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L’histoire du premier footballeur blanc à avoir joué en Afrique noire

Par Mämä Sykora (Zwölf), à Berne, avec Maxime Marchon
7 minutes
L’histoire du premier footballeur blanc à avoir joué en Afrique noire

En 1976, Charles Pulfer, modeste joueur de troisième division suisse, se rend en Afrique pour s’occuper de silos à céréales. Voilà comment démarre l’incroyable histoire du premier footballeur blanc à avoir joué en Afrique noire...

En ce mois d’octobre 1976, la chaleur est accablante à Pointe-Noire, ville portuaire du Congo-Brazzaville. Il est 16h et il fait 38°C pour 90% d’humidité. Pourtant, le stade Mvoulalea est deux fois plus rempli qu’à l’accoutumée. Les 10 000 spectateurs présents ne sont pas venus pour le match de championnat contre Télésport, mais pour voir la nouvelle recrue du V.Club Mokanda. Et ils ne vont pas être déçus. Septème minute : Lakou Abossolo, le capitaine de l’équipe locale, tire depuis l’entrée des seize mètres, la balle tape la barre et arrive pile dans les pieds du nouveau joueur de 26 ans. Il frappe, lucarne ! La foule est déchaînée : le « Mundele » a marqué ! Le « Mundele », le blanc, c’est Charles Pulfer, qui jouait il y a quelques mois encore pour le FC Pieterlen, en 3e division suisse. « À partir de là, tout est allé très vite », se marre celui qui a longtemps travaillé pour la centrale nucléaire de Berne et géré en parallèle la formation des jeunes arbitres aux Young Boys par la suite. Une histoire qu’il raconte en long, en large, en travers, et en parlant très vite.

Mobutu, carpe grillée et vin portugais

Pieterlen donc, commune du canton de Berne plantée au pied sud du Jura, village de moyenne montagne coincé dans un vallon, avec l’autoroute vers les stations de ski qui passe au milieu, ses fleurs aux fenêtres des maisons et son club de foot champêtre. Où, dans les années 1970, Charles Pulfer fait parler sa vitesse d’ailier d’1,72m qui lui vaut de faire partie, selon son propre aveu, des « meilleurs joueurs » du championnat. Un club de deuxième division le piste même. Seulement, Pulfer a d’autres plans. À 8 000 kilomètres de là, au Congo-Brazza. Il y a accepté un poste de contremaître-chef de chantier à la construction de silos à céréales « de plus de 50 mètres de haut » pour Frutiger, une entreprise suisse de BTP. Au milieu des années 1970, le Congo n’a pourtant rien d’une destination de rêve. Le régime socialiste est instable et fait face à de nombreuses tentatives de coups d’État. Quant au voisinage, il n’est pas vraiment plus accueillant : dans le « grand » Congo, le Zaïre, le dictateur Mobutu fait régner sa loi, tandis que l’Angola est en proie à une guerre civile entre les différents mouvements ayant combattu pour obtenir l’indépendance. De nombreuses troupes envoyées en renfort par Fidel Castro pour aider le MPLA, mouvement d’orientation marxiste, s’y rendent d’ailleurs en traversant Pointe-Noire, ville frontalière où Charly a élu domicile.

Hormis les convois, le calme règne dans la ville portuaire. Le soir, des parties de foot s’organisent entre expatriés. Une fois, ils sont même invités à disputer un amical contre l’équipe bis du V. Club Mokanda, pensionnaire de la première division congolaise. Lors de cette rencontre, remportée 4-1, Pulfer inscrit un doublé. Mais plus important encore, il tape dans l’œil de l’entraîneur adverse. Propriété du patron d’Air Afrique, M. Tchekaya Tschikaya, le club est l’un des meilleurs du Congo. Si, à l’époque, les joueurs, pour la plupart étudiants, ne sont pas payés, il compte des internationaux congolais, vainqueurs de la CAN 1972. La veille des matchs, tout ce beau monde dort dans la propriété « gigantesque et de plain-pied » du président. La raison est simple : « Les Congolais sont des fêtards, et nos joueurs étaient jeunes : 17-18 ans. Si on leur avait laissé plus de libertés, ils auraient passé la nuit à boire des bières et à danser avec les nanas. »Charles en sait quelque chose, il dort avec eux, sur des matelas en caoutchouc posés à même le sol, alors que ses dirigeants lui ont proposé de bénéficier d’une chambre à part. Proposition déclinée, un geste hautement apprécié par ses coéquipiers. Tout comme les fois où il les fournit en chaussures de foot Künzli acheminées de Suisse par le courrier de sa boîte. Ou quand, durant la trêve liée à la saison sèche, il prend sa voiture de fonction pour les emmener à la plage de Pointe indienne aller déguster de la carpe grillée assaisonnée de pili-pili, accompagnée de manioc et arrosée « d’un Mateaus bien frais, un délicieux vin rosé portugais, un peu piquant ».

« On ne parlait pas de sida à l’époque… »

Le petit Suisse est tellement intégré qu’il participe même au programme organisé par le guérisseur. Avant le match, ce dernier brûle des herbes sur lesquelles lui et ses coéquipiers doivent marcher. Il balafre aussi leur peau avec un rasoir, « juste sous les genoux et appliquait une poudre brune « contre les blessures » sur la plaie. On ne parlait pas de sida à l’époque… » Il exige lors des déplacements à l’extérieur de ne pas prendre le chemin le plus direct pour se rendre au stade, « parce que les routes sont minées ». C’est-à-dire maudites par le féticheur d’en face. Et quand un journaliste local demande à Charles s’il croit en tout ça, lui de répondre : « Bien sûr », même s’il admet aujourd’hui que son but était de ne « pas les brusquer ». Rien d’étonnant donc à ce qu’il devienne le chouchou en ville. Alors que les Français sont régulièrement contrôlés aux barrages, la police militaire lui donne du « Monsieur Charles » et ne l’embête pas quand il a une locale sur le siège passager : « Ils pouvaient être très jaloux et demander de l’argent pour se venger. »

Si le président leur avait laissé plus de libertés, ils auraient passé la nuit à boire des bières et à danser avec les nanas.

Les policiers ont encore moins le loisir de lui demander de bakchich l’année suivante. En 1977, le V.Club est inarrêtable en coupe du Congo. S’il trime huit heures par jour sur le chantier, « voire plus en cas de bétonnage, car c’est mieux le soir pour ça » et qu’il lui arrive de louper des entraînements, il fait partie du voyage pour Brazzaville où les attendent les Diables noirs. Un périple en train de douze heures pour lequel il lui a fallu poser quatre jours de congé. Les plus rentables de son existence, certainement. La finale se déroule le 31 décembre au stade de la Révolution devant plus de 30 000 spectateurs. Une rencontre où il ne fallait pas arriver en retard. C’est depuis le banc que Charles assiste dès la cinquième minute au but de la tête de son coéquipier Matama. Le seul et unique de la rencontre, malgré l’entrée en jeu du « Mundele » en seconde période. Au coup de sifflet final, le terrain est envahi. Quand Pulfer retrouve ses esprits, il est en caleçon et chaussettes. Le reste a été emporté. Jusqu’à présent, le point culminant de sa carrière était une égalisation de son club suisse face au FC Kleinhüningen dans un premier tour de coupe…

Défilé en Peugeot 404 décapotable

Kinkala, Madingou, Loubomo, à chaque gare du retour, le capitaine présente la « coupe du huitième anniversaire du Parti » aux curieux venus en masse. Mais le vrai triomphe a lieu à Pointe-Noire. Le président conduit sa Peugeot 404 décapotable à travers la foule. Sur le siège arrière se tient Pulfer debout, le trophée en argent au bout des doigts :« J’avais l’impression d’être un petit Pelé. » Deux mois auparavant, le vrai Pelé raccrochait les crampons, et, au zénith de sa carrière, Pulfer décide d’en faire autant en quittant le Congo : « Je suis le premier employé de l’entreprise à être arrivé ici et le dernier à en être reparti. » Dès son retour au pays, il donne un coup de main à son équipe de Pieterleien dans la lutte contre la relégation. Toutefois, Charles n’a pas laissé tout son glorieux passé derrière lui. Il est revenu accompagné de la nièce de l’entraîneur, jolie Congolaise à qui il donnera un mariage en 1982 et deux enfants. Mais surtout avec un surnom pour ses coéquipiers helvètes : « Congo-Charly ».

Plusieurs photos de Congo-Charly sont consultables sur le site de Zwolf.

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Article paru initialement dans le SO FOOT #122.

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