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José Touré, l’enfant de Blois
Ils sont sept à avoir porté le maillot de Blois et Nantes. Olivier Bernardeau – aujourd’hui directeur commercial de l’OL –, Philippe Gondet, Sadek Boukhalfa, Joël Prou, Yves Deroff, Issa Cissokho, et surtout José Touré. Retour sur les périodes blésoises du « Brésilien » du foot français.
Pour les fans de culture, le 12 décembre reste l’occasion d’honorer la naissance de Gustave Flaubert ou Frank Sinatra. Mais ce 12 décembre 1994, à Blois, dans le Loir-et-Cher, on célèbre surtout l’espoir d’une renaissance, celle de José Touré. « L’artiste » vient de signer, à trente-trois ans, en Nationale 3 (l’équivalent de la CFA 2 aujourd’hui, ndlr) dans le club de sa première licence, l’AAJB (Association amicale de la jeunesse blésoise). Un petit mois plus tard, le voici dans un Stade des Allées aux bras et yeux grands ouverts, pour son premier match. « C’est simple, avant son arrivée, l’affluence tournait à deux cents spectateurs par match, conte Antonio Lorenzo, entraîneur de la réserve à l’époque et aujourd’hui vice-président du district du Loir-et-Cher. Là, pour un amical contre une DH je crois, il y en a eu plus de 990, ça, je m’en souviens. » Et tant pis si José n’a finalement porté qu’une seule saison les couleurs rouges de l’AAJB (1971-1972), et opté rapidement, à douze ans, pour l’US Chitenay, club d’un village de sept cents âmes à vingt-cinq bornes : « Les joueurs étaient dotés du même survêt, du même sac, ça faisait très pro. Cette panoplie m’attirait. » Mais sa passion pour le foot est bien née en préfecture du Loir-et-Cher, dans son quartier « vivant » , d’un « niveau social moyen » , sans « très pauvres, ni riches » , et « bien achalandé » , de la ZUP de Blois, en bas de sa tour de douze étages, sur la place René-Coty. « C’était le point de ralliement, le cœur, raconte-t-il. La place était faite de dallages clairs, avec un bassin excentré et des rangées de jeunes platanes bien alignés qui nous servaient de poteaux de but. On y jouait tous les soirs avec les copains. »
Arrivée d’Ajaccio en 1968, la famille Touré a suivi Bako, le paternel avant-centre, venu finir sa carrière en D2 et se reconvertir à l’AAJB. « Ma mère, vraie Méditerranéenne, pleurait souvent les premiers temps, confie José. Le manque de soleil, la réserve des gens, le vert profond de la Sologne, tout l’attristait.(…)Au début à Blois, mon frère et moi étions des extra-terrestres. Blacks, à l’accent corse, c’était du jamais-vu dans le Loir-et-Cher. Mais lorsqu’on est gosse, on s’adapte très vite. » Au point de devenir moteur lorsqu’il s’agit d’organiser et de jouer son premier match international. Un (in)formel France-Portugal. « J’étais allé avec mon gardien de but, Mouloud, de l’autre côté du quartier chez les Portos, se souvient-il. On s’était mis d’accord,« mercredi à trois heures, place René-Coty », sur notre terrain, mais avec leur ballon. Cette semaine-là, pas un seul membre de notre sélection n’avait fait la moindre bêtise, que ce soit à l’école ou à la maison. Toute punition était interdite. Comme dans toutes les bandes, il y avait des disputes, mais là, on se battait pour la même cause : manger les Portos. C’était l’union sacrée, c’était beau à voir. C’était ça, notre France, et nous étions de jeunes coqs vêtus de bleu et alignés solennellement entre les platanes avant de serrer la main des Portugais. » Victoire 3-1 de la France, avec deux buts de José, « deux coups de patte en finesse après avoir mis dans le vent un arrière un peu lourd » , précise-t-il. « Le Macadam Football » , comme il l’appelle.
Alpaga et alpagué
Puis le « Foot des Copains » , à l’AAJB et surtout à l’US Chitenay, jusqu’à sa majorité. Sur le terrain, José peut être « époustouflant » , « facile » et « inconstant » , de l’aveu de son coach de l’époque, Bernard Croizet. « La grande différence avec certains des copains de l’équipe qui avaient une technique comparable ou meilleure que la tienne, c’est qu’il avait un potentiel physique impressionnant. » José fait également dans la facétie, à planquer les sacs, les crampons, à mouiller les serviettes. « J’étais un joueur et un chambreur » , s’amuse Touré. « Je l’ai vu dribbler le gardien adverse, l’attendre, le redribbler avant de lui rendre le ballon en souriant, poursuit Croizet. Mais malgré sa facilité, il ne la ramenait pas. » Avec sa bande de potes Maublanc, Houdin, Girolet, Kergali, Fortun, Roubehie, Moreno, Termoir, Paulin ou encore Bonnet, José glane un titre de champion départemental. Mais l’essentiel est ailleurs. « Bien sûr, j’ai appris à dribbler encore mieux et à tirer des deux pieds, resitue José. Mais franchement, c’était le cadet de mes soucis. »
Avec la bande, le grand maigrichon qu’est José apprend la vie d’ado, une vie de plaisir et de style. Déjà. « Avec mes meilleurs amis, nous écoutions dans une remise les Pink Floyd, Rick Wakman et Neil Young, se rappelle-t-il. Nous portions l’uniforme du moment, sabots aux pieds avec Levis 501, gros pull shetland et l’écharpe de cinq mètres de long enroulée autour du cou. On s’achetait des cigarettes qu’on fumait dans un coin isolé. Puis les filles devinrent un pôle d’attraction permanent. » La bande est passée au pantalon « taille haute en alpaga » , aux « costumes Jean Raymond » , aux « imitations Weston » , à l’imper « à la Bogart » et danse désormais sur du disco, Cerrone, Boney M, Gloria Gaynor, Donna Summer, « plus favorable à la drague » . Les premiers baisers réussis sont de sortie, grâce au tuto infaillible du capitaine Moreno : inviter une fille à danser un premier slow, lui offrir un verre et des compliments, puis passer au deuxième slow et concrétiser l’attaque. « Tu la serres de plus en plus. Si elle se laisse faire, tu colles ta joue contre la sienne. Tu commences à lui donner des baisers dans le cou, tu remontes doucement jusqu’à sa bouche et tu l’embrasses. » Voilà pour Sylvie, la pionnière. Puis les choses encore plus sérieuses, à quatorze ans, dans un petit bois derrière le cimetière, « endroit romantique et discret » , avec Chantal, une fille « grosse et pas jolie, mais abordable » , qui bosse chez le médecin du quartier. « J’ai découvert, dans cette nature si généreuse de la Sologne, le corps d’une femme. »
À la maison en revanche, le contexte est plus tendu. Les disputes parentales rythment la vie quotidienne et ouvrent le premier traumatisme de José. « Un matin, j’ai craqué. Mon père cherchait des poux à ma mère. Je suis rentré dans le salon et j’ai gueulé : « Tu nous emmerdes maintenant, puisque tu n’aimes plus maman, qu’est-ce que tu attends pour partir ? Nous, ici, on n’attend plus que ça. » Et il est parti. Il nous a laissés. Il a cru ce que je ne voulais surtout pas voir se réaliser. Il est allé en Afrique ouvrir une discothèque et un restaurant. » Désormais à trois, avec Ginette la maman et Patrice le frangin, José trouve en Claude Berquez son « père spirituel » . Ami de Bako et président de l’US Chitenay, ce notable du 41, DG de HandyBag (les sacs poubelles), et maqué au RPR du coin, prend définitivement sous son aile l’ado Touré. « Il venait me chercher le dimanche matin pour aller jouer, je mangeais chez lui, confirme José. Il me couvait.(…)J’ai comblé, avec Claude Berquez, mon manque. Il sera l’homme clef de ma vie d’homme et de ma carrière de joueur professionnel. Il m’a protégé, aimé, conseillé et guidé. Et puis, un jour maudit, il m’a tué en me trahissant pour une grosse poignée d’argent : il m’a donné envie d’arrêter de vivre. »
Trois mois et puis s’en va
Pour son entrée dans les 90’s, José n’est plus le gamin innocent qui a quitté à dix-huit ans le 41 pour le 44 et le FC Nantes. José est certes toujours une star pour les Blésois, toujours ce joueur surnommé « Le Brésilien » après un but d’anthologie contre le PSG au Parc des Princes en 1983, ce joueur qui aurait dû, sans une grave blessure au genou, sévir sur le front de l’attaque française au Mundial 1986, au Mexique, ce joueur qui a connu ses plus belles réussites professionnelles de vingt à vingt-cinq ans, ce joueur qui rendait visite à Blois, « inaugurer un gymnase ou discuter et taper le ballon avec les jeunes du quartier » dixit Tonio Lorenzo, lors des passages du Variétés Club de France. « Et de vingt-cinq à vingt-neuf ans, j’ai lutté avant de tout quitter, parce qu’en perdant l’amitié d’un seul homme – Claude Berquez –, un pan trop grand de ma vie s’effondrait, raconte-t-il. À cet instant, j’ai connu la ruine. » Trop enclin à fuir cette déception dans une auto-destruction flippante faite d’alcool, de teufs et de coke, José n’est plus que l’ombre la plus obscure de lui-même. Un crève-cœur. Après deux années « d’enfer » sans club, entre le Sud de la France et Paris, il rentre même dans la maison familiale, en Sologne, à Fougères, auprès de sa mère et de sa grand-mère, montée de Marseille après le décès de son mari. Il essaie à coups de poèmes et de pinceaux, de se retaper, malgré les insomnies. Et les rechutes. Une nuit, José plie volontairement sa voiture dans le portail de Berquez : « Dans son jardin, je hurlais ma douleur. Je le voyais, une serviette autour des hanches derrière une fenêtre. Craintif et lâche, il ne sortait pas. » Il expérimente même la camisole de force dans une chambre capitonnée. Puis le FC Tours, pensionnaire de D2, lui tend la main et l’héberge au centre de formation. Mais lesté du décès de sa grand-mère, et sous anti-dépresseurs, il conclut l’essai par un passage de quatre mois en prison, en août 1992, après avoir corrigé trois flics.
C’est ce José cabossé que l’AAJB retrouve en décembre 1994. « Ça faisait un an ou deux qu’on essayait de le faire revenir, rembobine Tonio Lorenzo, qui le remet en forme pendant deux-trois semaines avec la réserve. On voyait bien que c’était quelqu’un qui sortait de beaucoup de souffrance, mais je le trouvais pas mal. » Pas à 100% de ses moyens après deux ans sans jouer, il intègre finalement la première, méfiante à son égard au départ. « Le coach de la première avait peur que ça déstabilise son groupe. Sur le terrain, il pouvait faire la différence tout seul, mais il n’arrivait pas à répéter les choses, regrette Lorenzo. J’avais préconisé qu’il reste plus longtemps avec la réserve, pour ne pas qu’on tire sur la corde avec lui. Mais, et je le comprends, il n’était pas revenu à Blois pour jouer en réserve. » Mais le retour de José se fait encore plus court que son année de benjamins. « Il a dû faire trois mois environ » , hésite Lorenzo. À Blois, les souvenirs de matchs de José sont disparates. De deux à cinq matchs selon les versions. Et pour ce premier match amical devant le millier de personnes, il n’aurait même foulé la pelouse. « J’étais avec lui sur le bord du terrain quand il s’échauffait, se rappelle le fils du journaliste proche de Touré, couvrant les sports à la Nouvelle République de l’époque. Mais, dans mes souvenirs, il n’était pas entré. Cela dit, je l’avais vu souriant, détendu. Il semblait vachement mieux. » Et son dernier match blésois, son dernier tout court, serait un derby contre Romorantin, « Romo » pour les puristes. Sans briller non plus.
Blois protecteur
De quoi nourrir des regrets en tout cas. Pas de l’avoir recruté, mais de ne pas avoir réussi à lui remettre correctement les pieds et la tête dans ses crampons. Tonio Lorenzo en a par exemple l’intime conviction : « S’il avait été géré au niveau de l’entraînement, de la récupération, des soins, il aurait plus duré en CFA2. Parce qu’il ne faut pas croire, mais on ne s’en sort pas comme ça, d’un claquement de doigts, en CFA2… Quand je repense à son retour à l’AAJB, je n’ai aucun souvenir négatif à son égard, si ce n’est que c’était trop court. » Car Blois était prêt à aimer son enfant plus que partout ailleurs. « Pour son premier entraînement, j’étais avec des jeunes qui regardaient José avec des étoiles dans les yeux, rigole le fils du journaliste. Il est venu de lui-même taper le ballon avec eux. Vraiment sympa. Je me souviens de lui venir faire souvent un tour à la maison, discuter avec mon père. C’est un mec bien, José, humainement très riche. Après sa pige à l’AAJB, on s’était perdus de vue, sans contact pendant dix-douze ans. Et là, alors que je mange au resto de Jean-Pierre Rives à Issy-les-Moulineaux, je croise José. Il me voit et instantanément, il me tombe dans les bras. José, il a un super bon fond, mais le monde du foot pro s’est un peu servi de lui quand même. Le Loir-et-Cher et Blois ont toujours essayé de le protéger. Puis il s’est finalement fait enfler par ce DG de HandyBag, Berquez, ce notable d’ici. Mon père l’avait mis en garde contre lui pourtant. Il n’a jamais vraiment réussi à dépasser ça. »
Par Ronan Boscher
Propos de José Touré et Bernard Croizet recueillis dans son autobiographie, Prolongations d'Enfer (octobre 1994), ceux de Tonio Lorenzo et le fils du journaliste par RB // Merci à la Nouvelle République pour la photo de la licence de José.