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Karim Boudiaf : « Au Qatar, on a l’expérience des gros tournois »

Propos recueillis par Alexis Billebault
8 minutes

Né en France d’une mère marocaine et d’un père algérien, Karim Boudiaf (32 ans) est depuis 2013 un citoyen du Qatar, pour qui il a joué à 115 reprises. À l’issue d’un long stage en Europe, en Autriche puis en Espagne, le milieu de terrain formé à Nancy a trouvé le temps, avant de rentrer à Doha, de parler de la Coupe du monde, de sa sélection d’adoption et de sa carrière.

Karim Boudiaf : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Au Qatar, on a l&rsquo;expérience des gros tournois<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Vous avez achevé ce dimanche 13 novembre un exil de près de cinq mois en Europe, afin de préparer la Coupe du monde. Comment s’est passée cette longue période ?Nous avons quitté Doha en juin pour l’Espagne, le temps de jouer contre une équipe nord-irlandaise. Puis nous avons pris la direction de l’Autriche, où les températures sont moins élevées, pour poursuivre notre préparation. Là-bas, on a affronté des clubs comme la Lazio et la Fiorentina, des sélections, dont le Canada et le Chili. Puis, retour en Espagne en octobre, avec toute une série de matchs amicaux face à des équipes latino-américaines (Nicaragua, Guatemala, Honduras, Panama), dont le style de jeu se rapproche de celui de l’Équateur, que nous affronterons au premier tour, et on a bouclé ce programme contre l’Albanie. Évidemment, cinq mois, c’est long. Heureusement, nos familles ont pu venir passer quelques semaines en Autriche avec nous, et j’ai pu rentrer quelques jours à Doha en octobre pour régler quelques affaires. Mais on a hâte de rentrer et de disputer cette Coupe du monde, chez nous.

Depuis l’Autriche et l’Espagne, avez-vous pu mesurer, même à distance, l’attente de vos supporters ?Nos familles, nos proches nous informent. Plus le début de la Coupe du monde approche, plus les gens en parlent. Il va y avoir beaucoup de visiteurs, le Qatar va être au centre du monde pendant un mois. On nous dit qu’il y a beaucoup d’attente, d’impatience, d’excitation. Comme nous sommes loin, que nous sommes dans notre bulle, on ne le mesure pas vraiment. Moi, j’aurais aimé qu’on joue un dernier match amical à Doha, devant nos supporters. Depuis les rencontres de mars contre la Bulgarie (2-1) et la Slovénie (0-0), nous n’avons pas évolué chez nous. La fédération a préféré qu’on soit en Europe, tranquilles, pour nous préparer. Certains de nos matchs amicaux ont eu lieu à huis clos, sans retransmission télévisée. Nous n’avons pas beaucoup vu de journalistes. C’est vrai que nous avons pu travailler dans des conditions parfaites, loin de toute pression.

Les supporters qatariens ne sont pas réputés pour être les plus chauds du monde.C’est vrai. Mais on parle d’une Coupe du monde, que leur pays va organiser, la première à laquelle la sélection va participer. Il y a un vrai engouement derrière nous. Depuis que le Qatar a obtenu l’organisation du tournoi, bien sûr, mais aussi parce que nous avons eu des résultats, comme la victoire en Coupe d’Asie des nations en 2019 aux Émirats arabes unis. Même si nos supporters sont plutôt calmes, je crois que c’est mieux d’avoir pu se préparer loin, d’avoir pu disputer autant de matchs amicaux.

Les stages et les matchs amicaux en Europe nous ont permis de beaucoup bosser physiquement et tactiquement. En 2021, le Qatar avait encaissé quelques lourdes défaites contre la Serbie (0-4, 0-4), l’Éire (0-4) et le Portugal (0-3). À cette époque, tout le monde ou presque prédisait une Coupe du monde difficile pour sa sélection. C’est peut-être un peu moins le cas aujourd’hui, mais elle est présentée comme un outsider du groupe A, au mieux. Ressentez-vous une évolution à ce niveau ?Les défaites de l’année dernière ont finalement été un mal pour un bien. En affrontant de bonnes sélections européennes, on a compris qu’il faudrait beaucoup travailler pour bien figurer au Mondial. Face à la Serbie et au Portugal, à chaque fois que nous avons commis des erreurs, on l’a payé cash. On a appris, et ces stages et ces matchs amicaux en Europe nous ont permis de beaucoup bosser physiquement et tactiquement surtout. La concentration, les déplacements, les replacements, les coups de pied arrêtés, les centres… Toutes ces choses qu’il fallait améliorer. Il n’y a pas de secret : plus tu travailles avec le même effectif, en répétant les exercices, plus tu progresses. Le coach (l’Espagnol Felix Sánchez, NDLR) est très pointu sur l’aspect tactique. On fait beaucoup de vidéo, d’ateliers sur le terrain. Il nous connaît bien aussi, car ça fait plus de cinq ans qu’il est là (juillet 2017). Maintenant, pour parler du groupe A, c’est vrai que les Pays-Bas et le Sénégal sont donnés favoris. C’est assez logique : les Néerlandais ont une des meilleures sélections européennes, et le Sénégal est champion d’Afrique.

En gros, tout le monde trouverait normal que le Qatar soit éliminé au premier tour…C’est sûr. Au moins, nous avons moins de pression que certaines équipes. Tant mieux. Mais il y a des équipes qui ont accueilli la Coupe du monde et qui ont créé la surprise : les États-Unis en 1994, la Corée du Sud en 2002… Les matchs amicaux, c’est une chose, mais quand arrive la compétition, tout change. Nous, on a joué la Coupe d’Asie, la Copa América, la Gold Cup. On a l’expérience des gros tournois. Alors, oui, c’est la Coupe du monde, c’est le très haut niveau, mais on va tout faire pour bien figurer, donner une bonne image de la sélection, et si on fait un bon résultat en match d’ouverture face à l’Équateur, tout sera possible.

Certains de mes coéquipiers sont surpris de tout ce qu’ils peuvent lire ou entendre, surtout des médias européens. Ils disent que c’est un peu de l’acharnement. On ne peut pas parler de cette Coupe du monde sans évoquer les nombreuses polémiques qui l’entourent. Comment y réagissez-vous ?La fédération nous a demandé de ne pas trop communiquer sur ce sujet, et de nous concentrer sur le terrain. Mais même si nous sommes dans notre bulle, on sait que des choses sont dites et écrites. Il nous arrive d’en parler un peu entre nous. Certains de mes coéquipiers sont surpris de tout ce qu’ils peuvent lire ou entendre, surtout des médias européens. Ils disent que c’est un peu de l’acharnement.

Le Qatar, vous y vivez depuis 2009. Pourquoi avez-vous effectué ce choix, alors que vous n’aviez pas encore 20 ans et que vous étiez un joueur de Nancy ?À Nancy, je n’étais pas professionnel. Et j’avais l’impression que le club ne me proposerait pas de contrat. J’ai eu un jour cette opportunité de signer à Lekhwiya (qui deviendra Al-Duhail, NDLR), un des meilleurs clubs du Qatar, où on me proposait de passer pro. J’y suis allé plusieurs jours, le temps de visiter, de me faire une idée. En revenant, j’en ai parlé avec mes parents, ma famille, des amis, et j’ai accepté. Pour moi, il valait mieux partir au Qatar, avec un bon projet, plutôt que d’attendre en France, sans avoir la certitude de devenir professionnel. J’ai eu raison de faire ce choix.

En quoi consistait ce projet ?D’évoluer en Ligue 1 locale, et d’obtenir, au bout de cinq ans, la nationalité qatarienne, pour intégrer, bien sûr en fonction de mes performances, la sélection nationale, notamment en vue de la Coupe du monde 2022. J’aurais été stupide de refuser ! J’aurais pu rester en France, je ne sais pas ce qui serait arrivé, mais comment avoir des regrets ? J’ai 32 ans, je vais jouer la Coupe du monde, j’ai joué la Coupe d’Asie, la Coupe du Golfe, la Coupe arabe des nations, la Copa América, la Gold Cup, la Ligue des champions asiatique, j’ai gagné beaucoup de titres, avec mon club et avec la sélection. Je gagne bien ma vie, dans un pays où je me sens bien, et où j’ai presque passé la moitié de mon existence. Et je pense qu’une fois ma carrière de joueur terminée, je resterai à Doha pour y vivre avec ma famille.

Vous n’avez jamais été tenté par un retour en Europe ?Il y a eu quelques opportunités… Mais pourquoi tout quitter alors qu’au Qatar, j’ai pu connaître beaucoup de choses ? J’ai une famille, et la faire déménager pour un autre pays, un autre projet sportif, pour aller dans un championnat européen, ce n’aurait pas été une décision facile à prendre. J’ai encore quelques années devant moi. On va accueillir la Coupe d’Asie en juin prochain…

L’Algérie, le pays d’origine de votre père, vous avait contacté quand vous aviez 19 ans…C’est vrai. Comme ma mère est d’origine marocaine, j’aurais pu aussi être éligible pour le Maroc. Mais le Qatar m’a proposé un vrai projet à long terme, on m’a laissé du temps, et mes parents sont très heureux de mon choix et que leur fils joue la Coupe du monde pour le Qatar. Si j’avais opté pour l’Algérie, je ne sais pas si j’aurais eu la même carrière internationale et eu l’occasion de jouer une CAN ou une Coupe du monde. Vraiment, je ne regrette rien : je suis né en France, j’ai des parents originaires d’Afrique du Nord, j’ai la nationalité qatarienne, et sportivement, j’ai une carrière très bien remplie. Mon histoire est plutôt sympa, non ?

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Propos recueillis par Alexis Billebault

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