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Jardim-Dier, chronique d’une perfection
Boulon indispensable du Tottenham de Pochettino, figure de l'avenir d'un pays qui se réinvente avec lui, Eric Dier s'est pourtant construit loin de l'Angleterre. Finalement, son jeu n'a plus grand-chose d'anglais et il faut filer à la source pour comprendre. Récit de l'éducation d'un poumon, entre le Sporting, le regard du professeur Jesualdo Ferreira et, aussi, un certain Leonardo Jardim.
Leonardo Jardim a toujours rêvé de porter le costume. L’histoire raconte que tout a débuté comme ça, un jour, dans le salon familial, aux côtés de sa mère : « Nous regardions un match du Sporting, entraîné par Carlos Queiroz, et je me suis tourné vers ma mère en lui disant : « Tu verras, moi aussi, je vais entraîner le Sporting. » » Joueur, Jardim était ce qu’il appelle un joueur d’équipe, un combatif, un axial, là où « les artistes du ballon deviennent rarement de grands entraîneurs » . Alors, il a étudié et a taillé sa réputation avant d’accomplir sa promesse le 20 mai 2013. Ce qu’il récupère est dans un sale état sportif – le Sporting vient de boucler la pire saison de son histoire (7e) –, mais a des bases certaines.
Des bases qui épousent la philosophie Jardim, le « nous » avant le « moi » , un ballon omniprésent lors des séances d’entraînement et surtout une confiance certaine dans la jeunesse. Le premier jour, l’homme a alors parlé de « stabilité » avant d’évoquer sa volonté de « restructurer » le club avec un « gros travail » et une unité des Sportinguistas. Au bout d’une saison, Leonardo Jardim a replacé le Sporting à sa place, l’a qualifié pour la Ligue des champions – une première depuis cinq ans – et a filé avec ses idées à Monaco pour le résultat que l’on connaît aujourd’hui. L’héritage, lui, est resté et peut se retrouver un peu partout en Europe. Il porte des noms : William Carvalho, Adrien Silva, Rui Patrício, Cédric Soares, Islam Slimani, mais aussi Eric Dier. Un homme qu’il s’apprête à retrouver ce soir, lui sur le banc de l’AS Monaco, le produit au cœur de la machine Tottenham de Mauricio Pochettino.
L’école de la vie
L’histoire d’Eric Dier est singulière et est aujourd’hui connue depuis que l’homme, revenu en Angleterre en août 2014, a bousculé les codes pour s’imposer au cœur de la nouvelle génération du Royaume. Sauf qu’il est différent par sa formation, ce qu’il appelle une « culture de l’effort et du travail » fabriquée au Portugal, où ses parents avaient déménagé au début des années 2000. Dier y est devenu un mélange des cultures footballistiques, à Faro d’abord, puis à Lisbonne où sa mère avait trouvé un emploi dans l’organisation de l’Euro 2004. C’est surtout le récit d’un gosse plus doué que les autres et qui a rapidement intégré « l’école de la vie » : le Sporting.
« Avant tout, on nous enseignait à devenir des personnes polies et respectueuses des autres. Un entraîneur ne vous engueulera pas si vous ratez une passe, mais seulement si vous manquez de respect à un adversaire. L’essentiel du travail était basé sur l’analyse. Pour eux, un bon joueur était avant tout quelqu’un qui savait analyser ses erreurs pour ne plus les commettre. Un mauvais joueur est celui qui la fera deux fois » , détaillait-il dans un entretien au Guardian il y a quelques années. Loin de l’éducation physique à l’anglaise. Joueur du Sporting entre juillet 2012 et janvier 2013, le milieu du Stade rennais Gelson Fernandes se souvient d’un « garçon intelligent, sérieux et ambitieux. Dès son premier match, où il avait été aligné en tant que latéral, on avait senti son potentiel. Et comme il avait la tête sur les épaules… »
« Pour moi, ce n’est pas une surprise »
Comme il avait la tête sur les épaules, Eric Dier a explosé au cœur de la classe biberon du Sporting. Au point que son ancien entraîneur, la référence Jesualdo Ferreira, parlera rapidement de lui comme d’une « pépite » . Ferreira : « Quand je suis arrivé au Sporting, Eric était, parmi tous les jeunes joueurs du Sporting, celui qui avait le plus gros potentiel, le seul qui avait le plus de talent pour devenir un super joueur. Il pouvait jouer à plusieurs positions. Eric n’est pas un joueur anglais typique. Il se comportait comme un jeune, mais, sur le terrain, il était déjà adulte, alors j’ai parié sur lui dans cette position de milieu défensif contre le FC Porto. »
Le 2 mars 2013, pour un 0-0 au cours duquel le Portugal a découvert ce gosse surprenant et polyvalent. C’est comme ça que l’a récupéré en fin de saison Leonardo Jardim pour l’utiliser ensuite avec prudence sous son mandat (treize apparitions), mais pour, surtout, le consolider. Il expliquait avant le Tottenham-Monaco (1-2) du 14 septembre dernier que Jardim était « un super coach qui avait été essentiel dans son développement » . Ce à quoi l’entraîneur portugais lui a répondu : « Il a travaillé son style de jeu avec moi. Il jouait à deux positions : au milieu et en défense centrale. Ce n’est pas une surprise pour moi de le voir à ce niveau. » Simplement la continuité logique d’un talent précoce, élevé dans la différence. Pour enfiler le costume qui est le sien aujourd’hui. Celui d’indéboulonnable, à seulement vingt-deux ans.
Par Maxime Brigand
Propos de Gelson Fernandes recueillis par MB, ceux de Jardim tirés du SO FOOT n°132 et ceux de Ferreira tirés d'ESPN.