- Coupe de France
- 8e tour
- Solidarité scolaire–Sarre-Union
La Solidarité Scolaire : la Guadeloupe au tableau
La Guadeloupe est secouée par de fortes manifestations et tensions sociales depuis plusieurs semaines. Si on y ajoute la disparition cet été de Jacob Desvarieux, leader du groupe de zouk Kassav’, autant dire que le moral n’est pas au beau fixe sur l’île antillaise. Pourtant, il existe un petit rayon de soleil qui apporte un peu d’ondes positives. Le club de la Solidarité scolaire de Baie-Mahault a bravé le froid et les huit heures de vol pour établir ses quartiers à Lisses, dans le 91, afin de préparer son 8e tour de Coupe de France disputé ce dimanche contre Sarre-Union (15h). Une première depuis 1999.
De trente degrés à trois, la différence est grande, mais les Guadeloupéens de la Solidarité scolaire n’en ont que faire. Après leur victoire contre l’AS Gosier au 7e tour, champion de Guadeloupe en titre, ils sont les derniers représentants de l’île dans cette 105e édition de la Coupe de France. Ce dimanche face à Sarre-Union (N3) au huitième tour, la tâche s’annonce ardue pour le club antillais. Surtout que le contexte ne l’aide certainement pas. Depuis deux semaines, l’île est en proie à des émeutes et des manifestations violentes à la suite de l’obligation vaccinale, qui s’est transformé en ras-le-bol social général. Alors que l’accès à l’eau potable n’est toujours pas assurée, les révoltes ont repris de plus belle à la suite de la visite infructueuse du ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu. « On a une forte pensée pour le pays, indique Fabrice Otto, l’entraîneur de la Solidarité scolaire, installé dans le lobby de l’hôtel Léonard de Vinci de Lisses (91). Nous sommes certes venus jouer un match de foot en région parisienne, mais on n’est pas insensibles à tout ce qu’il se passe là-bas. »
L’heure de la récré
Le déplacement à Paris n’était pas prévu. À la base, ce huitième tour de Coupe de France devait se tenir en Guadeloupe au stade des Abymes de Pointe-à-Pitre, mais s’est vu délocalisé en urgence par le club devant la dégradation de la situation sociale. Un match devenu impossible à assumer sur l’île, entre les nombreux débordements des manifestations et le couvre-feu mis en place le 19 novembre dernier. Un coup derrière la tête des joueurs, psychologiquement pas préparé pour ça. « Nous sommes dans un milieu amateur, donc beaucoup de joueurs ont dû demander une autorisation d’absence au travail, ou laisser leurs obligations familiales, précise le coach de 47 ans. En plus de préparer une rencontre avec l’exigence que demande un adversaire qui est supérieur à vous, s’ajoutent à ça le climat, les conditions atmosphériques et un autre environnement. » Pour les joueurs Thomas Gaydu et Morgan Saint-Maximin, c’est une petite déception de ne pas pouvoir évoluer sur l’île. « On s’attendait à recevoir l’équipe de Sarre-Union là-bas, avec nos supporters, nos familles, donc on est un peu déçus », explique le cousin d’Allan. Son coéquipier Christopher Kancel, 29 ans, prend cette nouvelle avec plus de philosophie et d’enthousiasme. « D’un côté, ça nous permet de faire un déplacement, de voir autre chose. C’est la première fois que je vais jouer un match de Coupe en métropole ! »
Le club a essayé de naviguer entre les gouttes depuis le début de la crise pour pouvoir s’entraîner correctement avant de s’envoler pour l’Hexagone, le 26 novembre. « Les joueurs ont reçu un programme individuel qu’ils ont essayé de suivre tant bien que mal, poursuit coach Otto. On s’est retrouvés à la veille du départ pour une séance commune. En arrivant suffisamment tôt en région parisienne, ça nous permet d’avoir vraiment une préparation sur une période plus cohérente. » Une situation particulièrement compliquée à gérer pour certains, non sans rappeler les périodes de confinement dues à la Covid. « Quand les barrages se sont intensifiés dans les rues, c’est devenu problématique, et mon entreprise a dû fermer pendant deux jours, témoigne Christopher Kancel, technico-commercial en dehors des terrains. On a dû fournir un gros effort mental. Encore plus important parce qu’il a fallu s’entraîner seul. Il a fallu faire un gros travail sur nous-mêmes pour être ici. » Privée d’entraînements collectifs, la Solidarité a dû faire preuve d’imagination pour arriver affûtée en région parisienne. « On cherchait des solutions, rien que pour se déplacer tous ensemble pour rester soudés, explique Thomas Gaydu, passé par l’Inter dans sa jeunesse. On essayait d’improviser des entraînements pour garder le contact avec le ballon et s’entretenir athlétiquement tant bien que mal. Quand on est arrivés à Paris et avec des séances tous les jours, c’était dur. Ça a fait un petit choc. »
Plus haut que la Grande Soufrière ?
Il faut dire que le match à venir est le genre de rendez-vous qui compte pour le club de Baie-Mahault (commune voisine de Pointe-à-Pitre), connu pour avoir formé le champion du monde Thomas Lemar, Marcus Coco et Yvann Maçon, mais aussi pour toute la Guadeloupe. Déjà parce que c’est une occasion de mettre les projecteurs sur le football guadeloupéen au moment où la population en a le plus besoin. « Ce qui se passe en Guadeloupe est « critiqué », il y a des gens qui comprennent la colère, et d’autres non, témoigne le taiseux mais pertinent Christopher Kancel. De notre côté, ce qui nous tient à cœur, c’est de gagner ce match et d’aller le plus loin possible pour montrer qu’il n’y a pas que des barrages ou des blocages. Il y a aussi du football en Guadeloupe, et du bon. » Dans ce contexte de crise, Fabrice Otto, qui est également l’adjoint de Jocelyn Angloma en sélection, est conscient de la situation privilégiée pour sa délégation et se donne un rôle d’ambassadeur : « On a envie de renvoyer une autre image de notre jeunesse guadeloupéenne que celle qui est mise en avant par les médias actuellement. » Représenter la Guadeloupe et ses valeurs, un mot d’ordre commun dans les rangs de la Solidarité scolaire. « Ça ne va pas ramener la paix ou quoi, mais, au moins donner du bonheur aux gens, ne serait-ce que 90 minutes », espère Morgan Saint-Maximin.
D’autant plus que les joueurs ne seront pas seuls dans cette délégation, puisque des supporters tenteront de mettre une ambiance volcanique au stade Robert-Bobin de Bondoufle. Philippe Coppet, le président de la Solidarité, a fait honneur au nom de son club en proposant un pack all inclusive (billet du match, hôtel et avion) pour 600 euros par personne. Une initiative bien reçue par les supporters de manière générale. « C’est un peu comme quand l’équipe de France se déplace, les supporters la suivent à l’autre bout du monde, se réjouit Christopher Kancel, en replaçant ses dread-locks. On est l’équipe qui représente la Guadeloupe et c’est important de permettre aux supporters de se déplacer pour nous encourager directement. » « C’est magnifique ce que font le président et l’administration, complète Morgan Saint-Maximin. Avec leurs moyens, ils arrivent à faire de belles choses. Et nous, ça nous pousse encore plus pour faire un résultat. » Et pour marquer les esprits en 971, quoi de mieux que d’être le premier club guadeloupéen à connaître les 32es de finale ? À Versailles, l’adversaire qui attend le vainqueur de cette affiche, ce serait royal.
Par Antoine Bchini