- Ligue 2
- J32
- Lens-Valenciennes
Jimmy Adjovi-Boco : « Quand on parle de mon pied gauche, tous les Lensois rigolent »
Droitier repositionné latéral gauche à son arrivée dans le Nord-Pas-de-Calais, Jimmy Adjovi-Boco était sang et or lors du retour en 1992 de Lens parmi l'élite du football français. Après six saisons aux côtés de Lama, Wallemme, Sikora, Meyrieu, Laigle ou Vairelles, l'ancien international béninois est resté très attaché à la famille lensoise. Alors que Bollaert accueille Valenciennes ce soir, celui à l'après-carrière ultra-remplie n'a pas pu échapper à l'entretien nostalgie.
Vous êtes né au Bénin, mais vous avez commencé votre carrière dans le Nord de la France. Plutôt en Picardie en fait. Je suis né à Cotonou au Bénin, mais j’ai grandi à Orry-la-Ville, un petit village à côté de Chantilly. J’ai commencé le foot dans le club où je faisais de l’athlétisme. Puis j’ai été remarqué par Chantilly, le gros club de jeunes de la région, qui avait une équipe en championnat de France cadets à l’époque.
Quelle équipe supportiez-vous ?J’aimais bien les Gunners d’Arsenal, mais sinon je ne supportais pas un club en particulier. Mais j’ai grandi avec les Verts, donc forcément, ils ont toujours représenté quelque chose de sympathique à mes yeux. Je ne supportais pas de club, mais j’aimais beaucoup regarder la Coupe d’Europe, notamment les Verts dans les années 1970.
Vous avez découvert la première division sur le tard en débarquant au Racing Club de Lens alors que vous aviez déjà 28 ans. Comment ça se fait ?Je n’ai pas fait de centre de formation, donc je n’étais pas prédestiné à devenir footballeur professionnel. J’ai fait des études dans l’aéronautique avant de travailler à Air France. Quand j’évoluais à Creil en D3, on jouait contre Amiens. L’entraîneur d’Amiens avait vu en moi des qualités et quand ils sont montés, j’ai signé là-bas. Mais j’avais déjà 22 ans. J’ai surtout fait une carrière grâce à mes qualités athlétiques et mon intelligence de jeu.
Quel souvenir gardez-vous de votre arrivée à Lens justement ?D’abord, pas forcément un grand souvenir, car mon premier match en professionnel s’est soldé par une expulsion au bout de douze minutes. Mais derrière, c’est six années exceptionnelles. Des années magnifiques avec un club extraordinaire, des supporters extraordinaires, des joueurs exceptionnels et une magnifique relation avec les dirigeants.
On parle toujours de ce triptyque supporters-joueurs-dirigeants qui est la base du club. C’était vraiment ça le Racing, même si on savait que les supporters, à Lens, c’est quand même quelque chose de très spécial.
Donc en arrivant, vous saviez que vous arriviez dans une ville où les difficultés économiques sont importantes et où les résultats du club sont importants pour les habitants ?Oui, on le voit rapidement. Et on comprend assez rapidement le rôle que le football joue dans cette ville et celui des joueurs auprès des supporters et la ville toute entière. On s’en rend compte. Ce qui est magnifique, c’est que c’est toujours à double sens. Quand on donne, encore davantage à ces supporters-là, ils nous le rendent au centuple.
Et à l’inverse, quand ça se passe mal sur le terrain, ils vous le rendent aussi…Oui, mais j’ai envie de dire que c’est normal. Ils sont prêts à donner énormément, mais quand en face les choses ne se passent pas bien, ils critiquent. Mais c’est normal. Pour moi, ça reste un des publics les plus passionnés, pacifiques et tolérants de France. Même si les choses ont peut-être un peu évolué depuis mon époque.
Est-ce qu’il y avait la même ferveur à Amiens ?Non, c’était différent. Déjà, il y avait beaucoup moins de supporters. On sent que le football n’avait pas la même place à Amiens qu’à Lens. Au Racing, on ressent le poids de l’histoire et des mines derrière le club de Lens.
1991. Premier match de D1 pour vous. Carton rouge après seize minutes de jeu. Comment fait-on fait pour se relever de ça ?C’est grâce à l’aide de mes coéquipiers, comme Bernard Lama qui venait d’arriver et qui était un ami. Mais grâce aussi à tous les autres joueurs qui ne m’en ont pas tenu rigueur. Après, j’ai aussi fait ce qu’il fallait le match qui a suivi, quand on est allé gagner à Nîmes et où j’avais dans mon couloir un joueur qui s’appelait Éric Cantona. On est allé gagner là-bas, j’ai fait une passe décisive sur le premier but avant le ciseau retourné de Jules Bocandé qui avait été un des buts de l’année. Après ça, je n’ai plus quitté le onze de l’année.
Comment en êtes-vous arrivé à jouer quasiment six saisons comme latéral gauche alors que vous étiez droitier ?J’avais fait un match de préparation contre Lille dans l’axe avec Jean-Guy Wallemme, j’avais été moyennement concluant. L’entraîneur de l’époque, Arnaud de Santos voulait faire monter Pierre Laigle au milieu de terrain.
Je n’avais jamais joué latéral gauche, mais il m’a dit : « On va essayer » . J’ai joué contre Auxerre une semaine avant le début du championnat, et l’ailier droit bourguignon, c’était Christophe Cocard, international français. J’ai dit au coach : « S’il faut que je démontre mes qualités et ma capacité à jouer en première division, allons-y. » J’ai fait un super match, alors que quand on parle de mon pied gauche, tous les Lensois rigolent. Mais bon, j’ai réussi à faire une carrière avec quelques passes décisives dont celle contre Marseille qui reste dans les mémoires.
Quand on voit ce but, on a l’impression de voir le débordement d’un vrai latéral gauche moderne qui se projette vers l’avant avec aisance. Je le faisais souvent. J’avais cette capacité à aller vers l’avant, car j’avais un gros volume de jeu et j’adorais prendre l’espace. La seule chose, c’est que je revenais souvent sur mon pied droit.
Mais après six saisons, vous étiez presque gaucher, non ? Disons que j’étais moins mauvais du pied gauche qu’en arrivant. (Rires.)
Vous quittez Lens la saison qui précède le titre de champion de France. Si on vous l’avait dit avant votre départ, vous l’auriez cru ? Non. On avait vécu une saison extrêmement difficile. Daniel Leclercq et Roger Lemerre avaient pris l’équipe en décembre ou en janvier, et on s’était sauvé de justesse. Quand tu te sauves de peu, t’imagines difficilement être champion l’année qui suit. Mais le recrutement était excellent, et Daniel a réussi à créer une équipe extraordinaire.
Ça reste un regret pour vous ?Non, j’étais heureux comme tout. Bien sûr que j’aurais préféré être dans l’équipe, mais j’étais heureux pour le club, heureux pour mes potes, pour Daniel et pour le club. Très franchement, même si je n’étais pas sur le papier, j’ai fait partie de ce titre quelque part. On a, pendant six ans, construit les conditions pour que le club remporte ce titre. J’ai fait partie des chevilles ouvrières. Je ne suis pas champion sur le papier, mais j’ai travaillé à la préparation de ce titre.
Vous avez côtoyé Gervais Martel tout au long de votre passage à Lens. Quel type de président était-il ? C’était un super président, un passionné. J’avais d’excellentes relations avec lui comme tous les joueurs qui l’ont connu. J’ai eu des moments où on n’était pas d’accord sur tout, mais c’est le propre d’un joueur et d’un dirigeant. J’ai toujours eu un profond respect pour ce qu’il est en tant qu’homme, et ce qu’il était en tant que président. Après mon départ, on est toujours resté en relation. On s’échange de temps en temps des SMS. Quand on a vécu six ans comme ceux-là et qu’on est proche de quelqu’un, ça ne s’oublie pas. Puis il y a d’autres personnes qui ont extrêmement compté, comme Serge Doré (ancien directeur général) avec qui je suis toujours en étroite relation.
À l’époque, vous affrontiez régulièrement le LOSC en D1, parfois même Valenciennes. Quels souvenirs vous gardez de ces derbys ? Les matchs contre le LOSC étaient des matchs plus tendus que les matchs contre Valenciennes. Je dirais que Valenciennes était un peu à l’image du RC Lens, et on avait une rivalité beaucoup plus acerbe avec Lille.
Si on résume rapidement, Valenciennes et Lens, c’est le combat des villes populaires contre la grande métropole Lille ? C’est ça. Mais j’ai toujours apprécié ce genre de rencontres et ce genre de rivalités. Je regrettais seulement quand ça allait trop loin. Ça n’allait jamais trop loin sur le terrain parce qu’on se connaissait, mais les matchs étaient âpres et engagés au-delà de la limite. Dans l’équipe,
on avait des joueurs comme Sikora, Laigle ou Wallemme, des Lensois de souche pour qui le derby contre Lille était le match de l’année. Ce n’était pas du tout pareil contre Valenciennes. Je dirais que Valenciennes c’était le petit frère. Sans que ce soit péjoratif.
Vous avez joué avec une pléiade de joueurs de qualité et de caractère : Warmuz, Gillot, Vairelles, Laigle, Meyrieu, Sikora. Lequel vous a le plus impressionné ? Je dirai Pierre Laigle, Frédéric Meyrieu et Éric Sikora. En matière de personnalité Fred Meyrieu, qui était un de mes meilleurs amis, et certainement un des pires caractères qu’on pouvait trouver. Mais c’était le défaut de ses qualités. Il avait horreur de perdre, mais quel joueur exceptionnel. En latéral que je suis, j’ai toujours été en admiration devant Sikora. C’est un joueur qui aurait pu jouer numéro 10, il n’a pas fait la carrière qu’il aurait dû, il avait tellement de talent. Je regrette qu’on ne lui ait pas vraiment laissé le temps de montrer ses capacités et ses qualités d’entraîneur au Racing.
Sikora n’était pas le seul. Plusieurs joueurs de l’époque n’ont pas eu la carrière qu’ils méritaient. Comme Pierre Laigle ou Tony Vairelles, deux joueurs pressentis pour jouer la Coupe du monde 98 et qui n’y sont finalement pas allés…Je suis d’accord. Pour Tony, je lui avais dit à l’époque que d’après moi, Lyon n’était pas un choix judicieux quand il a quitté Lens. Je suis sûr que dans un club anglais, il aurait été un des plus grands attaquants du championnat. Là-bas, on aime ce type de joueurs qui mouillent le maillot, marquent et partagent. Je pense qu’à Lyon, on aime un autre type de joueurs.
À l’heure actuelle, la remontée en L1 semble s’éloigner pour Lens, et les supporters se plaignent et s’impatientent. Comment analysez-vous la situation actuelle du club ? On sent une frustration latente, et elle s’exprime dans les tribunes. Je les comprends, ils savent que le club mérite d’être en Ligue 1, et il n’y est pas. Ceux qui en sont les premiers acteurs, ce sont les joueurs. Même s’ils ne sont pas forcément tous responsables de la situation actuelle du club, ce sont eux qui jouent, donc c’est vers eux que s’exprime la frustration de tous les supporters. Il faut bien avouer que depuis plusieurs années, le club, en dehors du terrain, vit aussi des moments compliqués.
Il faut avoir un regard froid sur la situation, et on peut dire qu’elle est compliquée. Car le club devrait être en L1.
D’autant plus que beaucoup de passionnés de football attendent le retour du club à l’échelon supérieur, ne serait-ce que pour la ferveur de Bollaert.Quand on voit les affluences à Bollaert, elles n’ont quasiment rien à envier à la quasi-totalité des affluences de première division à part Paris, Marseille, Lyon, Saint-Étienne, Strasbourg. On doit sans doute être dans le top 5. Au-delà de ça, il y a l’affluence, mais il y a aussi l’ambiance qui règne dans le stade. C’est un stade, un club, et des supporters de Ligue 1. Le seul problème, c’est que pour l’instant, sur le terrain, on n’y est pas.
Après votre retraite, avez-vous participé à la vie du club comme d’autres anciens du Racing ?Non, pas à la vie du club. À la fin de ma carrière, j’ai mis en place Diambars et je me suis consacré essentiellement au développement de cette structure. Mais quand on a passé six années comme celles-ci, on fait partie de la famille. Je suis encore très proche des joueurs qui sont autour du club.
Quel était le but initial du projet Diambars que vous avez créé avec Patrick Vieira et Bernard Lama ?L’objectif, c’était de créer une structure aux jeunes en Afrique. Une structure qui leur permette d’avoir la même qualité de formation qu’on trouverait en Europe. C’est une réussite puisqu’on a une vingtaine de joueurs qui évoluent dans différents championnats européens, dont Idrissa Gueye ou le petit Lebo Mothiba. On a aussi des réussites extra-sportives comme un jeune talibé* sénégalais qui ne savait ni lire ni écrire, et qui est aujourd’hui dans une école d’ingénieur informatique à Lille. Notre but, c’est que le foot passion soit moteur d’éducation et d’instruction.
Vous avez aussi créé un garage participatif à Compiègne avec votre frère. Vous étiez un féru d’automobile pendant votre carrière ? Pas vraiment, mais on a trouvé que l’automobile avait la même possibilité que le foot. Comme le foot, le garage est un outil de mixité sociale. Le samedi après-midi, on a des jeunes des quartiers comme des gens qui ont des véhicules de collection. Ils se retrouvent à s’entraider pour réparer une voiture, alors que ce sont des rencontres improbables.
Ces projets sociaux et solidaires sont un héritage de vos six années passées à Lens ?Je ne dirais pas ça. Ça me vient surtout de ma mère qui était assistante sociale. En revanche, si je me suis aussi bien retrouvé à Lens, c’est justement parce que j’ai trouvé là-bas les valeurs que mes parents m’avaient inculquées. J’étais vraiment en symbiose avec les gens du Nord. On parle tout le temps de l’héritage des mines, mais c’est vraiment ça. Les gens nous disent tout le temps que, quand tu descendais à la mine, tu avais une équipe et on n’en laissait jamais un. Ce sont des valeurs dont on a vraiment besoin dans la société.
*Un talibé est un garçon (âgé de 5 à 15 ans) issu d’une famille pauvre et confié par elle à un maître coranique qui va se charger de son éducation religieuse.
Propos recueillis par Maxime Renaudet