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L’Argentine, le meilleur champion de la pire Coupe du monde
Depuis dimanche dernier, les célébrations arrogantes et rageuses des Argentins nourrissent la chronique d'une déception amère qui n'ose pas dire son nom chez les Français. Ils ne seraient pas des champions du monde dignes de leur titre. Or, par bien des aspects, les collègues de Lionel Messi s'avèrent au contraire les vainqueurs idéaux de ce Mondial au Qatar si particulier.
Les Bleus avaient le sentiment d’être tombés la tête haute, au bout du bout d’une finale que leur prestation sur le terrain allait rendre historique. Ils se sentaient presque en quelque sorte codétenteurs du trophée, une narration que l’accueil populaire place de la Concorde semblait confirmer. Mais l’Albiceleste ne cesse depuis une semaine de transformer ce choc des titans, censé graver dans le marbre des siècles à venir la légende du football, en une banale humiliation lors d’un match de cours de récré. L’affrontement entre Lionel Messi et Kylian Mbapppé s’en trouve réduit à une fessée admonestée à un sale gosse, avec dans la bouche de certains supporters des relents racistes qui ne surprendront pas dans un pays qui se pense le plus européen (et blanc) d’Amérique latine. En retour, les commentateurs hexagonaux et même la FFF s’indignent devant ce déferlement de comportements et d’attitudes vulgaires. Une bassesse qui gâche au passage un peu le roman des perdants magnifiques… Le seum n’est pas qu’une spécialité belge.
La victoire sans fair-play ni retenue
La figure d’Emiliano Martínez cristallise finalement tous ces paradoxes pourtant prévisibles, de son geste obscène, témoin de ses doutes phalliques, sur la tribune, devant des dignitaires qataris circonspects, à la poupée de Mbappé exhibée hilare sur le bus à Buenos Aires. Le portier d’Aston Villa a été de la sorte tout autant décisif pour sa sélection et énorme dans ses cages, notamment lors des séances de tirs au but, qu’insolent et grotesque en dehors du terrain. De ce fait, l’Argentine a donné un parfait vainqueur à une Coupe du monde qui tint toutes ses promesses durant les 90 minutes (et souvent beaucoup plus avec le temps de jeu réel), tout en restant cependant la plus controversée jamais tenue. Cette équipe a consacré un immense joueur qui ne pouvait quitter la scène sans cette ligne à son palmarès. Elle a gagné une compétition promise à l’avance au Brésil et au cours de la compétition annoncée pour la France. Personne ne lui en conteste ni le mérite ni la légitimité. Elle le célèbre toutefois sans fair-play ni retenue parce que le football moderne, celui du Mondial au Qatar, est ainsi.
L’émirat a organisé cette épreuve quel qu’en soit le coût (220 milliards de budget, dans une région où fondamentalement les besoins en investissements plus cruciaux ne manquent pas), sacrifiant des milliers de vies de travailleurs migrants et piétinant avec le sourire toute considération écologique. Tout le monde s’y est rendu. La FIFA a constamment occupé le rôle de l’avocat du diable, avec Gianni Infantino au prétoire. Les supporters, les médias et les audiences furent au rendez-vous devant le spectacle, fourni notamment par Messi et consorts. Y compris les Français qui, selon les mots d’Emmanuel Macron dans le vestiaire après la défaite, « en (avaient) besoin ». Et il faudrait que l’Argentine se révèle distinguée et élégante après avoir remporté cette édition hors norme, pour maintenir notre tranquillité d’esprit et l’illusion que tout était normal ? L’Albiceleste est juste la tenante parfaite de ce titre.
Par Nicolas Kssis-Martov