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Jean-Pierre Papin, PAP 1
Il y a bientôt un quart de siècle, les Guignols de l'info créait le double latex de Jean-Pierre Papin. Un individu naïf, amateur de boisson chocolatée, de films de kung fu et qui ne pensait qu'à mettre des patates sous la barre. Un monument de l'humour français qui a fait du Ballon d'or 1991 le premier footballeur ultra-médiatisé.
« Avec le recul, je les remercie. Sans les Guignols, je pense que je n’aurais pas eu la popularité que j’ai eue.(…)J’ai vu des gens pleurer pour avoir leur marionnette aux Guignols. Là, je me suis dit que j’étais un privilégié. » Plus jeune pourtant, il avait envie d’en pleurer. Mais en 2013, au moment où il répond à L’Équipe, Jean-Pierre Papin a bien conscience d’avoir été, grâce à sa marionnette sur Canal Plus, le premier footballeur ultra-médiatisé. « À l’époque de Saint-Étienne, ou même quand la France se qualifie pour le Mondial 1978 et que Michel Hidalgo, au journal de 20h, dit qu’il faut saluer la bande de jeunes hommes qui a réussi l’exploit, les footballeurs sont totalement différents de ce que l’on connaît aujourd’hui » , analyse Jean-François Halin, auteur pour les Guignols de l’info avec Bruno Gaccio et Benoît Delépine de 1988 à 1996. « Quand nous, on commence à s’intéresser au football pour les Guignols, les joueurs pros sont des types normaux, pour certains innocents, qui ont une médiatisation quasi nulle. En choisissant de caricaturer Papin, on crée un premier poids lourd médiatique dans le foot. »
La version latex du buteur des Bleus voit le jour juste avant l’Euro 1992 en Suède, en même temps que celle de Michel Platini, « mais lui n’était déjà plus un joueur » . Avant l’ouverture du tournoi face à la Suède, les trois auteurs offrent une séquence où le sélectionneur tente d’expliquer son schéma à ses joueurs. En face, à la tête d’un groupe de footeux, la marionnette JPP se contente de répéter « ben pourquoi ? » à chaque phrase. Si bien que Platini simplifie son discours jusqu’à se voir contraint d’expliquer comment un spermatozoïde pénètre dans l’ovule. Son avant-centre pointe du doigt le paperboard et dit « ballon, ballon » . « Au départ, on avait fait de la marionnette de Jean-Pierre Papin un personnage très basique qui courait derrière un ballon et qui ne savait dire que cela, « ballon, ballon, ballon… » C’est après qu’on est allé dans la personnalisation plus poussée. » Avec un Papin qui épelle son nom « PAP1 » , dit « camembert » quand il veut couper la parole, se mate des films de kung fu et boit du Cacolac. Une mise en scène qui ne plaît pas à l’intéressé, qui ne se reconnaît pas dans son double, et estime qu’on le fait passer « pour un con » .
Papin-Cantona, duo en latex
« Je pense que cela ne vient pas forcément de l’émission directement, mais de ce que d’autres personnes, notamment dans le vestiaire, ont pu dire » , se défend Halin. D’autant qu’une autre personnalité footballistique apparaît sous un visage bien plus valorisant : Éric Cantona. « J’aimais beaucoup sa personnalité, et donc je voulais, on voulait, l’avoir dans les Guignols. Cela n’a pas été facile de convaincre notre direction de l’intégrer, mais on l’a fait, notamment avec l’idée de le rendre complémentaire de Papin. » À ce dernier le rôle du naïf, voire de l’ignare, à Canto le rôle du rebelle, de l’artiste, de l’intellectuel. Que la marionnette de JPP appelle « Picasso » et traite comme un mentor, et qui peut se permettre d’imposer ses règles à PPDA pendant le show. « C’était un peu l’exemple du mec qui n’est pas écrasé par le système, mais qui, au contraire, peut lui dire merde, car le système a plus besoin de lui que lui du système. » Illustration de la différence de traitement, le sketch « Scholl Air Papin » . L’avatar de Cantona évoque toutes ses frasques : « J’ai craché sur un supporter, j’ai jeté le ballon sur l’arbitre, j’ai traité mon entraîneur de sac à merde, aux gens qui m’ont jugé, j’ai dit « Vous n’êtes qu’une bande d’idiots. » À un moment, j’ai cru que j’aurais du mal à trouver un sponsor… » Suivi du slogan Nike Air, Just do it.
Pour Papin, le même schéma, mais en version lose avec des sandales « Scholl Air Papin » pour sponsor… Et le slogan « Juste fais-le » . « Autant Cantona, c’était vraiment une caricature du personnage qu’il était sur le plan médiatique, autant la marionnette de Papin n’était pas une caricature de Papin, mais du football dans son ensemble » , décrypte Halin 20 ans après. Ce qui peut expliquer que l’intéressé ne se reconnaissait pas dans son double. « Mais bon, on l’a vu plusieurs fois quand il a été invité à Nulle Part Ailleurs et cela s’est toujours bien passé » , assure l’auteur, qui a quitté l’émission en juin 1996. D’autant que Papin, s’il n’a pas été mis en valeur par sa version latex, n’est pas le plus à plaindre. Bernardette Chirac, dépeinte comme une accro aux sacs à main, a fait l’objet d’un sketch où elle regarde le télé achat de Pierre Bellemare, et finit par se « masturber » le sac à main. « Je me souviens de cette séquence, c’est clair qu’à côté de ça, Papin c’était assez soft. »
Reviens, JPP reviens
Surtout, la marionnette de l’attaquant de l’équipe de France alimente alors le programme dans sa période la plus faste, au début des années 90. « On était tous les trois très inspirés, on y arrivait bien ensemble, et donc tout suivait. » Et pour les mises en scène de PAP1, le grand public retient quelques séquences cultes, entre les « affreux, affreux, affreux » , « camenbert les tracteurs » ou les « patates en lucarne » que débite le JPP en latex. Finalement souvent mis en valeur pour son savoir-faire via le surnom de « Patator » , ou des séquences qui soulignent sa productivité, notamment après un Azerbaïdjan-France où il revient en équipe de France et ouvre le score à la 30e minute. « Allô ? Patate en 30 minutes, à votre écoute ? »
Même lorsqu’il est moins bien, sous le maillot du Bayern Munich, la séquence phare de NPA défend sa marionnette lorsqu’il marque un but d’anthologie contre Uerdingen. « Je ne fais plus de patates industrielles, maintenant je fais dans l’artisanal, cela demande plus de temps. » Car la vérité, c’est que Jean-Pierre Papin a peut-être pleuré sur le faible QI de son double cathodique, les auteurs des Guignols l’avaient visiblement à la bonne. Alors qu’il est à l’AC Milan et peine à s’imposer, une chanson intitulée « Reviens, JPP reviens » fait un carton dans l’émission. Et 20 ans plus tard, même s’il ne s’agit que de quelques euros par an, les droits SACEM continuent de tomber. Depuis 1992, beaucoup se sont succédé, de Luis Fernandez à Zlatan Ibrahimović en passant par Zinédine Zidane ou Laurent Blanc. Mais dans son registre et sa portée, Jean-Pierre Papin restera à jamais le premier des caricaturés.
Nicolas Jucha
Propos de Jean-François Halin recueillis par Nicolas Jucha