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L’exonération d’impôt sur le revenu les moins de 30 ans proposée par Marine Le Pen est-elle favorable aux footballeurs ?
À quatre jours du second tour de la présidentielle, qui opposera le président sortant Emmanuel Macron à Marine Le Pen, la représentante du Rassemblement national met en avant une proposition particulière : exonérer d’impôt sur le revenu les jeunes de moins de 30 ans. En étudiant une telle mesure, on se dit qu’elle intéressera surtout les footballeurs de Ligue 1, ces jeunes très bien payés. Mais avec quelle conséquence ?
Depuis de longues semaines, le pouvoir d’achat est devenu le sujet phare de la campagne. Alors que la France sort à peine d’une grande crise sanitaire et subit de plein fouet les effets inflationnistes du conflit ukrainien, tous les candidats à l’élection présidentielle ont sorti de leur poche des moyens pour relancer la consommation. Certains ont proposé d’augmenter les salaires ou les primes, d’autres encore ont promis un blocage des prix ou encore une baisse de la TVA. Du côté du Rassemblement national, dont sa candidate, Marine Le Pen, s’est qualifiée au second tour, la solution passera par une exonération totale de l’impôt sur le revenu pour les jeunes de moins de 30 ans. Cette catégorie, qui connaît un taux d’emploi plus faible que la moyenne – 53% contre 88% en moyenne globale selon l’INSEE – et un revenu médian inférieur – 19 000 euros annuels contre 22 000 pour l’ensemble de la population – serait particulièrement touchée par la conjoncture actuelle. Il convenait donc de mettre en avant une mesure spécifique. L’idée ainsi posée est d’inciter à leur embauche et favoriser des majorations salariales non taxées.
Tout bénef pour les pros ?
À y regarder de plus près, on se rend surtout compte qu’elle favorisera les jeunes les plus aisés, ceux qui précisément sont déjà assujettis à l’impôt sur le revenu. Les footballeurs professionnels sont en grande majorité concernés. Avec un salaire médian mensuel en Ligue 1 estimé en 2021 à 42 000 euros, ils profiteront de cette exonération et pourront donc, encore plus, gonfler leurs revenus. Bien évidemment, Marine Le Pen a été interpellée sur ce paradoxe, sur cette mesure qui, au lieu de bénéficier aux plus précaires, visera surtout à renforcer les inégalités au sein de cette catégorie, entre les riches et les pauvres. La cheffe de file du camp bleu marine met alors en avant une autre proposition : l’impôt sur la fortune financière (IFF), en remplacement de l’actuel impôt sur la fortune immobilière (IFI), qui était déjà venu remplacer l’impôt sur la fortune (ISF). Cet IFF, dont les modalités seront calquées sur l’ancien ISF, avec les mêmes seuils et les mêmes taux, viendra simplement taxer la richesse et le patrimoine, avec l’exonération des résidences principales. Ainsi, selon Marine Le Pen, quand bien même des joueurs comme Kylian Mbappé ou Presnel Kimpembe seront exonérés d’impôt sur le revenu, ils seront redevables de l’IFF et paieront l’impôt.
Soit, mais à quel coût ? En effet, aujourd’hui, les footballeurs de la Ligue 1 française permettent, via leurs émoluments colossaux, de rapporter jusqu’à 225 millions d’euros à travers l’impôt sur le revenu, sans compter les contributions issues des cotisations et des charges sociales. En supprimant cette manne – à supposer qu’elle ne concerne que les footballeurs français, puisque le RN pose comme principe fondamental la préférence nationale -, il y a un risque de perdre jusqu’à la moitié de cette somme, bénéfique à l’ensemble du financement de l’État-providence national. Et la compensation de l’IFF ne sera pas suffisante. En effet, les seuils et les taux d’imposition devraient être les mêmes que ceux de l’ISF, si l’on reprend le programme du Rassemblement national. Soit 0,5% entre 800 000 et 1,3 million d’euros de capital, 0,7% jusqu’à 2,5 millions d’euros, 1% jusqu’à 5 millions, 1,25% jusqu’à 10 millions puis 1,5% au-delà. D’après l’INSEE, le taux d’épargne des catégories les plus aisées, le 5e quintile, est de 28,37%. Soit avec un revenu médian mensuel de 42 000 euros, 12 000 euros épargnés par mois. Autrement dit, il faudrait plus de 5 ans avant qu’un joueur puisse cumuler 800 000 euros d’épargne et soit redevable de l’IFF. Alors oui, on pourrait rétorquer qu’avec autant d’argent, l’accès au crédit et l’achat immobilier sont facilités, sauf que s’il s’agit d’une résidence principale, sa déclaration sera exonérée. On n’a donc aucune garantie que la suppression de l’impôt sur le revenu soit compensée par le paiement de l’impôt sur la fortune financière.
Moins d’impôts et donc moins d’aides pour les clubs
En fait, cette proposition va surtout favoriser la compétitivité fiscale et soutenir l’incitation aux jeunes joueurs de rester en France, puisqu’ils paieront moins d’impôts. Seulement, est-ce vraiment marquant pour eux dans la mesure où la plupart des footballeurs négocient directement leur salaire en net, net de charges et d’impôt sur le revenu ? Ils ne voient pas toujours l’effet des mesures fiscales sur leurs comptes en banque. Au contraire, les dirigeants et les présidents de clubs français, ceux qui se plaignent toujours de la charge fiscale, pourraient se féliciter d’une telle proposition. Ça soutiendra leur comptabilité et réduira le poids de leur ligne « salaires » sur leurs pages de comptes. Cela permettra peut-être d’ailleurs de conserver Kylian Mbappé au PSG. Avec un poids fiscal plus faible, Paris pourra lui proposer un contrat colossal sans qu’il soit assujetti à l’impôt sur le revenu.
Mais ça rapportera aussi moins d’argent à l’État. Marine Le Pen parle d’un coût total de 2 milliards d’euros. Alors il ne faudra pas demander derrière plus d’aides et plus de soutiens en cas de difficulté. Les clubs français, les mêmes qui se plaignent d’un poids fiscal trop lourd dans l’Hexagone, ont bénéficié durant la crise de la Covid de plus de 1 milliard d’euros d’aides, via les prêts garantis d’État (qu’ils n’ont toujours pas remboursés), les exonérations de charges et les subventions. Alors qu’outre-Manche, où la fiscalité est plus faible, le gouvernement britannique n’a rien versé aux clubs professionnels. C’est tout le principe de l’impôt, on paye pour s’assurer, pour assurer un système de redistribution, d’aide. Si, pour mettre en avant la compétitivité, on baisse cette imposition, on baisse inévitablement les capacités de soutien derrière. Il ne faudra donc pas ensuite se plaindre, si une telle mesure venait à être appliquée.
Par Pierre Rondeau