- Euro 2016
- 8es
- Pologne-Suisse
La Suisse, cauchemar de Grosicki
Face à la Suisse, Kamil Grosicki aura à cœur de faire un gros match. Passé quelques mois au FC Sion, le Polonais y a vécu les heures les plus sombres de sa carrière. Entre jeux d’argent, alcoolisme, accidents de voiture et arnaque financière.
Peut-être qu’Adam Nawałka hésite encore. À l’heure de coucher sur sa feuille le nom des onze joueurs qui vont débuter le huitième de finale, le sélectionneur de la Pologne réfléchit sans doute concernant le poste d’ailier gauche. L’espoir Bartosz Kapustka, 19 bougies au compteur et la fougue comme arme, ou l’ « ancien » Kamil Grosicki, presque dix printemps de plus et présent en sélection depuis huit grosses années ? Lors des poules, le temps de jeu a été partagé malgré un avantage certain pour la jeunesse. Deux titularisations et une entrée en jeu pour le premier, le contraire pour le second. Le constat semble assez clair : lorsqu’il faut gagner contre un adversaire considéré comme plus « faible » (Irlande du Nord et Pologne), Kapustka est aligné. Lorsque le niveau et la pression s’élève, nécessitant davantage d’efforts défensifs face à une équipe redoutable (l’Allemagne), c’est l’apport de Grosicki qui est choisi. Et devant la Suisse ? Vu l’équivalence supposée de niveau entre les deux équipes et la teneur décisive d’un huitième de finale, la générosité du joueur de Rennes devrait être privilégiée. Mais il y a un mais.
Regarder jouer les autres, au foot et au casino
Car la Suisse n’évoque pas tout à fait un super souvenir pour Kamil Grosicki. C’est même un doux euphémisme. Si peu s’en souviennent, le milieu offensif est bel et bien passé chez les Helvètes. Une toute petite pige au FC Sion, et une grosse galère. Rembobinons. Formé au Pogoń Szczecin, Grosicki monte tranquillement les marches jusqu’au contrat professionnel en 2005. De plus en plus utilisé, il inscrit ses premiers buts et s’envole en juin 2007 pour le Legia Varsovie. C’est ici que les emmerdes débutent. Malgré des performances plutôt abouties, Kamil passe son temps au casino, se drogue aux jeux d’argent et foire sa saison avant de quitter le pays et signer pour Sion en février 2008, à vingt ans. « J’allais souvent au casino, pratiquement tous les jours, a-t-il même reconnu depuis. Je pouvais y aller à minuit et partir le lendemain à midi. Comme j’avais perdu tout mon argent, je restais assis et regardais les autres jouer. »
Prêté seulement un an, la recrue endettée ne va rien faire pour donner des idées d’achat à son nouveau club. La raison ? Une petite dépression combinée à un goût prononcé pour la boisson. Alors qu’il habite à deux pas du stade, le Polonais n’arrive jamais à l’heure aux entraînements et sèche même les cours de français proposés par les dirigeants. Pire : en plein cauchemar, Grosicki continue sa descente aux enfers en provoquant deux accidents de la route. Le tout sans permis de conduire… Forcément, la tristesse du mec se ressent sur le terrain, où il ne passe en tout et pour tout que 340 minutes, soit huit bouts de match, pour deux buts et deux passes décisives – des stats qui, au passage, prouvent quand même une certaine capacité à se montrer décisif. Pour finir, le joueur, qui ne parle donc pas français et reprend en septembre 2008 avec la réserve, doit renoncer à son salaire. Le malheureux aurait en effet signé un obscur document écrit dans la langue de Molière par le FC Sion. « À la fin, les dirigeants m’ont présenté un papier, témoigne Grosicki. Je n’y comprenais rien, vu que je ne savais pas lire le français. Ils m’ont dit qu’ils ne me laisseraient pas partir si je ne le signais pas, alors je l’ai fait. C’est après qu’on m’a dit que je venais de renoncer aux salaires que le club me devait. »
« They tried to make me go to rehab »
Appartenant toujours au Legia, Kamil est alors envoyé dans un centre contre les addictions : « J’y étais enfermé avec des alcooliques et toxicomanes, trente personnes en tout. Il y en a un qui buvait des parfums, l’autre qui sniffait de la colle et moi, je parlais de ma dépendance aux jeux d’argent. Chaque journée était planifiée de telle sorte qu’on ne puisse pas réfléchir à nos problèmes, j’y suis resté un mois. » Après avoir réfléchi à une retraire prématurée, Grosicki, de retour en Pologne et enfin bien entouré, remonte finalement la pente avec le Jagiellonia Białystok. La suite, on la connaît : une centaine de rencontres à Sivasspor, l’arrivée à Rennes et l’Euro 2016. Avec sûrement un esprit de revanche envers la Suisse.
Par Florian Cadu
Propos de Kamil Grosicki tirés de Tylko Piłka, Legia.net et Wirtualna Polska et relayés par footballski