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« L’image de Bruno Martini tranchait avec celle de Lama ou Barthez »

Propos recueillis par Nicolas Jucha
8 minutes
« L’image de Bruno Martini tranchait avec celle de Lama ou Barthez »

Ancien gardien de but de l'équipe de France de la fin des années 1980 au milieu des années 1990, Bruno Martini s'est éteint ce mardi 20 octobre 2020, le jour de ses 58 ans. D'anciens partenaires en club et en sélection racontent le joueur et l'homme qu'il a été : aussi humble qu'immense.

Christophe Cocard (ancien attaquant de l’AJ Auxerre de 1987 à 1996)

« J’ai eu le privilège de jouer dans son équipe pendant six ou sept ans. Une bonne personne, qui ne s’est jamais fâché avec un autre joueur, tout le monde l’aimait. Ce que je retiens en premier de lui, c’est sa rigueur. À l’Euro 1992 en Suède, je faisais chambre commune avec lui. Il y avait un vrai contraste entre moi, le jeune bordélique, et lui, le taulier super ordonné. À l’entraînement, tout était planifié de son côté, une vraie machine. Mais en même temps, quelqu’un de bien envers les autres. Il pouvait être autoritaire avec les plus jeunes, mais sans besoin de crier, d’un simple regard il pouvait te recadrer. Je me souviens qu’au moment de passer le DEPF, William Prunier et moi, on n’arrêtait pas de déconner, et lui nous avait recadrés, car il nous connaissait de l’époque AJA et il voulait que l’on réussisse. Partir à 58 ans, c’est trop tôt, mais c’est peut-être la conséquence de son caractère : Bruno, il emmagasinait beaucoup, il ne laissait pas ressortir beaucoup d’émotions, tout restait à l’intérieur. D’ailleurs, il fumait pas mal, sûrement une sorte d’exutoire, car il se posait beaucoup de questions et n’arrêtait jamais de réfléchir. Mais je n’ai jamais entendu parler d’une personne dans le monde du foot qui ne l’aurait pas apprécié. Il va laisser un grand vide. »


Fabien Cool (ancien gardien de l’AJ Auxerre de 1992 à 2007)

« Bruno était mon modèle. Je suis arrivé à l’AJA quand lui prenait place en équipe première. Il avait un charisme naturel malgré sa grande discrétion. J’ai eu la chance de le côtoyer à partir de mes 17 ans, parce qu’à l’époque, le gardien du centre de formation pouvait faire des entraînements avec ceux de l’équipe professionnelle. J’ai pu m’entraîner avec lui environ six ans, mais sans jamais avoir l’impression d’être écrasé. Bruno, c’était un long fleuve tranquille, les entraînements se passaient sans accroc, la force tranquille. Pendant longtemps, du fait de son statut d’international, il était le pilier sur lequel Auxerre pouvait s’appuyer, un véritable phare, sans que lui n’ait à revendiquer quoi que ce soit. Il restera à jamais un gardien monstrueux, avec un style sobre, une volonté de bloquer tous les ballons, et une énorme efficacité. Peu de gardiens dans l’histoire peuvent se targuer de la même régularité. Mais sa sobriété lui a peut-être coûté en matière de notoriété par rapport à d’autres gardiens plus fantasques comme Bernard Lama, plus spectaculaire et donc plus apprécié des médias. Mais Bruno n’était pas moins efficace. Occuper les buts de l’AJ Auxerre après lui a été une sacrée pression, j’avais l’obligation d’être à la hauteur. »


Daniel Dutuel (ancien milieu de terrain à Auxerre de 1982 à 1993)

« Un mot me revient pour décrire Bruno, c’est la bienveillance. Il avait toujours un mot gentil pour les jeunes qui montaient du centre de formation en équipe première, jamais il ne nous écrasait avec son expérience et son statut. Il était clairement en décalage avec nous, les plus jeunes, mais il en rigolait au lieu de s’en formaliser. Quand il voyait William Prunier faire des conneries pendant des mises au vert, on sentait que ce n’était pas son délire, mais il en rigolait. Il était méticuleux. Son sac était parfaitement rangé, toujours parfaitement prêt, ce qui illustre son professionnalisme. Avec lui, rien n’était jamais laissé au hasard. Et il bossait dans l’ombre, jamais à tirer la couverture à lui. On savait qu’on pouvait lui faire confiance. C’était l’image du taulier dans notre vestiaire, mais c’était aussi quelqu’un avec qui il était agréable de passer du temps, car il lisait beaucoup et connaissait donc énormément de choses. On apprenait à son contact. On pourrait croire qu’il était peu expressif, mais il aimait la vie à sa façon, jouer au bridge, lire… »


Gérard Houllier (sélectionneur de l’équipe de France de 1992 à 1994

« J’ai été choqué par la nouvelle ce matin. Bruno, c’était un type bien. Un très gros travailleur, un grand professionnel, un homme très fiable et aussi très généreux. Il avait le goût du partage, ce qui fait que sa reconversion comme préparateur, puis formateur était parfaite. Je me souviens qu’il était en avance sur son époque, car il se préparait des fiches sur les attaquants adverses, pour connaître leurs préférences. Comme coéquipier, il parlait peu, mais quand il parlait il était écouté, notamment parce qu’il avait une grosse voix qui portait. Mais ce n’était pas un aboyeur, plutôt un très bon suiveur. En tant que sélectionneur, j’aimais son profil. Il n’a jamais cherché la lumière, il n’aimait pas cela, mais il aurait su s’adapter dans le football d’aujourd’hui. Il n’a jamais été isolé dans un groupe, il vivait très bien son tempérament réservé. Dans les gardiens d’aujourd’hui, c’est Hugo Lloris qui me fait le plus penser à Bruno sur un plan technique. Même s’il a une grande qualité en plus, l’agressivité. »


Emmanuel Petit (ancien partenaire en équipe de France, à l’Euro 1992)

« Bruno, c’était une personne humble, en retrait, introvertie, mais avec une voix qui porte. Je jouais surtout en défense à l’époque, et quand j’entendais sa grosse voix derrière, voix forte venant d’un homme doux et bienveillant, cela avait quelque chose de rassurant. On ne l’entendait pas souvent, mais on sentait sa présence. Et s’il parlait, il savait se faire entendre. Il a pris le relais de Joël Bats avant d’être dépassé par Bernard Lama et Fabien Barthez, mais il n’en reste pas moins l’un des grands gardiens du football français, notamment parce qu’il a eu plus de 30 sélections, a gagné l’Euro espoirs en 1988, et a gardé les buts d’une équipe d’Auxerre qui jouait les premiers rôles en France et même en Europe. Apprendre son décès a été une grosse gifle pour moi. Cinquante-huit ans, c’est bien trop jeune pour partir. Je me dis que je vais arriver au même âge et que je ne suis pas à l’abri. Le sport de haut niveau nous fait trop tirer sur la corde, on se croit immortel et soudainement, il nous arrive un truc et on part trop tôt. Je n’étais pas super proche de lui, car à l’époque en équipe de France, j’étais un nouveau et lui un taulier, donc il avait plutôt vocation à échanger avec les autres anciens. Mais j’ai pu constater qu’il était un homme évitant le conflit, faisant du bien à un vestiaire, car il était fédérateur. C’était un modèle. Un passionné de football, un joueur qui voulait gagner des matchs, sans avoir besoin qu’on le remarque. Aujourd’hui, dans ce football ultra médiatisé, il aurait sûrement été moins à l’aise comme joueur. »


Philippe Violeau (ancien milieu à l’AJ Auxerre de 1993 à 1997)

« L’image que je retiens, c’est celle d’un très grand professionnel, et d’une personne posée, très disponible pour les autres. Il avait une vision clairvoyante du milieu du football et des gens qui gravitent dedans. Ce n’était ni pessimiste ni optimiste, simplement réaliste. J’étais jeune quand je l’ai connu, donc je me suis souvent ouvert à lui pour avoir son avis, ses conseils. Il connaissait le chemin à suivre pour durer dans le métier, mais aussi s’en sortir après. Son image très sobre tranchait avec celles de Bernard Lama et Fabien Barthez qui sont arrivés après lui en équipe de France. Cela lui a sûrement coûté de la médiatisation, mais on ne change pas sa nature. S’il avait été fantasque, Bruno se serait sûrement brûlé les ailes. Son calme, sa sobriété faisaient sa force. S’il avait été un joueur de champ, cela aurait été un défenseur ou un milieu défensif, il aurait joué à un poste de devoir. Il était dans la vie comme sur le terrain, calme, solide. Il n’était pas celui qui lançait les blagues, mais il n’avait aucun problème à y prendre part. Sa reconversion comme entraîneur puis formateur, c’était totalement sa place, car il savait guider et rassurer. Avec sa grosse voix, sa placidité, sa bienveillance. C’était un guide. »


Bruno Carotti (directeur sportif à Montpellier)

« Beaucoup d’images me reviennent à l’esprit. Bruno, c’est la bienveillance, un homme costaud parfaitement à sa place dans un rôle de formateur chez nous. Il était méticuleux, parfois trop. Quand j’étais joueur, il prévoyait tous les scénarios météo possibles pour les déplacements, afin d’avoir les bons vêtements. Encore récemment, quand on lui demandait un rapport sur une recrue potentielle, il faisait un document deux ou trois fois plus long et détaillé que ce que d’autres fourniraient. Mais il était comme ça, donc on savait que si on demandait une tâche à Bruno Martini, il allait nous faire du Bruno Martini. Si on voulait un rapport vulgarisé et simplifié, on demandait à un autre. Pour certains, écouter les analyses de Bruno, cela pouvait être trop fastidieux, mais quand on avait besoin d’une analyse profonde, on savait pouvoir compter sur Bruno. Comme pour toutes ses missions. C’était un homme de grande valeur, fiable, tourné vers les autres et le collectif. On perd quelqu’un d’important à Montpellier. Quelqu’un d’intelligent, posé, objectif et mesuré sur son milieu. Il avait même les capacités pour être entraîneur principal, mais je pense que le système médiatique actuel ne lui convenait pas, il était peu intéressé par la communication. C’était un homme passionné et passionnant, un travailleur de l’ombre qui a nourri la réflexion autour du poste de gardien de but, mais aussi un modèle dans la vie quotidienne. Je me souviens de son arrivée comme joueur à Montpellier. C’était un ancien, un international, mais il nous avait tous surpris par sa politesse, il n’avait aucun mot plus haut que l’autre et ne faisait que des phrases parfaitement formulées. Il va nous manquer. »

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Propos recueillis par Nicolas Jucha

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