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L’ombre de Diego plane sur l’Argentine

Par Georges Quirino-Chaves à Buenos Aires
L’ombre de Diego plane sur l’Argentine

En Argentine, si cette Coupe du monde est particulière pour être la dernière de Lionel Messi, elle l’est aussi pour être la première sans Diego Maradona. Ce vendredi, plusieurs hommages sont attendus pour les deux ans de la mort du Pibe de Oro. Dans son pays natal, le légendaire numéro dix n’a pas vraiment disparu. Les Argentins en auront même peut-être besoin ce samedi face au Mexique.

Pour la première fois depuis 40 ans, l’Argentin le plus connu de l’histoire n’est pas physiquement présent à la Coupe du monde. Il ne sera pas sur le terrain en train de dribbler ses adversaires façon cerf-volant cosmique ou avec une cheville beaucoup trop enflée. On ne le verra pas non plus s’agiter près du banc de touche dans son costard et avec sa barbe poivre et sel. On ne l’entendra pas dans une cabine de transmission TV envoyer des scuds à l’Albiceleste ou au contraire en train de l’encourager comme un possédé – sinon plus – depuis une loge VIP. Le Mondial est orphelin de son héros et vilain préféré : Diego Armando Maradona.

Diego est l’absent le plus présent de ma vie.

Diego dans le ciel

Aujourd’hui, vendredi 25 novembre, cela fait officiellement deux ans que le Pibe de Oro a succombé à une crise cardiaque dans son domicile de Tigre au nord de Buenos Aires. Les circonstances de sa disparition et les responsabilités de son ancien entourage médical doivent être déterminées dans un procès attendu en début d’année prochaine. « Parfois, je dois me concentrer pour me rappeler qu’il n’est plus là », racontait le sélectionneur de l’Albiceleste Lionel Scaloni sur la chaîne TyC Sports avant de partir au Qatar. Comme lui, des millions d’Argentins semblent avoir encore du mal à réaliser. « Diego est l’absent le plus présent de ma vie », disait il y a quelques jours Jorge Valdano, sacré champion du monde en 1986 aux côtés du génie défunt.

Nous pouvons voir Diego dans le ciel. Avec Don Diego et Doña Tota, ils aident Lionel.

Maradona ne les a pas vraiment quittés. Il est là. Ancré dans leur mémoire collective. Si cette Coupe du monde a la particularité d’être la dernière de Leo Messi, les fans argentins répètent souvent qu’elle est aussi « la première sans Diego ». Pour surpasser ce traumatisme, ils l’ont d’une certaine façon transporté avec eux à Doha. Impossible de le rater. La figure de l’idole est omniprésente sur les banderoles, les drapeaux, les tambours ou les tatouages des hinchas au Qatar. Une multitude de chants pour aider la sélection lui sont dédiés. Le titre le plus repris par les supporters est aussi le préféré des joueurs de l’Albiceleste. Messi & co l’ont même entonné après leur victoire en Copa América au Maracanã. Un remix de Muchachos, esta noche me emborracho (en VF : « les gars, ce soir je me bourre la gueule ») du groupe de ska argentin La Mosca réécrit avec les paroles suivantes : « Nous pouvons voir Diego dans le ciel. Avec Don Diego et Doña Tota (les parents décédés de Maradona, NDLR), ils aident Lionel. » C’est une croyance populaire qui s’est peu à peu installée en Argentine depuis la mort de l’idole. Mi-blague. Mi-sérieux. Le défenseur de l’Albiceleste et de Manchester United Lisandro Martínez s’est joint à la mouvance il y a quelques jours. Et si depuis l’au-delà, Maradona pouvait exercer une influence surnaturelle en faveur du football argentin ?

Au nom de Santo Maradona

À l’ouest de Buenos Aires, dans le quartier de la Paternal, le club d’Argentinos Juniors, où le joueur a débuté, a construit un sanctuaire à la mémoire de l’enfant prodige dans le stade qui porte son nom. Aucun rapport avec la déjantéé « église maradonienne » fondée il y a quelques années par des fanatiques à Rosario. Ici, le lieu est une véritable petite chapelle où règne le silence. Deux bancs en bois occupent le centre de la pièce. Des fanions, des drapeaux et des maillots de football, offrandes de visiteurs venus du monde entier, ornent les murs. Celui du fond est recouvert d’une peinture montrant le visage d’un jeune Maradona immaculé, époque où il était surnommé Pelusa pour sa touffe de cheveux. Devant lui, une table est recouverte de reliques : une représentation de la vierge, des dizaines de chapelets et des photos du joueur entouré de ses parents défunts.

En ce moment, les gens viennent demander des choses à Diego. En réalité, surtout une. Qu’il aide l’Argentine à gagner le Mondial.

« Il y a beaucoup de gens qui viennent ici pour voir Diego. Certains se mettent à pleurer. D’autres prient. Chacun a sa façon de se recueillir », explique le gardien du sanctuaire ouvert du lundi au samedi. Diego Ariel Vanucci est un homme de peu de mots. Âgé de 45 ans, il jure être le premier filleul de Maradona. « Il m’a baptisé quand il jouait encore dans le quartier », assure celui qui ne porte donc pas ce prénom par hasard. Il n’a pas hésité une seule seconde quand le club qu’il supporte et pour lequel il travaillait lui a proposé ce poste de gardien. « Parce que Diego représente tout pour moi », explique-t-il un peu ému. Depuis plusieurs semaines, il voit de plus en plus de personnes venir au sanctuaire dont la façade est recouverte de fresques à l’effigie de « D10S ». « En ce moment, les gens viennent demander des choses à Diego, confie Vanucci. En réalité, surtout une. Qu’il aide l’Argentine à gagner le Mondial. » Ou au moins à sortir des poules.

« Certains voient en Diego une sorte de saint tutellaire de la sélection nationale », explique Gabriela Saidon, auteure de l’ouvrage SuperDios, la construction de Maradona comme un saint laïque(2021, Éditions Capital Intelectual, non paru en France). Quand il était en vie, les journalistes ont façonné cette image de Diego comme un dieu. On l’a associé aux miracles depuis 1986 et ce but que personne n’a vu contre les Anglais. Il a lui-même contribué à sa construction comme saint en parlant de « main de Dieu » . L’Argentine, comme d’autres pays d’Amérique latine, compte des dizaines de divinités populaires. Des personnes décédées dont les esprits sont vénérés comme des saints, même s’ils ne sont pas reconnus par les religions. Certains croyants attribuent par exemple des pouvoirs mystiques, comme soigner une maladie incurable, à la chanteuse de cumbia Gilda, disparue en 1996 dans un accident de la route. Pour Gabriel Saidon, « Diego est surtout vu comme un protecteur des footballeurs et du peuple argentin ».

Coups de main de Dieu

Les réseaux sociaux pullulent d’apparitions supposément miraculeuses du Pibe de Oro qui ont contribué à renforcer cette image d’un « Santo Maradona » dans l’imaginaire populaire. Les médias nationaux les relaient en permanence. Quelques exemples. L’année dernière, el Diego aurait sauvé son club de cœur Boca Juniors d’un but immanquable du grand rival River Plate. En juin dernier, il serait apparu, cliché à l’appui, dans les tribunes de Wembley pour filer un coup de main à la bande à Messi lors de la Finalissima remportée face à l’Italie (3-0). Plusieurs fois, la silhouette de numéro 10 aurait été aperçue dessinée dans le ciel entre les nuages pendant un match de football au pays. « Je choisis d’y croire » est devenu en Argentine la phrase qui rassemble les plus fervents Maradoniens.

Si la sélection gagne la Coupe du monde, on pensera forcément que Diego y est pour quelque chose.

« Pendant la dernière Copa América, dans des situations qui ont tourné à notre avantage, je me suis dit plusieurs fois : « Fua ! Ça c’est le Diego qui nous aide »  », jure Iliana, 31 ans, étudiante en droit née à Rosario. Avec sa pote Cynthia, elles se prennent en photo devant l’une des innombrables fresques à la mémoire de D10S qui ont envahi les murs du pays, symbolisant l’omniprésence de Maradona malgré sa disparition physique. La tombe du joueur se trouvant dans un cimetière privé inaccessible au public, ces peintures sont en quelque sorte devenues des autels de recueillement populaires. Celle-ci a été inaugurée le 30 octobre dernier – jour où l’idole aurait fêté ses 62 ans – dans le quartier de Montserrat au sud de la capitale. Impossible de passer à côté. Il s’agit de la plus grande du monde à l’effigie du Diez. Peinte sur la façade d’un immeuble sur 45 mètres de hauteur et 40 de large, l’œuvre réalisée par l’artiste urbain Martín Ron représente l’ancien numéro 10 haranguant ses partenaires avant la finale du Mondial 1990 perdue face à l’Allemagne (1-0). L’inscription « Diego éternel » accompagne l’image. En l’observant, Iliana et Cynthia, les deux amies, se disent la même chose : « Si la sélection gagne la Coupe du monde, on pensera forcément que Diego y est pour quelque chose. » Si elle sort en poules, ce sera sûrement la faute de Messi.

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Par Georges Quirino-Chaves à Buenos Aires

Tous propos recueillis par GQC sauf mentions

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