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Jorge dans la jungle

Par Ronan Boscher // Tous propos recueillis par RB
6 minutes
Jorge dans la jungle

Il y a pile 30 ans, Jorge Higuaín marquait son seul et unique but en France, sous le maillot de Brest. Pour célébrer ce trentième anniversaire particulier, revenons sur cette unique saison finistérienne du père de Gonzalo, dans ce Brest des années 1980. Celui du président Yvinec. Tout un programme.

Sur ce premier tiers de la saison 1987-1988, le FC Brest Armorique souffre. Ayant passé plus de temps lanterne rouge qu’autre chose, les Finistériens ont attendu cinq journées avant de planter leur premier but. Sept avant de connaître leur première victoire. « C’était un contexte un peu bizarre » , résume poliment, aujourd’hui, Bernard Maligorne, l’entraîneur. Bizarre, oui, c’est peu dire. Dans les années 1980, Brest, sous l’impulsion de son fantasque président François Yvinec, veut devenir une grosse gâchette de l’élite française du ballon. Après une demi-décennie à apprivoiser le plus gradé des championnats domestiques, le club breton sort d’un exercice 1986-1987 excitant, couronné d’une inédite huitième place de D1. Pour y arriver, Yvinec avait placé Raymond Kéruzoré à la tête de l’équipe première, et les supermarchés Leclerc, sponsors du club, leurs billes d’épicier sur deux éléments d’envergure pour la charnière centrale, recrutés à l’été 1986 : Jose Luis Brown, libéro de l’Argentine championne du monde 86, et Júlio César, jeune stoppeur de la Seleção, révélé lors de ce même mondial. Cela ne durera qu’une saison. En conflit larvé avec Yvinec, « Kéru » claque la porte et laisse le banc à Maligorne, jusque-là patron de la formation. Leclerc, qui avait conditionné ses dépenses dans le club au maintien de Kéruzoré, ferme le robinet. Brown et Júlio César quittent la rade. « On avait une équipe à reconstruire » , souffle Maligorne.

« Ses cuisses, c’était des morceaux de bois »

Pour Brest, pas question pour autant de renier ses envies d’Amérique du Sud dans son recrutement. Un autre défenseur débarque alors dans le 29. Nom : Higuaín. Prénom : Jorge. « Un agent nous l’avait proposé, se rappelle Maligorne. Jorge était venu en tournée en Suède avec nous, pour une sorte d’essai. Il avait fait un match plutôt convaincant. Je me souviens en avoir discuté avec Paul Le Guen, qui trouvait Jorge vraiment très bien. Il avait fait l’unanimité auprès des joueurs. » Jorge n’est pas international et son nom ronfle moins que ceux de Brown et Júlio César. « Personnellement, je ne le connaissais pas quand il est arrivé » , avoue Joël Cloarec, son ancien coéquipier. « On ne voyait pas autant de matchs à la télé qu’aujourd’hui, excuse Maligorne. Mais il avait une petite cote en Argentine. Ce n’était pas la star du championnat argentin, mais il jouait quand même en D1, à Boca Juniors. Ce n’est pas rien. »

Question style de jeu, Jorge a pour point fort le jeu de tête, et n’a vraiment d’esthétique que le port de la chaussette basse. Pour le reste, c’est un stoppeur intraitable. Un pur, « un dur sur l’homme, mais pas méchant » , selon son libéro, Michel Sorín. « Ce n’était pas comme Carlos Mozer, qui n’avait rien à faire sur un terrain de foot » , ajoute Vincent Guérin, ancien collègue de Jorge en Bretagne. Mieux valait quand même l’avoir avec soi. Dans les duels, Jorge ne laisse pas de miette. « On disait souvent qu’on allait contre du bois. Ses cuisses, c’était des morceaux de bois » , se souvient Cloarec. Bref, comme dirait Maligorne, « Jorge ne ressemble pas vraiment à Gonzalo, son fils, si vous vous voulez. Ou alors, c’était un autre genre de tueur. »

Saint-Jacques et la Bocca

Sans non plus avoir un rôle de leader, l’Argentin trouve bien sa place au sein de l’effectif, bien aidé par Jean-Pierre Bosser, chargé en quelque sorte d’intégrer les nouveaux venus. Une tâche qu’il accomplira avec soin. Pour son premier week-end français, Jorge se voit embarquer en mer par JP pour une partie de pêche : « Nos femmes nous ont rejoints, et celle de Jorge était un peu paniquée parce qu’elle le voyait affalé sur le bateau, pas bien. Il avait un peu le mal de mer et on n’avait pas dit non à quelques verres non plus. » Bosser fait découvrir à Jorge les pêcheurs de Saint-Jacques, Plougastel, le Finistère Sud, ils jouent aux dés, aux cartes, passent quasiment tous leurs week-ends ensemble, en famille, « taquinent parfois la boule de pétanque » , parlent en français, si bien que Jorge n’a jamais vraiment eu de problème avec la langue au sein du club et avait gagné rapidement la sympathie de ses collègues pour cet effort linguistique.

L’Argentin apporte surtout son professionnalisme à cette équipe bretonne très jeune. Pas nécessairement grand, mais sec, au visage émacié, Jorge dégage du « charisme » dixit Sorín, et montre toujours l’exemple dans l’engagement, bosse dur et prodigue ses conseils aux jeunes. « Il avait une éthique, une valeur morale, une éducation » , confirme Vincent Guérin. Lors de la 14e journée de D1, pour un déplacement à Cannes, c’est d’ailleurs pour encadrer les jeunes et enrayer une série de deux défaites consécutives (à Niort et contre Monaco à Francis-Le Blé) que Bernard Maligorne tente un coup : « J’avais placé Jorge au milieu de terrain, comme un libéro du milieu, pour soulager mes autres milieux. Un numéro 6 à l’ancienne quoi. »

Maligorne craint l’AS Cannes, une « belle équipe à l’époque » . Et Jorge répond plus que présent, peut-être inspiré par le nom du quartier cannois, la Bocca, où se situe le stade Pierre de Coubertin. Dès la 5e minute, Jorge suit bien une frappe de Guérin, repoussée par Morisseau, et envoie une sacoche dans le but vide avant que le gardien ne se relève. Sa célébration sent bon les années 1980, les deux bras en V, bien en l’air. Ce 7 octobre 1987, l’Argentin est heureux, car il vient de marquer son premier but en D1. Mais il rentrera en Bretagne avec une nouvelle défaite (2-1). « On n’avait pas été outrageusement dominés, mais Cannes était meilleur quand même » , concède Maligorne. Le Brest Armorique attendra la 18e journée pour goûter de nouveau à la victoire, contre Laval.

Cette saison brestoise n’est définitivement pas bonne. Du premier tiers de la saison jusqu’à la dernière journée, les Bretons ne quitteront jamais la zone de relégation. « La descente s’est jouée au dernier match contre le Racing, au Parc des Princes, se souvient Sorín. On avait affrété un train de Brest pour Paris. C’est ce match, pour moi, la plus grosse déception. » Malgré son apport de joueur chevronné, malgré des performances solides, régulières, malgré les sorties en mer ou les parties de pétanque, Jorge ne brillera pas suffisamment pour maintenir Brest en D1. « Ce serait généreux de dire qu’il avait fait une bonne saison, mais plutôt une saison intéressante, sans plus » , juge Maligorne. « On avait une belle équipe, mais on ne marquait pas assez » , analyse quant à lui Sorín.

C’est sans doute pour cette raison que le président Yvinec s’était lancé dans une folle escapade à l’automne 87 en Colombie pour ramener dans le Finistère via le Panama, le Venezuela et l’Espagne, le buteur international paraguayen Roberto Cabanas, arraché à l’América Cali, détenu alors par le cartel de la ville, des frères Rodríguez. Un Cabanas qui ne jouera finalement pas une minute de la saison, car bloqué par la FFF pour un trop grand nombre d’étrangers à Brest. La situation se décantera par l’exercice 1988-1989. Malgré trois années de contrat encore à honorer, Jorge Higuaín quitte le Finistère. « Je crois qu’il aurait aimé faire une année de plus chez nous, mais les dirigeants ne voulaient pas qu’il reste. Je ne sais pas trop pourquoi. Après, les dirigeants de l’époque, bon… C’était une période bizarre quand même… » , souffle une nouvelle fois Bernard Maligorne.

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