- CAN 2012
- Finale
- Zambie/Côte d'Ivoire
La Zambie, au nom des morts
Invités surprises de la finale, les Chipolopolo auront tout à gagner face au pachyderme ivoirien. Surtout les joueurs d'Hervé Renard auront un petit supplémént d'âme. Ils joueront pour leurs glorieux aînés en sélection, disparus lors d'un crash aérien en 1993, à Libreville
« Quand nous avons commencé notre camp d’entrainement en Afrique du Sud, nous avons discuté de la tragédie et nous nous sommes dit que cela devait être notre coupe. Quand nous avions vu que la finale se déroulerait au Gabon, nous avons réalisé que c’était à nous de jouer, car c’est là où nos frères sont morts. Nous pensons à eux chaque fois que nous entrons sur le terrain et donnons le meilleur pour offrir au peuple zambien ce qu’il mérite« . La déclaration d’Isaac Chansa, résume toute la motivation des hommes d’Hervé Renard car à l’origine il y a un drame. Un drame qui a pour cadre Libreville.
Back in 1993, la Zambie est une des meilleures nations africaines. La génération dorée du football chipolopolo, capable de coller un cinglant 4-0 à l’équipe d’Italie aux Jeux Olympiques de Séoul, arrive à maturation et fait partie des favoris de la CAN qui doit se dérouler un an plus tard en Tunisie. Sauf que le 27 avril de cette année maudite, alors que l’équipe se déplace au Sénégal pour y jouer un match qualificatif à la Coupe du Monde au pays du soccer, le Zambian Air Force Buffalo DHC-5D s’abîme en mer à 500 mètres des côtes de cette chienne de ville libre. La catastrophe laisse 30 personnes sur le carreau dont les 18 balles de cuivre. La Zambie tient hélas, ses Busby Babes. Seule la star Kalusha Bwalya et Charly Musanda restés en Europe échappent au destin. Et comme malgré tout il faut jouer en mémoire des disparus, la Zambie nouvelle, emmenée par l’attaquant du PSV Eindhoven effectue un parcours héroïque en Tunisie, pratiquant le meilleur football du tournoi et cédant seulement 2-1 face au grand Nigeria de Rashidi Yekini en finale.
Une histoire triste et belle de résurrection qui a marqué l’histoire du football zambien, habitué depuis lors des échéances continentales, puisque depuis 1994 la sélection n’a manqué qu’une fois la CAN (en 2004). Mais si généralement les hommes de Lusaka étaient des invités polis, préférant sortir de table dès le premier tour plutôt que de bousculer la hiérarchie continentale, tout a changé pour la nation d’Afrique australe avec l’arrivée du coach français Hervé Renard. Après avoir été adjoint de Claude Leroy à la tête du Ghana, le goupil prend la tête des Chipolopolo en 2008. Deux ans plus tard en 2010 il emmène ses joueurs en quarts de finale après des matchs intéressants et quand le président de la fédération, le glorieux ancien Kalusha Bwalya le rappelle en novembre dernier après un intermède de l’Italien Bonetti, Renard arrive en terrain conquis. L’homme est loin des cartes postales du « sorcier blanc », qui ont souvent causé du tort au continent noir. Il vit à Lusaka, est imprégné de la culture du pays, scrute les faits et gestes des joueurs en traînant ses guêtres sur les terrains, bref respire le football zambien. Il sait aussi toute la charge symbolique de cette CAN au Gabon.
Quant à ses joueurs, tous évoluent en Afrique. Sur les 22 sélectionnés, un seul est sociétaire d’un club européen, l’excellent attaquant Mayuka, des Young Boys Berne, les autres jouent pour la plupart dans le championnat national, en Afrique du Sud ou au TP Mazembe au Congo. Les rassemblements de la sélection sont donc plus faciles à organiser quand les grosses équipes du continent doivent à chaque fois rapatrier leur contingent européen. De plus les Chipolopolo Boys du docteur Renard ont l’habitude de jouer ensemble, certains, comme Chansa ou Kalaba disputent déjà leur quatrième CAN. Ils ont à peine plus de 25 ans. Une certaine idée de l’expérience
Surtout les Zambiens jouent avec leurs qualités. Conscient des limites de ses joueurs, le coach français propose un schéma de jeu en conséquence. Simple, pas révolutionnaire mais efficace. A savoir, un bloc défensif très soudé, devant le bon Kennedy Mweene dans les bois, qui résiste, plie, accepte la domination adverse et file la balle à son conducteur à hauts risques Rainford Kalaba dès qu’il la récupère. Vif et très fin techniquement, le meneur de jeu du TP Mazembe est l’héritier des hommes de 1993, le dépositaire de la trademark chipolopolo et sans doute l’un des meilleurs joueurs de la compétition. Il transforme la boue en or pour la perle Mayuka en pointe. Cette tactique simple a parfaitement fonctionné contre les Blacks Stars ghanéennes, les partenaires du capitaine Katongo marquant sur leur unique occasion.
Dans la bataille des Oranges de ce soir, les Zambiens devraient faire la même chose. Pas vraiment favoris, ils ont malgré tout leur chance car il suffit d’une balle. Une balle de cuivre dans le buffet de l’éléphant et puis défendre comme un seul homme au nom des esprits, pour fermer le cercle et rendre justice à ceux morts à Libreville, il y a presque 20 ans.
Par Arthur Jeanne