- Un jour, un transfert
- Épisode 10
Jules Bocandé à Metz : la Moselle du désir
Cet été pendant le mercato, So Foot revient chaque jour de la semaine sur un transfert ayant marqué son époque à sa manière. Pour ce dixième opus, cap à l'est pour l'histoire d'une rencontre entre un club, le FC Metz, et un personnage haut en couleurs, Jules Bocandé, qui résonne encore aujourd'hui comme le début de la romance entre les Grenats et le Sénégal.
En cette année 1984, la France s’apprête à vivre un Euro à la maison et chaque foyer espère avoir un téléviseur au point pour suivre les aventures de la bande à Platoche sur son petit écran. Mais dans son salon, Carlo Molinari a un autre souci. Si l’emblématique président du FC Metz peut, de par sa fonction, assister à autant de matchs qu’il veut depuis le stade, il se trouve alors dans une drôle de baston avec son tube cathodique. Et pour cause, la géographie mosellane l’empêche de suivre correctement le foot belge. « J’habitais à ce moment-là sur une colline et cette colline me gênait pour capter les images, raconte l’ex-boss grenat. J’avais mis une antenne belge à mon bureau à Maizières-lès-Metz, dans le plat. Et c’est là que je pouvais regarder le championnat belge. » Si Don Carlo tient absolument à avoir un œil de ce côté de la frontière, c’est parce qu’un petit phénomène de 25 ans crève l’écran dans la région liégeoise : Jules Bocandé.
Gaston, y a l’téléphon qui son
Ce Sénégalais est une valeur sûre de l’élite belge. Cela fait déjà quatre ans qu’un des amis de sa famille l’a introduit dans le royaume de Baudouin. De toute manière, il ne pouvait plus jouer au pays puisque le natif de Ziguinchor avait été suspendu – dans un premier temps à vie – pour avoir fait un croche-patte à l’arbitre d’une houleuse finale de Coupe du Sénégal en 1980, opposant alors son club de Casa Sport à l’ASC Jeanne d’Arc. Son talent, c’est à Tournai puis à Seraing qu’il l’exporte donc. Le FC Metz, en bon club frontalier, a toujours prospecté de l’autre côté des Ardennes. Et en cette année 1984, tout est aligné pour attirer la pépite des Métallos. « Sa dernière saison, je crois qu’il était à 22 ou 23 buts avec Seraing. Avec S’raing, comme on dit, se reprend Molinari en optant pour un accent belge à couper au couteau. Moi, j’apprends que Seraing est en difficulté économique, qu’ils vont déposer le bilan. J’avais un ami qui était journaliste au Luxembourg. Je lui téléphone, je lui ai dit :« Vois un peu avec tes collègues belges ce qu’il faut faire, quelles sont les démarches pour récupérer Bocandé. » » À cette époque où les scouts et les cellules de recrutement sont embryonnaires, c’est la débrouille. Et à ce petit jeu, Carlo Molinari connaît toutes les ficelles.
Gaston, l’ami en question, rappellera deux jours plus tard, confirmant les problèmes de caisses des Wallons. Le club est aux mains d’un liquidateur avec qui la direction lorraine décide de prendre directement contact. Enfin, pas si directement, puisque le Prés’ profite lui de ses congés estivaux. « C’est tombé au moment où j’allais partir en vacances à Ajaccio, se remémore le président. À l’époque, j’allais toujours en vacances là-bas. J’y suis allé 13 fois en l’espace de 14 ans, parce que le directeur sportif de l’AC Ajaccio (Antoine Federicci) tenait l’hôtel (le Dolce Vita, sur la route des Sanguinaires, NDLR). Une grande partie des présidents de club s’y retrouvaient l’été. » Les doigts de pied en éventail, mais la tête aux affaires, Molinari donne procuration à son ami Gaston. « Je lui ai dit :« Propose 900 000 francs et tu verras bien ce qu’il va dire. »On propose 900 000 francs et il a accepté. En Belgique, 900 000 francs, c’était des sous, et j’ai dû envoyer un télex pour confirmer qu’on avait payé tout de suite. Le liquidateur voulait que ça rentre dans les fonds rapidement. Donc on a eu Jules Bocandé pour 900 000 francs, alors que je l’ai vendu deux ans plus tard au PSG pour dix millions et demi de francs… »
Sacrées soirées
Derrière cette anecdote sortie tout droit d’un monde où on pouvait signer un contrat sur un bout de nappe et acter un accord d’une poignée de main, c’est surtout un des plus beaux coups du FC Metz qui a été réalisé. Au-delà de la plus-value faite deux ans plus tard à la revente, c’est surtout la chance d’avoir pu compter sur un garçon aussi exceptionnel sur le terrain qu’en dehors. Côté terrain, Jules Bocandé a participé, avec Tony Kurbos, Philippe Hinschberger, Michel Ettore ou Luc Sonor, à écrire la plus belle page de l’histoire européenne du club à la croix de Lorraine avec l’élimination du FC Barcelone au Camp Nou un soir d’octobre 1984. Il terminera également meilleur buteur de D1 à l’issue de la saison 1985-1986, avec 23 buts au compteur, même s’il « n’avait pas de pied gauche », comme le concède Carlo Molinari : « Il n’avait pas de puissance dans sa frappe. C’était toujours des buts de buteur, toujours placé au bon endroit. »
Mais si Metz a été marqué par l’international sénégalais (73 sélections, 20 buts), c’est aussi grâce à sa présence dans les surfaces de divertissement, notamment du côté du Tiffany. Que ce soit dans ce bar du centre-ville ou ailleurs, il ne laisse pas insensible la gent féminine. « Partout où j’allais, les filles me demandaient un autographe signé de sa main, voire son numéro de téléphone. À toutes, je faisais la même réponse :« Avec Jules, mesdemoiselles, c’est comme chez Air Inter, il y a une liste d’attente. » » Si bien qu’autour de lui et de ses activités nocturnes flottent tout un tas de légendes. Comme cette fois où une patrouille de police le croise à la sortie du Tiff’ et lui propose de le raccompagner chez lui. « Bocandé dans une voiture de police, ça n’est pas passé inaperçu. Les rumeurs les plus folles ont couru. On a dit que j’étais allé le chercher à la prison de Queuleu pour le faire libérer, sourit Molinari, sans non plus camoufler la vérité sur son protégé. Jules avait ses excès. Quand l’entraînement démarrait à neuf heures du matin, lui était capable de n’arriver qu’à dix heures. C’était comme ça, il fallait faire avec. Pour autant, il ne serait venu à l’idée de personne de lui faire des reproches. Car sur le terrain, Jules donnait tout. »
Le début de l’histoire d’amour entre Metz et le Sénégal
Un lien affectif, indélébile, est alors créé et il sera étiré pendant des années. Déjà quand celui qui était devenu l’adjoint de Bruno Metsu ou de Guy Stéphan sur le banc des Lions de la Téranga est victime d’un AVC. « La première pensée qu’il a eue pour se faire soigner, c’est de revenir à Metz. Ça dit tout de son attachement, témoigne son ami Carlo. J’avais mis en place toute la chaîne médicale pour le soigner, mais malheureusement, quand il est venu, il était déjà trop tard. L’opération en elle-même s’est bien passée, mais il y a eu des complications. » Jules Bocandé s’est éteint le 7 mai 2012, sur les bords de la Seille, un printemps où le FC Metz plongeait en National.
[ ℍ?????? ]Attaquant messin de 1984 et 1986 et meilleur buteur de #D1 en 1986, Jules Bocandé aurait fêté ses 63 ans ce jeudi. ?? ?? ?’?????? ??? ?????. pic.twitter.com/bDMwlVRQN7
— Fc Metz ☨ (@FCMetz) November 25, 2021
Son héritage est pourtant, d’une certaine façon, toujours vivant. En étant le premier Sénégalais à porter le maillot grenat, il a participé à construire un pont entre la préfecture mosellane et son pays d’origine. « Depuis le passage de Jules, on a toujours conservé d’excellents rapports avec les Sénégalais. C’était aussi un grand personnage là-bas et, grâce à lui, Metz était connu et aimé au Sénégal », assure Carlo Molinari. Le partenariat noué en 2003 avec Génération Foot, l’académie créée par Mady Touré et dont sont issus Babacar Gueye, Papiss Cissé, Diafra Sakho, Sadio Mané, Ismaïla Sarr, Habib Diallo ou encore Pape Matar Sarr n’est que la suite logique de cette histoire. Même si, aujourd’hui, Carlo Molinari n’a pas besoin de se décarcasser pour capter les matchs de D1 sénégalaise.
Par Mathieu Rollinger
Propos de Carlo Molinari recueillis par MR ou issus de Sang grenat de Pierre Théobald (Éditions du Quotidien).