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L’adieu à Gérard Farison, travailleur de l’ombre

Par Chérif Ghemmour
L’adieu à Gérard Farison, travailleur de l’ombre

Après Jean-Pierre Adams, un autre grand défenseur français nous a quittés cette semaine. L’immense Gérard Farison, héros des Verts des années 1970, est parti mercredi à 77 ans, après un lent déclin causé par la maladie d’Alzheimer. Hommage à un travailleur de l’ombre.

Farison. Trop long… À Saint-Étienne, on va à l’essentiel en deux syllabes. On dit Sainté, Roch’teau, Curko (Ćurković), le Ch’ti (Synaëghel), Tintin (Triantafilos), Robby (Herbin). Pour Gérard Farison, ce sera « Tachan » , un surnom adjugé par ses coéquipiers pour sa ressemblance frappante avec le chanteur Henri Tachan. Farison est la synthèse parfaite d’un club, d’une ville, d’une époque. Un des rares Verts natifs du coin, plus exactement du bourg Terrenoire, rattaché à la ville de Saint-Étienne. Il a fait toute sa carrière à l’ASSE, remportant la Gambardella à 18 ans alors qu’il est ailier gauche. Mais comme la concurrence est rude pour accéder à l’équipe première, il devient comme beaucoup d’aspirants pros « footballeur-travailleur ». Il joue en réserve et bosse en parallèle « pendant trois ans à l’usine », comme il le racontait. Prolétaire appliqué, il s’attelle à son métier à tisser de la passementerie Neyret, toujours à Terrenoire, attendant jusqu’à l’année 1967 pour signer son premier contrat stagiaire. Lors de la saison 1970-1971, il s’impose sous les ordres d’Albert Batteux au sein de la défense stéphanoise, décrochant son premier contrat professionnel en 1970 à 26 ans, puis, avec Robert Herbin, devient un titulaire indiscutable à partir de 1972. À 28 ans…

Latéral (très) offensif

Avec son passé d’ouvrier arrivé au sommet sur le tard, ce dur au mal et dur sur l’homme, taiseux, contribuera à imposer auprès de la jeune génération montante (Lopez, Janvion, Bathenay, Rocheteau) une humilité prolétaire en phase avec le public ouvrier de Geoffroy-Guichard. L’âme des Verts, c’est lui. Au milieu de quelques belles cylindrées garées sur le parking de l’Étrat, c’est en 4L ou en Renault 5 qu’il débarque aux entraînements. Avec le succès des Verts et les grosses primes du président Rocher, il ouvrira un magasin de vêtements à Saint-Chamond vers 1977, partageant son existence fastidieuse entre sa carrière de footballeur pro et celle de petit entrepreneur happé par l’ascension sociale au mérite…

Sur le terrain, le latéral gauche et « ambidextre droitier » anime son couloir, celui des besogneux, en binôme avec Patrick Revelli, un ailier moins talentueux que son frangin Hervé. « Il avait un tel tempérament offensif, rappelle aujourd’hui Dominique Bathenay dans L’Équipe. C’était l’époque de l’Ajax, du Football total, et il était devenu, avant bien d’autres, le prototype même du latéral qui monte. Il avait une santé hors norme. Après les entraînements, ou les matchs, on suait sang et eau, mais pas lui. Il avait juste, par-ci, par-là, une petite tache de sueur sur son maillot. » Visionner la finale de la Coupe de France 1977 contre Reims (2-1) éclaire les propos de Dominique : monté devant à l’énergie, Farison provoque le penalty de l’égalisation avant de tirer le corner pour la tête victorieuse de Merchadier ! Chevalier de la Table ronde stéphanoise, « Gégé » rafle cinq titres de champion (1968, 1970, 1974, 1975 et 1976) et trois Coupes de France (1974, 1975 et 1977), et figure parmi les héros éternels de l’épopée européenne.

Les regrets de Glasgow

Il participe ainsi à Ligue des champions 1976 : « J’y ai connu ma plus grande joie avec notre qualification pour la finale à Eindhoven, mais aussi ma plus grande déception car je n’ai pas pu y participer. » Une semaine avant le clash continental contre le Bayern Munich à Glasgow, il s’est fait découper, comme son pote Synaëghel, par les Crocos nîmois à Geoffroy-Guichard… À l’Hampden Park, plus que les poteaux carrés, c’est sans doute les absences de Tachan, du Cht’ti et de Roch’teau (blessé aussi, il n’entre qu’à la 80e) qui ont empêché les Verts de remporter cette C1 que la bande à Beckenbauer décrochera pour la troisième fois (1-0). À l’été 1976, il fait partie du gros contingent vert des Bleus (7 Stéphanois) qui atomisent Mönchengladbach 5-0 en amical au Parc. Une rencontre non officielle, après une unique sélection le 24 avril de cette même année, contre la Pologne à Lens (2-0). Une cape au mérite, là encore, octroyée par un Michel Hidalgo pas si obsédé par le jeunisme.

Gérard Farison portera 412 fois la tunique verte, achevant sa carrière à 36 ans en 1980 sur une saison pleine (30 matchs en D1). Toujours dans l’équipe type, il vit la troisième période de la grande ASSE, celle de Platini-Rep-Zimako, après celle des années 1960 Mekhloufi-Jacquet-Keita et celle de l’âge d’or de Larqué-Rocheteau-Piazza. Gérard Farison aura été le témoin chanceux et méritant, encore et toujours, du passage des ténèbres à la lumière d’un football français donné pour mort à ses débuts en 1968 et ressuscité au Mundial 1978 en Argentine grâce à l’impulsion des Verts et de Platoche. Au-delà du palmarès et des souvenirs de guerrier jamais vaincu, sa valeur s’exprime avec éclat dans le sillage des noms illustres du foot français qu’il a côtoyés et tutoyés : Rocher, Batteux, Jacquet, Mekhloufi, Herbin, Hidalgo, Larqué, Rocheteau, Platini, Rep… C’est le premier Vert de la grande époque à partir. Adieu l’ami, on t’aimait bien.

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