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La Ligue 1 à 18 : « Nous ne sommes pas allés assez loin »

Propos recueillis par Pierre Rondeau
6 minutes
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La LFP vient de valider le passage d’une Ligue 1 à 18 clubs à partir de la saison 2023-2024. Interrogés sur ce sujet, les économistes Jean-Pascal Gayant, professeur à l’université du Mans, et Vincent Chaudel, codirecteur de l’Observatoire du sport business, admettent que cela va dans le bon sens, mais qu’il aurait fallu aller plus loin. Vers un nouveau départ pour le football français ?

C’est dommage d’être dans une solution extrême pour prendre une décision qu’on aurait dû prendre il y a vingt ans. En 2003, on est repassé à 20 pour de mauvaises raisons.

La LFP vient d’acter la Ligue 1 à 18 à partir de la saison 2023-2024. Qu’en pensez-vous ? Ne vous dites-vous pas qu’il s’agit d’un malheureux constat d’échec ou pensez-vous que cela va permettre de relancer l’intensité et l’intérêt du championnat de France ?Jean-Pascal Gayant : Il y a un constat d’échec, qui est surtout celui de l’appel d’offres pour les droits TV 2020-2024, mais aussi une opportunité de rebond. Le passage à 18 clubs devrait mécaniquement augmenter la concentration des talents et donc la qualité des équipes évoluant en Ligue 1. On peut espérer que la qualité du spectacle progresse. Il y a aussi le bien-fondé d’une marche vers une ligue domestique à format réduit : je pense qu’une Superligue européenne finira par voir le jour et que ses matchs se joueront le week-end. Pour que les cadors européens continuent à participer aux championnats nationaux, il faudra que ces derniers réduisent drastiquement leur format (à 14 par exemple). Les pays qui se seront engagés tôt dans cette voie seront gagnants !Vincent Chaudel : C’est dommage d’être dans une solution extrême pour prendre une décision qu’on aurait dû prendre il y a vingt ans. En 2003, on est repassé à 20 pour de mauvaises raisons, après l’affaire des faux passeports, alors même que la Bundesliga avait sondé la LFP sur l’intérêt d’une telle réforme sans en tirer de conclusions positives. Depuis, les Allemands sont toujours à 18. C’est économiquement et sportivement plus intéressant. Selon moi, nous ne sommes pas allés assez loin, il aurait fallu passer à 16 tout de suite. C’est le sens de l’histoire. Dans le futur proche, dès 2024, l’UEFA va imposer plus de rencontres internationales, plus de matchs européens, les ligues nationales doivent s’adapter et anticiper ces changements. Il ne faut pas prendre le risque, comme le rugby, d’avoir des doublons, voire de perdre en compétitivité.

Je ne comprends pas le conservatisme du football professionnel. Le professionnalisme, cela ne signifie pas que tous les footballeurs aient vocation à être payés comme des cadres dirigeants !

La Ligue 1 à 18 pose aussi la question de toute l’organisation des championnats professionnels. Quid de la Ligue 2 et des divisions inférieures ? Ne faudrait-il pas aussi réfléchir, avec la FFF, à la création d’une Ligue 3 afin de protéger les clubs victimes de la réforme ?Jean-Pascal Gayant : C’est essentiel ! La création d’une Ligue 3 professionnelle est déjà une nécessité actuellement. Si l’on doit accueillir, au troisième niveau, quatre clubs venant des étages supérieurs (en faisant l’hypothèse d’une Ligue 2 également à 18), la question est même celle de l’éventualité d’accueillir des clubs professionnels au quatrième niveau ! Je ne comprends pas le conservatisme du football professionnel. Le professionnalisme, cela ne signifie pas que tous les footballeurs aient vocation à être payés comme des cadres dirigeants ! Leur carrière est courte, certes, mais il faut sortir de l’idée qu’un joueur de football doive gagner en 8 ou 10 ans de quoi subvenir à ses besoins pendant toute sa vie. Les footballeurs sont des salariés comme les autres qui doivent exercer une autre activité professionnelle à l’issue de leur carrière de joueur. Bien sûr, ce qui est fondamental, c’est la formation et la reconversion professionnelle de ceux qui sont, pendant quelque temps, des joueurs professionnels.Vincent Chaudel : Il est évident qu’il faut réfléchir avec tous les acteurs, tous les membres, tous les dirigeants, de la Ligue 1 à la Ligue 2 jusqu’aux championnats amateurs. Pendant quinze ans, on a seulement réfléchi avec les dirigeants de la première division sans intégrer les divisions inférieures et secondaires. Néanmoins, la question qu’il faut se poser, c’est de savoir si la France peut présenter, durablement et légitimement, une cinquantaine de clubs professionnels. Est-on capable d’avoir trois divisions professionnelles, d’avoir 54 clubs professionnels ? D’un point de vue économique, le marché français est-il capable d’en avoir autant et de tenir ? Sportivement, il n’y a pas débat, le pays forme de nombreux footballeurs, mais pour les payer, c’est une autre problématique…

Quelles pourraient être les solutions ?Vincent Chaudel : Je ne suis pas fan d’une Ligue 3 type, avec 18 ou 20 clubs professionnels. Cela serait calquer et dupliquer les mêmes problématiques que la Ligue 1. Je ne crois pas que la France soit capable d’avoir, de façon pérenne et durable, 54 ou 60 clubs professionnels. En revanche, c’est évident que la question de la transition se pose, du National à la Ligue 2. Certains prônent une compétition fermée, entre la Ligue 1 et la Ligue 2, et le reste, les championnats amateurs, déconnectés de la LFP, et empêchés d’accéder aux échelons supérieurs. J’y suis opposé. À l’inverse, je défends l’idée d’un permis de jouer, d’un permis de club professionnel, octroyé a priori, avant le début de la saison, avec des critères bien précis, économiques et structurels, qui donnerait le droit aux clubs de National de monter ou non, de savoir s’ils peuvent terminer aux trois premières places et peuvent monter sans problème.

À l’époque où les artistes ont vu les ventes de CD s’effondrer, ils ont dû retourner sur scène pour retrouver des ressources. Il en va de même pour le football : il va être nécessaire de reconquérir les spectateurs physiques.

Au-delà de l’organisation, c’est tout l’avenir du football qui est remis en question, notamment avec les droits TV. Pensez-vous que les 20 glorieuses 2000-2020 sont terminées et qu’on devrait se diriger vers une grande réduction, tant salariale que dépensière, ou que tout devrait redevenir comme avant une fois la crise conjoncturelle passée ?Jean-Pascal Gayant : Il y a deux dimensions dans cette question. Le monde d’après sera-t-il comme le monde d’avant ? À cette question, ma réponse est « plutôt oui » . L’ère de croissance des droits TV liée au schéma de diffusion par des chaînes de télévision traditionnelle va-t-elle continuer ? À cette question, ma réponse est non. Nous connaissons une période de « rupture technologique de procédés ou d’usages » , un peu comme au moment du passage des CD au téléchargement de musique. À l’époque où les artistes ont vu les ventes de CD s’effondrer, ils ont dû retourner sur scène pour retrouver des ressources. Il en va de même pour le football : il va être nécessaire de reconquérir les spectateurs physiques. La première chose à faire est de revenir à une programmation décente des horaires de matchs. Il faut arrêter de prendre les spectateurs pour des « cochons de payants » qui doivent s’ajuster aux exigences de la diffusion télévisuelle nationale ou internationale. Quelle entreprise serait assez folle pour négliger ses clients fidèles de proximité ?

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