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La véritable histoire de Penaldo

Par Eric Penalgiori
13 minutes
La véritable histoire de Penaldo

Il est le héros de tout un peuple, la fierté d'un pays. Depuis des années, il bat tous les records et inscrit son nom dans les livres d'histoire. Lui, c'est Penaldo. Un joueur atypique, qui, depuis toujours, voulait devenir tireur de penalty, et non pas footballeur. Portrait du seul joueur à avoir inscrit trois penaltys dans trois Coupes du monde différentes, et dont les chiffres ne sont pas près d'être battus.

Le 17 juillet 1994, le monde entier a les yeux rivés sur le Rose Bowl de Pasadena, en Californie. C’est la finale de la Coupe du monde. D’un côté, le Brésil, trois fois champion du monde. De l’autre, l’Italie, trois fois championne du monde aussi. C’est le choc des titans. Romário contre Baggio. Les Jaunes contre les Bleus. Le match est disputé, tendu. Peu d’occasions, la chaleur californienne n’aide pas. 0-0 au terme des 120 minutes. La Coupe du monde, pour la première fois de l’histoire, se jouera aux tirs au but. Au Brésil, 160 millions de personnes retiennent leur souffle. En Italie, 57 millions en font de même. Mais plus surprenant, cette tension s’étend jusqu’à d’autres pays, qui, en l’absence de leur nation au Mondial, vivent cette finale par procuration.

La seule chose qu’il aimait, c’était prendre un ballon, partir tout seul dans son coin, et aller tirer entre deux arbustes, un peu à la manière d’un penalty.

La scène se passe à Funchal, sur l’ile de Madère, au Portugal. Comme des millions de Portugais fans de football, la famille Aveiro est devant son téléviseur. Comme la France, le Portugal a raté pour la deuxième fois de suite le coche. Absents du Mondial 1990, les Portugais ont encore échoué à se qualifier, en terminant troisièmes de leur poule derrière l’Italie et la Suisse, et en perdant d’ailleurs deux fois contre les Azzurri. Alors, forcément, pour cette finale, toute la famille Aveiro est derrière les cousins brésiliens. Le fils aîné de la famille, Hugo, fou de foot, joue d’ailleurs dans le club local d’Andorinha et rêve, un jour, de disputer une finale de Coupe du monde. Tout l’inverse de son petit frère, Cristiano, qui ne s’intéresse pas du tout au foot. « Dès qu’il a eu 4, 5 ans, j’ai essayé de l’emmener avec moi au terrain de foot, rembobine Hugo. Mais tu sentais que ça ne lui plaisait pas. La seule chose qu’il aimait, c’était prendre un ballon, partir tout seul dans son coin, et aller tirer entre deux arbustes, un peu à la manière d’un penalty. Mais dès qu’on commençait un vrai match, il rentrait à la maison. » Pendant toute la finale Brésil-Italie, pendant que la famille Aveiro s’égosille devant la télé, Cristiano est d’ailleurs en train de jouer avec ses Action Man dans sa chambre. « La séance de tirs au but allait débuter, et il est descendu pour prendre un Coca, sa boisson préférée, replace Hugo. Je lui ai dit :« Cri, viens regarder les tirs au but, viens donner de la force au Brésil! » Il est venu s’asseoir à côté de moi. Et la séance a débuté. »

Une séance de tirs au but avec des Action Man

L’histoire de cette séance de tirs au but est connue. Maladroits, les Italiens ratent trois tentatives sur cinq, pendant que les Brésiliens n’ont besoin que de trois tirs transformés pour soulever leur quatrième Coupe du monde. Une séance aussi dramatique pour les uns (le raté de Baggio) que magique pour les autres. Devant son écran, le petit Cristiano ne pipe pas mot. « Il était complètement hypnotisé par l’instant, sincèrement, je ne l’avais jamais vu aussi captivé. Il s’en fichait totalement de qui allait gagner, il voulait juste voir ce moment où les joueurs posent le ballon sur le point de penalty, s’élancent et tirent. » Le soir même, la maman, Maria Dolores, monte dans la chambre de son fils pour lui demander d’aller se coucher. Elle trouve Cristiano assis sur son tapis, en train de rejouer la séance de tirs au but avec ses Action Man.

Dès qu’un copain en avait marre et proposait de faire un match, lui s’énervait et partait en boudant. Il ne voulait que tirer des penaltys.

Dès lors, le penalty tourne à l’obsession chez le petit Cristiano. Au lendemain de Brésil-Italie, il installe un but de fortune dans son jardin, pose un sac au milieu pour faire un gardien factice, prend l’un des ballons de son grand frère, plante un petit baton dans l’herbe en guise de point de penalty et commence à tirer. Un, deux, trois, quatre, dix, cent… « Je me le rappelle très bien, c’était un lundi, il faisait une chaleur écrasante à Madère, et lui, il était dans le jardin, et il tirait des penaltys sous le cagnard… » se souvient Hugo. Pendant tout l’été, Cristiano va s’entraîner. Tous les jours. « Il invitait des copains à la maison, et il organisait des tournois de penaltys. Dès qu’un copain en avait marre et proposait de faire un match, lui s’énervait et partait en boudant. Il ne voulait que tirer des penaltys. »

Pendant un petit concours de penaltys, Penaldo n’en a raté aucun. Il voulait continuer jusqu’à ce qu’il en rate un, mais au bout de 15 minutes à se prendre des pralines, le gardien a enlevé ses gants et est parti. Je n’avais jamais vu ça.

Cassette video, cahiers et cauchemars

Voyant que la passion de son petit frère pour les penaltys se poursuit même après la rentrée des classes de septembre, Hugo décide de prendre les choses en main. Il fait le tour des clubs de l’île, et demande des entretiens avec les présidents de chaque club. À chaque entretien, il décide de venir avec une cassette vidéo des meilleurs penaltys de son petit frère. La plupart des présidents lui rient au nez, arguant qu’ils ont besoin de joueurs de foot, pas de tireurs de penaltys. Mais un seul va voir au-delà. Rui Antonio Macedo Alves, le tout nouveau président du Nacional de Madeira. Vingt-huit ans après, l’homme occupe toujours le même poste, et se souvient parfaitement de cet entretien un peu surréaliste. « Hugo Aveiro débarque dans mon bureau, et me dit qu’il veut me montrer une vidéo de son frère, Cristiano, resitue Rui Antonio Macedo Alves. Je m’attends à voir un dribbleur, un crack et là, je me tape 10 minutes non-stop d’un gamin qui tire des penaltys. Dans son jardin, au terrain, dans la rue, dans sa chambre, même dans sa salle de bain ! Je lui dis : « C’est une blague ? », il me répond : « Non, c’est votre futur star, Cristiano Penaldo. »  »

Un peu secoué par ce qu’il vient de voir et d’entendre, Rui Antonio Macedo Alves se donne le temps de la réflexion. Ironie du sort, à la fin de la saison 1994-1995, son Nacional perd la finale du championnat junior… aux tirs au but. Le boss voit ça comme un signe du destin, et propose donc au petit Penaldo de venir s’entraîner avec eux. « Au premier entraînement, il s’est entraîné normalement, il n’était pas très rapide, pas super technique, tu sentais qu’il n’était que moyennement intéressé, replace João Magaucho, le coach des U12 du Nacional. À la fin de l’entraînement, j’ai proposé un concours de penaltys. Si tu rates, tu peux rentrer chez toi, si tu marques, tu continues. Et là, il s’est illuminé. Il n’en a raté aucun. Il voulait continuer jusqu’à ce qu’il en rate un, mais au bout de 15 minutes à se prendre des pralines, le gardien a enlevé ses gants et est parti. Je n’avais jamais vu ça. »

Parfois, au lieu de faire ses devoirs, il dessinait sur ses cahiers des grands penaltys de l’histoire… celui de Brehme contre l’Argentine, celui de Panenka… Et puis d’autres fois, je l’entendais se réveiller en pleine nuit en criant : « Penálti! »

Dès lors, João Magaucho décide de construire son équipe en fonction de ça : tenter d’obtenir le plus de penaltys possibles, et laisser Penaldo s’occuper du reste. La technique marche : sur l’ensemble de la saison, le Nacional obtient 38 penaltys. Le bilan est implacable : 38 buts pour Penaldo, qui termine meilleur buteur du championnat. « On savait que quand le Nacional obtenait un penalty, c’était but, il n’en a jamais raté un seul, se souvient Hugo, le grand frère, qui assiste chaque jour à des drôles de scène à la maison. Parfois, au lieu de faire ses devoirs, il dessinait sur ses cahiers des grands penaltys de l’histoire… celui de Brehme contre l’Argentine, celui de Panenka… Et puis d’autres fois, je l’entendais se réveiller en pleine nuit en criant « Penálti! »  »

Dans les vestiaires, je suis allé le voir, et je lui ai dit : « Oh, Penaldo, tu as 17 ans et tu as marqué deux buts, souris ! » Il m’a regardé, quasiment les larmes aux yeux, et m’a dit : « Deux buts, ça ne sert à rien, tout le monde peut mettre deux buts… Moi, je ne veux mettre que des penaltys, sinon, à quoi bon jouer au foot ? »

Totti et Le Tissier comme modèles

Forcément, le phénomène Penaldo fait du bruit dans la région. En 1997, le Sporting, las de perdre tous ses tournois junior aux tirs au but face à Porto et Benfica, décide de le recruter pour 12 000€, lui proposant un bonus de 100€ pour chaque penalty marqué. Pendant ses cinq années de formation au Sporting, il s’entraîne sans relâche à l’exercice, n’en rate aucun, et s’inspire des plus grands tireurs de péno de l’époque : Francesco Totti, que Penaldo surnomme affectueusement « Penaltotti », ou encore Matt Le Tissier, et ses 47 penaltys réussis en carrière sur 48 tentés. À partir de la saison 2002-2003, le joueur est titularisé en équipe première.

Néanmoins, sa première saison dans l’élite portugaise est un fiasco : Penaldo ne marque pas le moindre penalty, en 25 apparitions. Cette situation est ingérable pour lui. « Pour son deuxième match de championnat, il met un doublé contre Moreirense, rembobine Paulo Bento, son coéquipier au Sporting. La presse s’est enflammée, mais lui était déçu, je l’ai vu abattu à la fin de la rencontre. Dans les vestiaires, je suis allé le voir, et je lui ai dit : « Oh, Penaldo, tu as 17 ans et tu as marqué deux buts, souris ! » Il m’a regardé, quasiment les larmes aux yeux, et m’a dit : « Deux buts, ça ne sert à rien, tout le monde peut mettre deux buts… Moi, je ne veux mettre que des penaltys, sinon, à quoi bon jouer au foot ? » J’ai compris qu’il ne s’épanouirait jamais au Sporting, il fallait qu’il parte ailleurs. » Bento a vu juste. Penaldo rêve de signer à la Juventus ou à l’Olympique lyonnais, « car ce sont des institutions qui respectent les penaltys », précise Hugo. Mais c’est finalement Manchester United qui rafle la mise.

Your name is not Ruud van Penalrooy ! I am Penaldo ! You are not love the penalty ! I shot the penalty !

Les premiers émois

Néanmoins, tout ne sera pas tout rose non plus à Manchester. Un jour, il en vient même aux mains à l’entraînement avec Ruud van Nistelrooy, car ce dernier refuse catégoriquement de lui laisser tirer les penaltys. En larmes, Penaldo lui aurait hurlé, dans un anglais très approximatif : « Your name is not Ruud van Penalrooy ! I am Penaldo ! You are not love the penalty ! I shot the penalty ! » Il faudra une intervention musclée de Sir Alex Ferguson pour calmer le Portugais, qui lui promet que le prochain penalty sera pour lui. Chose promise, chose due : le 30 novembre 2005, lors d’un match de Cup contre West Bromwich Albion, Penaldo ouvre le score sur penalty. Son premier penalty en pro, et une véritable libération pour lui et toute sa famille. « Je pense que je n’oublierai jamais son regard au moment de poser le ballon sur le point de penalty, se remémore Russel Hoult, le portier de WBA. J’avais l’impression que sa vie en dépendait, il tremblait. Il m’a fusillé, je n’ai rien pu faire. » Devant son téléviseur, Hugo, le grand frère, vit ça comme un véritable soulagement. « J’étais tellement heureux pour lui. J’ai repensé à lui dans le jardin, en train de tirer, de tirer et de tirer encore, à lui en train de regarder en boucle la K7Pênalti Louco (« Le Penalty en folie »).Il le méritait, vraiment. » Mais la véritable consécration arrive le 17 juin 2006. Sélectionné par Scolari pour la Coupe du monde, il inscrit son premier penalty en Coupe du monde face à l’Iran, lors d’une victoire 2-0. « Le voir marquer avec le maillot de l’équipe nationale, en Coupe du monde, c’était tout simplement exceptionnel, assure Hugo, encore ému.Son obsession pour les penaltys était né devant une finale de Coupe du monde, et là, douze ans plus tard, il marque en Coupe du monde sur penalty. J’en ai pleuré. »

Sincèrement, si on avait perdu la finale à cause de mon raté, je pense que j’aurais arrêté ma carrière.

La statue à l’Estadio do Penaldo

Dès lors, la machine Penaldo est lancée. Van Nisterlooy quitte Manchester United à l’été 2006, et Penaldo devient le tireur mancunien attitré. Et les penaltys s’enchaînent. Cinq pendant la saison 2006-2007, puis le premier en Ligue des champions lors de l’exercice 2007-2008, face au Dynamo Kiev. Une campagne de Ligue des champions qui se termine d’ailleurs d’une drôle de manière. Penaldo soulève la première C1 de sa carrière, mais rate son penalty lors de la séance de tirs au but face à Chelsea. Le premier loupé de sa carrière, heureusement sans conséquence. « Sincèrement, si on avait perdu la finale à cause de mon raté, je pense que j’aurais arrêté ma carrière », a-t-il raconté plus tard dans sa biographie, intitulée Code Penal.

C’est véritablement au Real Madrid que Penaldo va devenir celui que l’on connaît tous aujourd’hui. En neuf saisons à Madrid, il explose tous les records, en inscrivant 79 penaltys et en devenant donc le meilleur buteur sur penalty de l’histoire du club madrilène. Cerise sur le gâteau : il plante un péno en finale de Ligue des champions, le 24 mai 2014 face à l’Atlético de Madrid, affichant ses abdos aux yeux du monde entier pour l’occasion. Penaldo est d’ailleurs, à ce jour, le meilleur buteur sur penalty de l’histoire de la C1, avec 20 réalisations, ce qui le place à hauteur de joueurs comme Fernando Torres, Ole Gunnar Solskjær ou Gareth Bale, eux aussi auteur de 20 buts dans la compétition reine. Avec le maillot de la Selecção, Penaldo en est à 17 réalisations, ce qui en fait le 14e meilleur buteur de l’histoire de la sélection lusitanienne. Ce vendredi 25 novembre 2022, il est devenu, en marquant face au Ghana, le premier joueur de l’histoire à inscrire des penaltys dans trois Coupes du monde.

Mes potes m’appellent Penaldinho, depuis que je viens ici, je n’en ai raté aucun.

Forcément, avec un tel palmarès, Penaldo fait aujourd’hui la fierté de Funchal, la ville où il est né. Là-bas un stade un peu particulier, appelé Estadio do Penaldo, a été inauguré en 2019. Le terrain ne mesure que 20 mètres de long, soit la réplique d’une surface de réparation + quelques mètres pour prendre son élan. Un but, un point de penalty, et évidemment une statue en bronze de Penaldo : tous les gamins de la région, maillot Penaldo sur les épaules, viennent s’entraîner à tirer des penaltys. « Mes potes m’appellent Penaldinho, depuis que je viens ici, je n’en ai raté aucun », lâche un petit de 9 ans, dont le look rappelle évidemment celui de son idole. Une idole qui a d’ailleurs promis que, pour fêter son 150e penalty réussi en carrière (contre le Ghana, il a inscrit son 146e, NDLR), il viendrait en personne participer à un tournoi de penaltys, ici, à l’Estadio do Penaldo. Alors, autant dire que les gamins du coin, impatients, n’ont qu’un mot à la bouche à chaque match du Portugal : « Penálti ! Penálti ! Penálti ! »

Ceci est évidemment une fiction. Toute ressemblance avec des faits réels et avérés serait fortuite (enfin, pas tout à fait).

Dans cet article :
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Par Eric Penalgiori

Tous propos pas vraiment recueillis par EM.

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