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La Main de Dieu : voir Naples, Diego Maradona et grandir
Sorti sur Netflix le 15 décembre, La Main de Dieu de Paolo Sorrentino est un voyage autobiographique et sensible vers le Naples des années 1980. Une cité de rires et de drames, d’ombre et de lumière, que Maradona et le Napoli enveloppent constamment d'une aura bienveillante et réconfortante.
Il faut croire que le cinéma, comme le football, vit une drôle d’époque. Quand Marvel Studios et Warner Bros monopolisent les recettes en salles grâce à Spider-Man : No Way Home et Matrix Resurrections, Paolo Sorrentino – comme Martin Scorsese ou Jane Campion avant lui – doit se contenter d’une sortie sur Netflix pour continuer de dispenser son art. C’est ballot. Car contrairement aux superproductions méta-régressives des studios américains, le réalisateur italien propose avec La Main de Dieu un film d’apprentissage intime, courageux et jamais bêtement nostalgique.
À la poursuite de Maradona
Cette fois-ci, le réalisateur de La Grande Bellezza nous emmène à Naples, au milieu des années 1980. Son héros, Fabietto Schisa, vit une adolescence heureuse, typiquement parthénopéenne. Grande famille, grand ciel bleu, grand bordel conversationnel à chaque déjeuner dominical, où les oncles et cousins se coupent mutuellement la chique dans un débit intarissable de vannes. On dirait le Sud, mais le temps n’est pas voué à durer longtemps. Doucement mais sûrement, le bonheur s’abîme. Fabietto ne sait pas trop comment composer avec la montée de libido que lui inspire Patrizia, sa sublime et provocante tante, qui est périodiquement battue par son mari. Son frère, Marchino, aspirant acteur, est rejeté lors d’une audition avec le réalisateur Federico Fellini et perd confiance en ses capacités. Enfin, le mariage de ses parents vacille, quand sa mère découvre que le padre continue d’entretenir une liaison avec une collègue de travail.
Fabietto encaisse péniblement. Pour tenir le coup, il s’est ménagé une porte de sortie d’un mètre 65. Elle s’appelle Diego Armando Maradona. À l’été 1984, personne ne croit à la venue du Pibe de Oro en Campanie. Personne, sauf Fabietto. Qu’est-ce que le plus grand footballeur du monde irait bien foutre à Naples, cette cité merveilleusement monstrueuse, bordélique et contradictoire ? Question idiote. Dans la ville du Vésuve, la déraison est parfois de raison. Alors que Maradona s’engage effectivement avec le Napoli, Fabietto s’ouvre une fenêtre vers l’ailleurs. Une respiration au stade, loin des entrechats complexes, des contrariétés tristes de l’existence. Ce n’est pas Maradona que Sorrentino veut raconter, mais plutôt l’effet qu’il a pu inspirer aux Napolitains. El Diez traverse en réalité pudiquement le film. Ici, le football est d’abord un sentiment, omniprésent, mais diffus. C’est une petite chose heureuse qui rend la vie un peu plus supportable. Parfois, il soustrait même à la mort. C’est du moins ce qui est arrivé à Paolo Sorrentino dans la vraie vie. Parti voir Maradona et le Napoli lors d’un déplacement à Empoli, celui qui était alors adolescent avait échappé à une fuite de monoxyde de carbone dans l’appartement familial, qui avait ôté soudainement la vie à ses parents.
Éloge de l’esquive
C’est aussi ce qui arrive sans surprise à Fabietto, alors que le long métrage assume clairement son parti pris autobiographique. Même le football ne pourra plus alors plus sauver le jeune homme. C’est vers le cinéma que Fabietto se tourne alors, avec l’énergie du désespoir. Quand il ne découvre pas Il était une fois en Amérique, il tombe amoureux de Yulia, une actrice de théâtre habitée, et se prend de passion pour les films surréalistes du réalisateur napolitain Antonio Capuano. De nouvelles réalités sublimées s’offrent à lui, mais pour qu’il puisse imaginer les siennes, il faut partir. S’émanciper loin de sa ville nourricière, pour grandir et mieux revenir plus tard. Fabietto s’en ira pour Rome, pour étudier le 7e art. On devine que ses longs métrages, comme les matchs de Maradona, seront une échappatoire. Une fugue nécessaire. Le ballon et le cinéma ne concourent-ils pas, après tout, à des fins similaires ? Il faut voir Diego. Il était une fois en Amérique. Ces footballeurs et films qui, le temps de quelques heures, permettent d’échapper à la pesante réalité du monde.
Par Adrien Candau