », comme on n’en fait plus, note l’éducateur du Stade Malherbe. Il cadrait de l’intérieur du pied, dans la surface, parce qu’il était adroit, mais il prenait aussi le risque de frapper en dehors de la surface, et des deux pieds. »

Du culot et de l’intelligence qui le font sortir des stéréotypes d’attaquant, mais qui ne séduisent pas suffisamment les entraîneurs normands au bout d’une saison et demie d’apprentissage. Personne n’est d’ailleurs aujourd’hui capable d’expliquer les raisons de cet échec, et encore moins le principal intéressé : « Je suis arrivé à Caen en milieu d’année, en janvier. Ça a été très difficile pendant un an, mais ensuite les six derniers mois je me sentais vraiment super bien. J’étais le meilleur buteur de ma génération, et le directeur du centre de formation de l’époque(Sébastien Bannier, ndlr) était venu me voir plusieurs fois me glisser deux trois mots d’encouragement et me dire de passer dans son bureau pour discuter de mon avenir… » En bref : ça sentait bon. Mais au moment d’aller récupérer la bonne nouvelle et le contrat lors de la traditionnelle réunion de fin de saison, le coach des U16 balance une sentence aussi lourde que la frappe qui avait permis au gamin de rentrer dans le game : pas le niveau. Retour à la case départ.

La Gard du Nord

Le petit Nicolas – seize ans à l’époque – décide donc de rentrer chez lui dans le Gard, au cœur de ce petit village près de Barjac, niché dans le creux des montagnes des Cévennes. Il s’inscrit au FC Bagnols-Pont à l’entame de la saison 2007-2008, en DH, mais couche à trente minutes de là, à Méjannes. Il repasse de temps à autre devant les terrains de son enfance, lui, le petit Cévenol aux origines « très modestes » . Une période « très normale » qu’il décrit sans manques, sans cité, sans embrouilles, sans stade, aussi. L’histoire football a commencé très tôt, comme souvent, à cinq ans très exactement. Après les cours, sur un grand champ aujourd’hui recouvert d’une dalle de béton bien plus pratique pour faire rouler la balle. Un terrain au cœur des montagnes qui lui avait d’ailleurs manqué. Au moment de revenir au pays à l’adolescence, le bonhomme découvre un pan de vie qu’il avait à peine touché en centre de formation : « Je suis retourné dans mon lycée avec mes potes d’enfance, ceux que je connaissais depuis que je porte des couches, déclarait-il à So Foot en 2015.J’ai pu sortir en boîte, faire des apéros, côtoyer des filles, c’était important à cette époque. »

Alors que l’on cherche à contacter des membres de sa famille pour évoquer cette période, surprise, c’est Nicolas en personne qui vient aux nouvelles. Un sms reçu à 13h08 qui demande de le rappeler : le garçon tient à l’intimité des siens. Soit, c’est donc lui qui raconte la suite : « J’ai des amis d’enfance qui sont mes meilleurs amis, alors disons que j’ai profité de mes vacances, de mes étés, tout ça. » Okay, et pour les filles ? « Bon, j’aurais peut-être pas dû dire tout ça(rires), je suis quelqu’un d’assez réservé… » Commence donc à cette période la valse des trajets sur les routes du Gard dans la petite voiture de la mère de Vivien France, un autre licencié du club devenu ami : « Nos parents venaient nous chercher, c’était un coup lui, un coup moi, raconte ce dernier. Au départ personne ne le connaissait, on savait simplement qu’il arrivait de Caen. J’étais étonné qu’il revienne ici, il aurait pu signer à Alès. Nîmes était dessus aussi je crois, mais Franck Biyamou a fait le forcing pour le faire venir. » Les deux gamins accrochent, passent quelques soirées à La Sphère, une boîte de nuit de Saint-Laurent-de-Carnols située à une quinzaine de kilomètres du club, mais « uniquement les vendredis, quand on sortait » , précise Vivien France. Une belle jeunesse, quoi.

Coinche et Mario Kart

Sur le terrain, la saison se passe à merveille : l’équipe joue la montée et De Préville esquisse déjà des qualités qui seront siennes à Lille. Nicolás López, partenaire de jeu à Bagnols-Pont, se souvient d’un joueur « avec beaucoup de prestance » , « pas un leader de vestiaire par la parole, mais sur le terrain il faisait des gestes importants, ça boostait » . Pas très costaud, pas très grand, il impressionne pourtant par son jeu de corps : l’adolescent a appris à s’en servir, et cela se voit. Depuis le bord du terrain, les observateurs jouent rapidement des coudes pour se pencher par-dessus la rambarde du petit stade Clos Bon Aure, et c’est Frédéric Arpinon, formateur pour le club d’Istres, qui en parle le mieux : « La première fois que je l’ai vu, c’était pour une détection. Nous, on pouvait pas recruter bien loin – Bagnols c’est déjà à une heure d’Istres. C’était incroyable tellement il faisait la différence… mais ensuite il pouvait complètement disparaître. » NDP file donc chez les Aviateurs pour quatre saisons, où, de l’avis général, « Nico » est « bien éduqué, intelligent et posé » . Vivien France abonde : « Très discret, courtois, pas un mot au-dessus de l’autre. Mais sur le terrain c’était un guerrier, il n’aime pas perdre. Si tu allais au contact il y allait, s’il fallait faire un tête-à-tête il était là. » Le jeune homme s’est battu pour être là, et il compte y rester.

Formé à Istres, révélé à Reims, puis accompli à Lille, le bonhomme laisse partout derrière lui la trace d’un gentil. Pour Michaël Tacalfred, partenaire à Reims, « c’est un bon mec, adorable » , quand Olivier Guégan évoque « un travailleur du quotidien, au parcours atypique, très demandeur » . Mais c’est Grégory Bourillon, son coéquipier au Stade de Reims entre 2014 et 2016 devenu ami proche, qui pose les meilleurs mots : « Tu ne peux jamais t’embrouiller avec lui. Sur les six-huit derniers mois, on passait toute la journée ensemble. Il n’est pas ronchon, il a une joie de vivre communicative. Il a cette fraîcheur qui est due à son parcours. » Entre deux parties de basket, de Mario Kart ou de coinche – « c’est comme la belote, mais avec des annonces » –, le bon se permet d’être brute sur le terrain. Malgré la descente du club en Ligue 2 – merci la patte gauche de Yann Bodiger – Nicolas de Préville termine meilleur buteur du club en championnat avec six réalisations et marque les esprits par ses neuf passes décisives. Bourillon : « J’exagère un peu, mais il a failli sauver Reims à lui tout seul. » L’aboutissement d’une recette classique pas forcément suivie à la lettre, une rumeur voulant même qu’il ait annulé son voyage de noces pour peaufiner sa préparation d’avant-saison. La vérité revient au principal intéressé : « (Rires)Bon, c’est pas totalement vrai. Quand je me suis marié avec ma femme, j’avais une micro-déchirure à la cuisse, du coup on n’a pas pu partir en voyage. On devait partir l’année dernière, mais je me blesse au scaphoïde (os du poignet, ndlr) à la dernière journée contre Marseille, et je ne voulais pas partir blessé. » Mazette, et l’ouverture du bal ? « À la cérémonie j’ai pu danser hein, quand même. » On rit. Tiens, la coquille s’ouvre un peu. Quelques minutes après avoir raccroché, le téléphone sonne : un message. « Si vous pouviez ne pas dire où je pars en voyage de noces, je préfère garder ça pour moi. Merci. » George Clooney serait heureux, son agent est un buteur discret. Jusqu’au bout.

Dans cet article :
Pourquoi la nouvelle formule de la Ligue des champions réussit aux clubs français ?
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Par Florian Lefèvre et Théo Denmat

Tous propos recueillis par FL et TD, sauf mention

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