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Khidiyatullin : « Mes coéquipiers ont compris qu’un Russe aussi pouvait se faire des amis »

Propos recueillis par Raphaël Brosse
8 minutes
Khidiyatullin : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Mes coéquipiers ont compris qu’un Russe aussi pouvait se faire des amis<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Le 25 juin 1988, Vagiz Khidiyatullin disputait la finale de l’Euro avec l’URSS. Une poignée de jours plus tard, le robuste défenseur central rejoignait Toulouse, devenant ainsi le tout premier Soviétique à évoluer dans le championnat de France. Ce pionnier est, depuis, revenu en Russie. Mais à 62 ans, il se souvient encore très bien de son séjour dans la Ville rose et ses alentours.

Vagiz Nazirovitch, pourquoi avez-vous décidé de quitter l’URSS à l’été 1988 ?En fait, ce n’est pas vraiment moi qui ai décidé. (Rires.) Même si j’étais d’accord pour partir, tout a été mis en place et ficelé par des agents, une société dont j’ai oublié le nom (Dorna Management Eastern Europe Limited, basée au Liechtenstein, NDLR). Mais il faut bien se souvenir du contexte de l’époque. C’était le temps de la perestroïka, les portes commençaient à s’ouvrir sur l’Europe. J’avais des propositions venant d’Allemagne et de France. J’ai préféré aller en France.

Je devais recevoir 30 000 dollars par mois. Sauf que l’État soviétique m’en prélevait 29 000.

Pourquoi la France ?Parce que c’était un défi, je voulais savoir si j’étais capable d’être performant là-bas. Et puis, pour moi, la France a toujours été un pays familier, celui des rois, de Louis XIV et des châteaux. Je me suis aussi souvenu des livres d’auteurs français, comme Dumas ou Maurice Druon, que j’avais lus. Voilà pourquoi j’ai eu envie d’aller dans ce pays.

Et qu’est-ce qui vous a mené jusqu’à Toulouse ?Deux ans plus tôt, quand j’étais au Spartak, j’avais affronté Toulouse en Coupe de l’UEFA (au 2e tour, 3-1 pour les Violets à l’aller, 5-1 pour les Moscovites au retour, NDLR). Les dirigeants toulousains m’avaient repéré et avaient pris contact avec moi à ce moment-là. Et à l’été 1988, nous nous sommes mis d’accord pour un contrat de deux ans. Bon, dans ce contrat, il était écrit que je devais recevoir 30 000 dollars par mois. Sauf que l’État soviétique m’en prélevait 29 000. Il ne me restait donc que 1000 dollars mensuels.

Sérieusement ?Oui. Je leur ai demandé pourquoi ils ne me laissaient que 1000 dollars, et pas 5000, par exemple. Voilà ce qu’ils m’ont répondu : « On ne peut pas te donner davantage, parce que notre ambassadeur ne reçoit que 1200 dollars par mois. Tu ne peux quand même pas gagner plus que l’ambassadeur ! » C’était l’Union soviétique en 1988. Mais je tiens à dire que j’avais quand même de bonnes conditions. Le club m’a trouvé une maison (l’ancienne villa de Lucien Favre, NDLR), je ne payais rien quand j’allais faire mes courses (le TFC lui avait ouvert un compte au petit Casino du pont des Demoiselles, NDLR), on m’a donné une voiture, l’essence était gratuite… Ça me convenait très bien !

Quand Jacques Santini donnait ses consignes sur le plan de jeu, forcément, je le comprenais mal. Après six mois de cours, j’ai commencé à parler français et, à partir de là, tout est devenu plus facile.

Comment s’est passée votre adaptation à ce nouvel environnement ?J’ai été vraiment bien accueilli. Le président Marcel Delsol était très sympathique avec moi, et le directeur général, Francis Andreu, m’a beaucoup aidé. Mais ce changement, de club et de pays, n’a pas été facile à vivre. Quand Jacques Santini donnait ses consignes sur le plan de jeu, forcément, je le comprenais mal. Même si j’avais un traducteur, j’ai vite pris conscience qu’il me fallait apprendre la langue. Après six mois de cours, j’ai commencé à parler français et, à partir de là, tout est devenu plus facile.

Visiblement très à l’aise balalaïka en mains.

Vous aviez une bonne relation avec Jacques Santini ?J’échangeais beaucoup avec lui. Il était curieux, me posait pas mal de questions sur les méthodes d’entraînement que je suivais au Spartak Moscou et au sein de la sélection soviétique. Il voulait savoir comment travaillait Valeri Vassilievitch (Lobanovski, NDLR) avec la Sbornaya et le Dynamo Kiev, comment il agissait face à telle ou telle situation. C’était très intéressant pour lui de savoir tout cela. Comme j’avais des enregistrements de mes entraînements en équipe nationale, je les ai partagés avec lui.

Cette saison-là, le Tef’ disposait d’un effectif plutôt sexy…C’est vrai. Évidemment, je pense à Dominique Rocheteau, qui était très expérimenté, à Pascal Despeyroux, un sacré milieu de terrain, et à Jean-Philippe Durand, notre capitaine. Je me souviens également des frères Passi ou de jeunes comme Michel Pavon, Jean-Philippe Delpech et Fabien Barthez.

Et Beto Márcico, dans tout ça ?Il adorait les pizzas ! Celui-là alors, quel roubakha paren (littéralement « gars à chemise » , expression russe désignant un type simple et désintéressé, NDLR). C’était le héros des Toulousains. Il y avait aussi un Allemand, dont j’ai oublié le nom (Peter Reichert, arrivé de Strasbourg à l’été 1989, NDLR). On était trois étrangers à jouer dans l’équipe : lui, Beto et moi.

Beto Marcico.

Un soir, j’ai invité tous mes coéquipiers à la maison. Je leur ai fait goûter de la vodka russe, du caviar… bref, une soirée habituelle chez nous .

D’ailleurs, on imagine que vos coéquipiers ont dû être intrigués en vous voyant débarquer dans le vestiaire, non ?Bien sûr. Ces gars-là ne savaient pratiquement rien de la Russie, à part les clichés habituels : il fait très froid, les ours se promènent dans les rues, etc. J’ai donc dû leur faire découvrir mon pays. Un soir, j’ai invité toute l’équipe à la maison, pour que nos familles puissent se rencontrer. On a bu. Beaucoup bu. Je leur ai fait goûter de la vodka russe, du caviar… bref, une soirée habituelle chez nous. Le lendemain, l’entraîneur nous a laissés au repos. Et quand, le jour suivant, nous avons repris le chemin de l’entraînement, nous nous sommes tous très bien comportés. (Sourire.) Pendant mes deux années à Toulouse, je leur ai beaucoup parlé de la vie en URSS. Et à travers mon exemple, mes coéquipiers ont compris que les Russes aussi pouvaient se faire des amis.

Après la fin de votre contrat avec le Toulouse FC, vous êtes resté dans le coin et avez joué pour deux clubs amateurs, Montauban et Labège. L’amour du Sud-Ouest ?J’avais tout ce qu’il me fallait là-bas. À Montauban, il y avait de très bons propriétaires. Ils m’ont convaincu de signer en s’arrangeant pour que leur sponsor s’occupe de construire ma maison. Dans le contrat, ils précisaient bien que la maison, qui se trouvait à l’Union, serait à moi par la suite. Je me suis aussi lié d’amitié avec des gens formidables, un couple de retraités qui vivait près du Stadium et qui m’a hébergé durant plusieurs mois, le temps des travaux. Nous avions une très bonne relation, mes enfants et leurs petits-enfants jouaient ensemble. Labège, je n’y suis pas resté longtemps, c’était pratique parce que je vivais à côté. Mais à mon grand regret, j’ai fini par vendre ma maison.

J’ai compris que pour la France, je serais toujours un étranger. Autrement dit, personne. J’ai été déçu. C’est à ce moment-là que je suis rentré en Russie.

Pourquoi ? Cela faisait presque cinq ans que je vivais en France. Je voulais monter un business, en achetant un hôtel dans le nord du pays. Mais la banque n’a pas voulu m’accorder de prêt. J’étais un footballeur, étranger en plus. Ils ne m’ont pas pris au sérieux. J’ai compris que pour la France, je serais toujours un étranger. Autrement dit, personne. J’ai été déçu. C’est à ce moment-là que je suis rentré en Russie.

Entretemps, l’URSS s’était disloquée.Oh, quand je suis parti, nous savions déjà que le futur ne serait pas brillant. Mais nous vivions très bien à l’époque de l’URSS. Nous étions sereins par rapport aux lendemains, nous avions tous un travail, un salaire, des cliniques et des écoles gratuites… OK, nous avions moins de libertés que chez vous, mais au moins la vie était cadrée, régulée. La période Eltsine était beaucoup plus troublée. Il y avait des bandits, des escrocs, certains ont profité de la situation pour amasser beaucoup d’argent. Du peuple uni que nous étions, il ne restait plus rien.

Vagiz Khidiyatullin (debout, deuxième en partant de la gauche), un jour de finale d’Euro.

C’était le désordre, et ça ne dérangeait personne parce qu’on pouvait sortir de l’argent pour régler les problèmes.

Un aspect particulier du foot français vous a-t-il marqué ?Son organisation. Je ne parle pas forcément de la Fédération française de football, mais surtout du syndicat de joueurs pro (l’UNFP, NDLR), qui à l’époque travaillait déjà très bien, et depuis des années. Quand je suis rentré en Russie et que j’ai essayé de mettre en place un système similaire, vous n’imaginez pas les difficultés que j’ai rencontrées. (Il a créé le Syndicat des joueurs et entraîneurs de Russie, NDLR.) Apparemment, on n’en avait pas besoin. C’était le désordre, et ça ne dérangeait personne parce qu’on pouvait sortir de l’argent pour régler les problèmes. Et je ne parle pas de la réorganisation de notre championnat. Du temps de l’URSS, on avait des clubs baltes, ukrainiens, biélorusses… Comme ces républiques ont pris leur indépendance, il ne nous restait plus que des clubs russes, et le niveau de notre première division n’était plus le même.

En fin de compte, qu’est-ce qui vous manque le plus de la France ?(Il réfléchit longuement.) Pour moi, la France a toujours été un pays extraordinaire. C’est celui de la Révolution. D’ailleurs, j’ai vu que c’était encore le cas il y a quelques années, avec les gilets jaunes. (Rires.) Ce qui me manque, ce sont peut-être les chansons françaises, mais grâce à Internet, on peut les retrouver facilement. Ma femme aime beaucoup la France. Nous sommes allés à Paris. J’y étais souvent allé quand j’étais joueur, mais là, nous avons eu le temps de nous arrêter, de regarder, d’être touchés par l’histoire française. Paris, c’est une beauté, l’une de mes villes préférées. En russe, nous avons une expression : voir Paris et mourir. Ça veut dire que maintenant, on peut mourir tranquille. (Sourire.)

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