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La rivalité France-Angleterre manque-t-elle de croustillant ?

Par Tom Binet & Jérémie Baron
8 minutes
La rivalité France-Angleterre manque-t-elle de croustillant ?

La France retrouve ce samedi l'Angleterre en quarts de finale du Mondial. Et aussi fou que cela puisse paraître, c'est une première en phase à élimination directe d'une grande compétition. Footballistiquement parlant, existe-t-il une véritable rivalité entre les deux voisins, que tout oppose par ailleurs ? Tentative de réponse, avec plus ou moins d'objectivité.

Installé à Mumbai, Robert Pirès n’a pas délaissé sa casquette de consultant pour autant, puisqu’il offre ses services à la chaîne locale JioCinema Sports 18 pendant toute la durée de la Coupe du monde. Une infidélité à M6, certes, mais le jeu en vaut la chandelle : sur les plateaux indiens, l’ancien Grenat taille notamment le bout de gras avec son ex-partenaire à Arsenal Sol Campbell. Alors, quand le calendrier du Mondial qatari a offert un quart de finale inédit entre Bleus et Three Lions, Bobby a savouré. Et a pu se remémorer, avec son compère, cette fameuse rencontre du premier tour de l’Euro 2004, pliée dans les dernières minutes par Zinédine Zidane : « On gagne parce que psychologiquement, on est au-dessus, et sur ce point à chaque fois, on est plus forts qu’eux, pose Pirès, toujours fier de rappeler l’hégémonie tricolore. Sol m’expliquait, encore récemment, qu’ils ne comprennent pas comment ils ont pu perdre ce match-là. Ils l’ont encore en travers de la gorge. »

Frogs et nationalisme

Reste que depuis le tour de magie du Z, les rencontres marquantes entre les deux nations ont été rares, l’opposition en poules lors du championnat d’Europe 2012 (1-1) n’ayant rien offert de plus mémorable que le doigt sur la bouche de Samir Nasri adressé à un célèbre éditorialiste français. Pire : si l’on fait le calcul, les deux voisins ne se sont affrontés qu’à deux reprises en Coupe du monde, la dernière fois en 1982, et n’ont jamais croisé le fer en phase à élimination directe d’une quelconque compétition. Difficile, dans ces conditions, d’entretenir une rivalité digne de ce nom.

Les Français, vous vous la racontez, vous aimez bien montrer votre supériorité. Les Anglais, même si on est les meilleurs sur certaines choses, on n’aime pas forcément le montrer : par exemple l’étoile sur notre maillot, elle est de la même couleur que le maillot, on ne la voit pas.

Les frères ennemis, les voisins irréconciliables, les Frogs contre les Rosbifs… Dans de nombreux domaines, la rivalité entre Anglais et Français n’est pourtant plus à démontrer. « Je résume souvent ça à une rivalité de frangins. On aime bien se charrier, se détester, s’envoyer des insultes, mais dans le fond, je crois qu’on s’aime », sourit Paul Taylor, humoriste britannique expatrié dans l’Hexagone. Une vieille habitude de part et d’autre du Channel. « Avant le Brexit, les Anglais étaient plus « stylés », c’était plus cool d’être un Britannique en France que d’être un Français en Angleterre. On a toujours eu cette rivalité. Les Français, vous vous la racontez, vous aimez bien montrer votre supériorité culinaire, gastronomique, fashion, toutes ces choses dans lesquelles vous êtes les meilleurs, vous le savez et vous aimez l’exposer à la vue de tous, poursuit celui qui vit à Paris depuis 2009. Les Anglais, on a un peu ce truc de flegme britannique, même si on est les meilleurs sur certaines choses, on n’aime pas forcément le montrer : par exemple l’étoile sur notre maillot, elle est de la même couleur que le maillot, on ne la voit pas. »

Sans surprise, à l’approche du premier affrontement de l’histoire des deux sélections à ce niveau, c’est tout ce désamour – lequel tient en partie du folklore – qui refait surface. « Bien sûr, on voit les tabloïds essayer de voir s’il y a un sentiment nationaliste derrière, mais cela ne prend pas trop, nuance Jonathan Wilson, auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire du ballon rond outre-Manche. Je ne crois pas que les Anglais voient ce match comme quelque chose de spécial parce que c’est la France en face, mais simplement parce que c’est un quart de finale de Coupe du monde. » Pas de sentiment de revanche envers des Bleus au palmarès incomparablement plus fourni, vraiment ? « Ils ont un peu ce problème d’infériorité par rapport à nous, croit savoir Pirès. Ils ont peut-être inventé le football, mais la France est aussi un pays de football, qui sait gagner : l’Euro, la Coupe du monde, la Coupe des confédérations, la Ligue des nations, ce que tu veux, on gagne ! »

Une suprématie loin d’être idéale à la création d’un antagonisme digne de celui que nourrissent les deux pays dans le monde de l’ovalie. Après des décennies à se bagarrer chaque année, les XV du coq et de la rose se vouent une haine réciproque et nettement plus vivace. « Au rugby, on s’affronte tous les ans lors du Tournoi des six nations, ce ne sont pas des matchs amicaux, donc ça réveille les anciennes rivalités, les cent ans de guerre, la « perfide Albion », les Monty Python qui se foutent de la gueule des Français… », déroule Paul Taylor, rejoint par Jonathan Wilson : « En plus, on parle des deux plus grosses équipes de l’hémisphère nord, donc c’est totalement logique. Je ne suis pas sûr que cela existe dans d’autres sports, surtout que les deux seuls sports collectifs que les fans anglais prennent au sérieux sont le football et le rugby. » C’est peu dire que balle au pied en revanche, nombreux sont les pays européens à avoir leur mot à dire.

Ce n’est pas la même chose qu’avec l’Allemagne ou l’Argentine, avec qui il y a des guerres qui sont encore prégnantes dans la mémoire collective.

L’Allemagne, l’Argentine, voire le Portugal se sont ainsi construits une histoire commune avec les Insulaires bien plus riche au fil des dernières années. Au point de clairement supplanter la France au premier rang des rivaux les plus craints, de Londres à Newcastle en passant par Birmingham. « Les deux rivalités traditionnelles pour nous dans le foot sont surtout l’Allemagne et l’Argentine, parce qu’on s’est beaucoup affrontés et qu’il s’est souvent passé des choses : la finale de 1966, la main de Dieu, le carton rouge de David Beckham, le but que l’arbitre n’a pas vu en 2010, énumère encore Taylor, qui, comme certains de ses compatriotes, avait été très heureux de voir les Coqs venger les Three Lions lors de la finale de 2018 contre la Croatie. Avec la France, malheureusement, on n’a pas eu beaucoup d’occasions de s’affronter en Coupe du monde. »

2015-2017 : l’heure de la fraternisation

D’autant que côté conflits historiques, Anglais, Allemands et Argentins ne sont pas en reste. « Bien sûr que la France et l’Angleterre ont une longue histoire, mais ce n’est encore une fois pas la même chose qu’avec l’Allemagne ou l’Argentine, avec qui il y a des guerres qui sont encore prégnantes dans la mémoire collective, embraye Wilson. Les guerres entre la France et l’Angleterre sont tellement loin dans le passé, je ne pense pas que les gens vont commencer à parler d’Henri V ou même de Waterloo. Cela n’a rien à voir avec les deux guerres mondiales ou les Malouines, qui sont dans notre conscience en permanence. » Autrement dit, sur le plan géopolitique non plus, l’Hexagone n’est plus l’ennemi numéro un de l’autre côté de la Manche.

On était allés jouer dans l’ancien Wembley, et je peux te dire que c’était électrique, l’ambiance. Parce que c’est un Angleterre-France.

Bien que les deux capitaines qui échangeront les fanions samedi – Hugo Lloris et Harry Kane – évoluent tous les deux à Tottenham, le nombre de Bleus présents en Premier League n’est plus le même qu’il y a quelques années (seulement cinq dans l’effectif, alors qu’ils étaient onze à l’Euro 2016, et neuf au moment du duel de 2004), les grandes heures des Frenchies d’Arsenal, Chelsea ou Newcastle étant révolues. Moins de chance, donc, de voir des scènes comme celles vécues par Pirès à l’époque où il évoluait à Highbury : « Dans le couloir, ça se chambrait, ça se lançait des regards, Ashley Cole me disait : « Reste tranquille, sinon je vais te découper », des choses comme ça. Ça fait partie du jeu. On était aussi allés jouer dans l’ancien Wembley(victoire 2-0 le 10 février 1999 grâce à un doublé de Nicolas Anelka et ses gants de gardien), et je peux te dire que c’était électrique, l’ambiance. Parce que c’est un Angleterre-France. Je ne vais pas dire qu’ils nous détestent, mais ils ne nous portent pas trop dans leur cœur sur le plan sportif. Ils ont les boules parce que généralement, on les bat. Samedi, la rivalité sera là, tu peux me faire confiance. »

Ces dernières années, pourtant, les querelles sportives sont en partie passées au second plan au moment des France-Angleterre, au vu du contexte plutôt au rapprochement des deux peuples : l’amical de 2015 (2-0 pour l’Angleterre avec un bijou de Dele Alli), disputé en Angleterre, avait eu lieu quatre jours après les attentats de Paris, et La Marseillaise avait été entonnée par tout Wembley, habillé de bleu-blanc-rouge l’espace de quelques instants ; celui de 2017 (3-2 pour les Bleus avec les débuts de la connexion Mbappé-Dembélé), au Stade de France, se tenait quelques semaines après les tueries de la Manchester Arena et de Londres, et c’est sur le magnifique Don’t Look Back in Anger d’Oasis (interprété par Jean-Michel Mekil, gendarme de la Garde républicaine) que les deux nations avaient pu communier, au grand dam de Liam Gallagher d’ailleurs.

La tendance serait-elle donc plutôt à un apaisement entre les deux nations ? Nul doute que plusieurs affrontements à couteaux tirés dans les années à venir ne manqueraient pas de faire resurgir quelques antagonismes. « Si vous vous retrouvez face-à-face dans plusieurs tournois, bien sûr que cela peut faire revivre une forme de rivalité, assure Jonathan Wilson, lequel a un exemple bien précis en tête. On l’a vu par exemple entre l’Angleterre et le Portugal qui se sont joués en 2004 et 2006. Ces matchs avaient également été marquants en raison de Mourinho, qui venait d’arriver à Chelsea et commençait à se faire un nom. Il y avait l’idée d’un football portugais en progrès, qui pouvait supplanter l’Angleterre dans la hiérarchie. Deux ou trois matchs décisifs dans la prochaine décennie pourraient créer quelque chose. Et seulement à partir de là, les gens se mettraient à penser à nouveau à Waterloo, au Québec ou à ce que vous voulez. » Rendez-vous en 2030, à l’occasion des 600 ans des campagnes militaires menées par Jeanne d’Arc ?

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Par Tom Binet & Jérémie Baron

Tous propos recueillis par TB et JB

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