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Laurent-David Samama : « Un match de foot me procure plus de jouissance qu’un porno »
Comme beaucoup de monde, Laurent-David Samama aime le porno et le football. Le journaliste, auteur et expert associé à la Fondation Jean-Jaurès voit beaucoup de similitudes dans l’évolution de ces deux passe-temps, et développe sa pensée dans l'essai Footporn, en librairie depuis le début du mois de septembre. Et si Rocco et Cristiano étaient les deux faces de la même pièce ?
Comment en vient-on à comparer le football et le porno ?Je voulais écrire un livre autour du football s’appuyant sur des concepts, une vraie théorie, et confronter cette théorie avec le réel. La pornographisation du football, c’est quelque chose que j’observais sur le tas, au stade et devant ma télé. Ça concerne autant l’accélération du jeu que l’exposition des corps, leur glamourisation à l’excès, comme lorsque Ronaldo pose en caleçon sur Instagram. On se souvient de cette photo : on le voit allongé sur un canapé, en socquettes et en boxer, en train de lire un livre, abdos saillants, entrejambe bien en évidence. Avec un corps de hardeur ! Tout à coup, on se met à voir les joueurs comme on ne les voyait jamais avant, comme des objets de désir. À titre de comparaison, les joueurs des années 1960 ou 1970, on les voyait surtout en survêtement trop larges, sans souci de l’image qu’ils renvoyaient au public. Le monde a changé : le PSG vient de signer une collab’ pour que les joueurs s’habillent en costumes Dior avant les matchs. Tout cela relève d’une stratégie. Dior, Hugo Boss, la quête de stars du PSG, de Beckham à Neymar en passant par Messi : c’est aussi une façon de rendre le club de la capitale très désirable. La deuxième chose qui m’a poussé à écrire ce livre, c’est une publicité pour le site de pari du groupe Barrière. Tout de suite, je me suis dit que c’était une esthétique que je reconnaissais. Et pour cause : c’est en fait la même charte graphique que celle du site X Pornhub !
Footporn sort aujourd’hui ! L’essai analyse la fabrication du fantasme à l’époque d’Amazon et d’Instagram et raconte une certaine pornographisation du football dans le jeu et ses à-côtés. De Cruyff à Messi, de Rocheteau à Mbappé… pic.twitter.com/mxWIgmMKds
— Laurent-David Samama (@ldsamama) September 2, 2021
Pour revenir sur Ronaldo, qu’est-ce que Rocco et lui ont en commun ?Quand Ronaldo pose comme un mannequin, à grand renfort de poses suggestives, il parle à un nouveau public qui n’est pas spécialement fan de foot. C’est une logique de communication qui me rappelle la méthode employée par Rocco Siffredi. Pendant longtemps, on a vu l’acteur italien sur des émissions de divertissement, sur TFI ou France 2. Autrement dit, sur des chaînes qui sont fermées à l’univers du X. Et pourtant, Siffredi était là ! Rocco, c’est quelqu’un qui dépasse son milieu pour devenir une star reconnue par tous. C’est un ambassadeur, comme CR7. D’ailleurs, on les appelle par leurs prénoms, Rocco et Cristiano, tellement on a l’impression de les connaître…
Ce parallèle, on peut le poursuivre sur le corps. Les joueurs et les acteurs d’aujourd’hui ont souvent un corps bodybuildé tourné uniquement vers la performance, surtout avec la généralisation du gonzo. Il y a ce mouvement de footballeurs qui se sculptent des corps incroyables en un été, comme Goretzka. Dans le porn, c’est la même chose. Ce sont des corps qui servent à jouer différemment dans la caméra : ils sont plus physiques, vont plus vite, plus fort. Quand on voit comment Ronaldo lévite pour marquer de la tête, il faut un corps incroyable ! De même, pour tenir la distance sur certains tournages de film X qui s’étendent en longueur, on ne peut plus ressembler à une sorte d’acteur des années 1970, un peu gros, bedonnant. Il faut être un athlète hors normes.
Vous établissez un autre point commun : la façon dont l’homme noir est réduit à un corps dans les discours tenus par certains entraîneurs, comme Laurent Blanc ou Willy Sagnol, comme dans les pornos.On vit dans un monde où l’on s’enferme de plus en plus dans des cases. Le porno vit ça aussi. Sur Youporn, Pornhub et j’en passe, les tags qui marchent le plus sont liés aux origines ethniques. En France, c’est la beurette qui fait office de fantasme ultime, mais il y en a beaucoup d’autres, autour des asiatiques, des latinas, des hommes noirs qui prennent des femmes blanches. Dans le livre, je montre que plus ou moins consciemment, le foot utilise les mêmes codes depuis longtemps. On parle des Italiens truqueurs, des Allemands ultra-efficaces, des Brésiliens fantasques. Comme dans le foot, le porno catégorise : teens, MILF… On intériorise ainsi beaucoup de clichés, parfois racistes. Quand on voit comment on a bridé certains joueurs, comme Diaby, qu’on a fait reculer 6, alors qu’il aurait pu largement jouer 10, c’est cette idée du grand noir s’imposant par un physique hors normes, cassant les lignes, utilisé pour prendre le dessus sur les petits Espagnols…
Les « boomers » devaient attendre le film du samedi soir de Canal+, et même pour les matchs de football, la profusion semblait moins grande. Le problème, dans ce moment où certains militent pour un Mondial tous les deux ans, n’est-il pas justement l’omniprésence du foot comme du porno ?Le formatage du foot et du porno vient d’une chaîne : Canal+, qui en faisait ses deux mamelles pour attirer les abonnés. Aujourd’hui, on voit la Ligue 1 sur Amazon, la L2 sur L’Équipe TV, la C1 sur SFR… On s’y perd ! Du coup, personne ne regarde le même match en même temps. La semaine passée, au moment où l’équipe de France jouait contre la Finlande, on voyait les tweets racontant le match formidable de Depay qui marquait but sur but contre les Turcs. Je me disais : « Merde j’aurais préféré regarder ce match-là, en fait. » Je voulais réfléchir à une notion qu’on perd souvent de vue : la rareté. En foot comme ailleurs, ce qui est rare est cher. À l’inverse, ce que réclame aujourd’hui Arsène Wenger, c’est toujours plus de compétitions.
Le livre ne dit pas une chose : est-ce que vous prenez plus votre pied dans un match de foot ou un porno ?Même si on s’amuse en regardant du porno, je préfère largement un match de foot, ça me procure largement plus de jouissance. Ça dure, c’est infiniment plus érotique. Loin de l’idée reçue, la roulette de Zidane ou le passement de jambes de Pastore, ce n’est pas du porn, c’est du romantique puissant, quelque chose de l’ordre de la caresse. L’inverse de ce que veulent Agnelli et d’autres dirigeants, qui veulent accélérer, morceler, accentuent sans cesse leur sport pour en faire un divertissement. Pour autant, je ne dis pas que le foot, c’était mieux avant. La pornographisation du football a ses avantages. Elle crée des Camavinga, des Mbappé, des Haaland. Des surdoués. Finalement, il faut un peu de tout dans la vie : parfois on veut faire l’amour, parfois, on veut baiser.
Propos recueillis par Vincent Bresson