- C1
- J1
- Tottenham-Monaco
La marche d’Eriksen
Trois ans après son atterrissage à Londres, Christian Eriksen se trouve à un tournant de son aventure anglaise entre une place acquise dans le cœur de Pochettino et l'obligation de désormais peser dans les matchs qui comptent. L'Europe peut être une belle porte d'entrée vers un nouveau monde.
Le temps défile, mais lui n’a pas bougé. Son visage non plus, toujours aussi froid, souvent aussi concentré. Mauricio Pochettino est un éternel insatisfait et son regard serré est désormais devenu une habitude. De cette soirée, il en a longtemps rêvé, alors il n’hésite pas à parler d’un « sentiment difficile à décrire » , mais aussi « des ballons et des chasubles » . Cette fois, l’Argentin va pouvoir toucher les étoiles de ses propres doigts, écouter derrière sa ligne la mélodie écrite par Tony Britten, mais surtout diriger la première rencontre de Ligue des champions de sa carrière d’entraîneur. Il y a plus d’un an, son Tottenham sortait l’AS Monaco des poules de la Ligue Europa au bout d’une gifle (4-1), avant de s’engouffrer dans une bataille contre l’insolence de Leicester en Premier League. L’histoire a désormais tourné et les deux équipes s’attendent à Wembley mercredi soir pour une vraie bagarre de C1. Pour Pochettino, le moment est parfait, car ses hommes viennent enfin de lancer leur saison à Stoke samedi (0-4) après trois premiers matchs de championnat à tourner en rond. La machine est rodée, n’a changé cet été que dans très peu de détails, et pourtant. Pourtant, le mois d’août a laissé des images marquantes. Celles notamment d’un joueur qui traîne la patte, son spleen et son football qui avait largement aidé les Spurs à se battre jusqu’au bout pour le titre la saison dernière. On parle là d’un malaise contractuel, d’une affaire de gros sous et de pression. Et soudain, la signature a eu lieu la semaine dernière autour d’un salaire de 90 000 euros hebdomadaires. La fin d’une série qui a bouffé un homme dont la fiche de paie est loin des cadors. « Quand je marche dans la rue, je sens que les gens supportent davantage le club que quand je suis arrivé en 2013. Les supporters croient en notre équipe au moins autant que moi » , expliquait-il alors à la chaîne officielle de Tottenham pour justifier son choix de repousser toutes les avances. Et le réveil a été brutal au Bet365 Stadium de Stoke le week-end dernier avec une prestation parfaite ponctuée par deux passes décisives et une ovation sincère. Voilà comment Christian Eriksen est redevenu en une signature Christian Eriksen. Même si certains doutes persistent au-delà du talent.
Thrilled to commit my future to this amazing club! #coys #ce23 pic.twitter.com/vJcyI5ngNo
— Christian Eriksen (@ChrisEriksen8) 6 septembre 2016
La tête qui dépasse
L’histoire dure depuis maintenant un peu plus de trois années. Trois ans de courbes géniales d’un meneur de jeu à tête levée, mais aussi d’une inconstance chronique. Lorsqu’il a débarqué de l’Ajax à l’été 2013, Eriksen devait assumer le rôle de successeur d’un Gareth Bale parti au Real Madrid pour 90 millions d’euros, mais donc aussi de caution frisson de White Hart Lane. En plus de l’arrivée du milieu de terrain danois, les Lillywhites avaient alors cassé leur tirelire pour enregistrer les signatures de Paulinho, Chadli, Capoue, Chiricheș, Lamela et Soldado. L’objectif fixé par le président Daniel Levy est alors clair : finir la saison dans le top 4 et retrouver ainsi la Ligue des champions le plus rapidement possible. L’effectif des Spurs dégueule de partout, mais Christian Eriksen s’intègre vite, enchaîne les succès sous les ordres de Villas-Boas jusqu’à une sale blessure en décembre. À son retour, AVB a giclé et a été remplacé par Tim Sherwood après une gifle reçue contre Liverpool à domicile (0-5). C’est aussi le moment où le Danois va devenir la pièce technique maîtresse de Tottenham, au-dessus d’un Lamela ou de l’échec industriel Soldado. Son mariage avec Mauricio Pochettino ne pouvait alors n’être que naturel au cœur du 4-2-3-1 dessiné par la main de l’entraîneur argentin. Eriksen a l’œil, le regard, mais aussi la qualité des coups de pied arrêtés, alors que son entente avec Harry Kane brille. Restent les déchets fréquents, l’inconstance face aux gros jusqu’à devenir enfin décisif lorsqu’on l’attend à Manchester face à City (1-2) en février dernier. Eriksen peine sous la pression, c’est une constante, mais l’émergence d’Alli lui permet de partager les offrandes au cœur d’un onze type alléchant porté par un milieu sexy. Pochettino a le luxe des choix, cette saison doit être celle de la confirmation dans le jeu, dans l’approche, mais aussi dans les moments importants, là où son Tottenham a craqué l’an passé dans le finish.
« Je veux toujours le ballon, c’est le type de joueur que je suis. »
Sur un terrain, Eriksen n’est pas forcément le plus élégant avec un physique frêle, un charisme proche du néant, mais demeure cette impression d’un joueur qui n’a plus rien à apprendre de personne dès qu’il a le ballon dans les pieds avec sa vision de jeu panoramique. À Amsterdam, le meneur de jeu a appris sous le regard de Dennis Bergkamp, alors influent dans l’éducation de la jeunesse de l’Ajax, et cela lui est resté. Il aime rappeler une chose : « Je veux toujours le ballon, c’est le type de joueur que je suis. » Sans lui, Tottenham est plus faible, alors cette saison doit être définitivement celle de l’explosion durable avec l’Europe comme vitrine. Sa prestation à Stoke a encore montré le rôle qu’il tient dans les transitions offensives de Pochettino, mais aussi dans l’orientation du jeu. White Hart Lane aime lui chanter qu’il ringardise Özil, mais le goût laissé par sa saison dernière est encore inachevé. Ce n’est donc pas pour rien que l’entraîneur argentin s’est battu pour ne pas le laisser partir loin de Londres cet été. Il souhaite emmener Eriksen jusqu’où il estime qu’il le mérite. Cela passera par le travail, le regard devant depuis que la paire Wanyama-Dier rassure tout le monde sur le boulot défensif, mais aussi la confirmation lorsque le niveau s’élève. Car il reste encore une partie du Royaume à se mettre dans la poche.
Par Maxime Brigand et Maxime Feuillet