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Jacques Faty : « La France n’est pas le centre du monde »

Propos recueillis par Régis Delanoë
8 minutes
Jacques Faty : « La France n’est pas le centre du monde »

Après la Turquie et la Chine, Jacques Faty vient de poser ses valises en Australie, où il joue pour Sydney FC, l'ancien club de Del Piero. Le Franco-Sénégalais pose un regard lucide tout en carpe diem sur ses onze années dans le monde du football pro, où mener une carrière n'a rien d'un long fleuve tranquille.

Quelles sont tes premières impressions, quelques semaines après ton arrivée en Australie ?

Je suis agréablement surpris de mes débuts ici. On m’avait toujours dit du bien de la ville de Sydney, mais tant que tu n’y es pas, tu peux pas vraiment savoir. Et là… Franchement, je suis surpris, dans le bon sens du terme. C’est beau, il fait chaud, les gens sont accueillants… Clairement, ça répond à mes attentes au niveau du cadre de vie. Pour ce qui est du football, l’Australie a encore quelques années de retard sur l’Europe, voire beaucoup d’années même, mais ça se développe bien, c’est structuré, professionnel, ça peut progresser. Les gens ici font tout pour, en tout cas.

Comment as-tu débarqué dans cette A-League ? T’avais d’autres propositions ?

J’étais encore sous contrat avec mon précédent club en Chine pour un an et demi, donc j’avais la sécurité, mais j’ai considéré que j’avais fait le tour là-bas et qu’il était temps pour moi de partir. J’ai eu des offres d’autres clubs chinois, des États-Unis aussi, quand est arrivée cette proposition de Sydney. Quand j’en ai parlé à mon meilleur ami, Jonathan Bru, qui a évolué au Melbourne Victory, il m’a dit de foncer, d’autant plus que Sydney FC est un des meilleurs clubs du pays. Et en plus de ça, le club a aussi fait venir mon cousin Mickaël Tavares, ça m’a motivé !

Sydney FC, c’est l’ancienne équipe d’Alessandro Del Piero…

Oui, en fait ici, en Australie, chaque club est bloqué par un salary cap, mais a la possibilité de rémunérer deux joueurs en dehors de ce système, et Sydney, qui est un des clubs les plus riches, l’a utilisé pour faire signer Del Piero, qui a été remplacé depuis son départ par Marc Janko. C’est un Autrichien, très bon joueur. Actuellement, on est en cinquième position du championnat, mais on aspire à monter plus haut d’ici la fin de saison et jouer les play-offs en avril.

Quelle est la popularité du football en Australie ?

C’est très différent de ce qu’on peut connaître en Europe. Ici, c’est encore assez mineur, ça passe derrière des sports comme le rugby et le cricket. Mais attention, c’est pas forcément figé. De plus en plus de jeunes s’y mettent et délaissent des sports plus historiques comme le rugby.

En termes d’affluence dans les stades du coup, ça donne quoi ?

C’est pas la folie. Pour te dire, le week-end dernier, on a joué contre Melbourne Victory et, normalement, c’est un gros choc ici, un peu l’équivalent de PSG/Marseille. On était à domicile, dans notre stade qui fait presque 50 000 places et il y avait un petit 20 000 spectateurs… En revanche, ça devrait être plein pour le derby contre l’autre club de Sydney, les Wanderers, qui a lieu bientôt.

T’es parti pour passer un peu de temps en Australie alors, du coup ?

Le projet est intéressant, les premières impressions très bonnes, donc pourquoi pas ? Pour l’instant, j’ai un contrat jusque la fin de saison, mais si le coach le veut, je me vois bien continuer l’aventure ici. Je suis pas encore pressé de choisir, mais de ce que je vois, c’est un bon petit niveau qui me plaît bien, ça joue bien au ballon, je reprends du plaisir.

Gaffe quand même, j’ai vu que t’avais pris un rouge pour un de tes premiers matchs…

Grave ! Un rouge bête en plus, j’ai répondu à l’agression d’un joueur adverse, dont j’ai su plus tard qu’il avait la réputation de foutre pas mal le bordel. L’arbitre a sorti deux rouges, le jaune aurait pu suffire, mais bon, c’est comme ça… J’ai pris qu’un match, donc ça va.

Et donc t’as quitté la Chine sans regret ?

Disons que j’avais fait le tour. Bien sûr qu’ici, j’y perds financièrement, mais au moins, je retrouve un football plus engagé et surtout plus pro, plus proche de ce qu’on peut connaître en Europe.

C’est le bordel à ce point en Chine ?

Ah mais niveau organisation, franchement… Si t’es pas dans les trois gros clubs du pays, à Guangzhou, Shandong ou Shanghai, tu galères. Les Chinois ont encore beaucoup à apprendre. Ils ont de l’argent, mais ils ne savent pas l’utiliser. Ils devraient investir dans les structures, le médical, tout ça. Mais ils ont du mal à comprendre combien c’est important. Tant qu’ils ne le comprennent pas, ce sera dur pour eux de faire progresser le niveau de leur football.

Faut dire que t’as évolué à Wuhan Zall, en D2 chinoise…

Oui, mais si t’es pas dans les trois ou quatre gros clubs qui dominent là-bas, t’es à la même enseigne, que tu joues en D1 ou en D2.

T’es arrivé en Chine en 2013. T’avais dans l’idée d’y rester plus longtemps à la base ?

J’avais signé trois ans, j’ai fait un an et demi. J’aurais pu faire de meilleurs choix dans ma carrière, mais je ne regrette pas. La Chine, c’est une découverte, et puis on sait très bien pourquoi on y va, on ne va pas se mentir… C’est la première puissance mondiale désormais, c’est bien d’avoir vécu ça, même si dans la vie, tout ne tourne pas qu’autour de l’argent et que j’ai fait le bon choix de partir après un an et demi. Je n’ai pas non plus envie de faire comme Hoarau, qui a dit que signer en Chine avait été la plus grande erreur de sa carrière. Parce que bon, il a pris quelques bons petits millions quand même… Faut pas cracher dans la soupe, tout en étant conscient que partir là-bas, c’est accepter que ton niveau régresse.

Vraiment ?

Ben regarde Hoarau, en Chine, il jouait à peine. Il revient en France et débarque à Bordeaux, il a galéré… C’est aussi pour ça que l’Australie c’est bien, c’est un bon intermédiaire pour retrouver du niveau et un cadre plus pro.

La Chine n’était pas ta première expérience à l’étranger. Avant, t’as goûté aussi à la Turquie avec le club de Sivasspor. Bon souvenir ?

Oui, même si là encore, j’ai fait un an et demi alors que j’avais signé trois ans. Je voulais vraiment m’inscrire dans la durée pourtant, toucher des gros clubs turcs, mais j’ai été freiné dans ma progression par deux choses. En 2012, je pars à la CAN avec le Sénégal, et pendant mon absence, un concurrent enchaîne les bonnes performances, ce qui m’a coûté ma place. Et en plus, l’entraîneur ne comptait pas trop sur moi, il ne m’a pas soutenu. C’était difficile d’exister…

Quitter la France, c’était un choix ?

Oui, après Sochaux j’ai vraiment eu envie de partir tenter d’autres choses. La Turquie m’attirait, j’en ai notamment parlé à Issiar Dia qui m’en a dit du bien. J’avais envie de m’y inscrire sur la durée, mais ça n’a pas été possible. C’est la vie.

Se servir de sa carrière de footballeur pour voir du pays, c’est ça l’idée ?

Voilà, c’est comme ça que je vois les choses. Dans le football pro, si t’arrives pas à atteindre le très haut niveau, à un moment faut savoir revoir ses ambitions à la baisse et essayer d’en profiter quand même un maximum, voyager, découvrir d’autres civilisations, d’autres cultures… La France n’est pas le centre du monde, même si c’est un beau et bon pays. C’est juste que c’est bien aussi de voir ailleurs comment les gens vivent, ça te fait mûrir. Je vadrouille, je joue au ballon… Là, tu vois, je suis à Sidney où il fait beau, où les gens sont charmants… C’est du plaisir, faut profiter de tout ça.

En regardant plus loin dans le rétro, t’as eu une première moitié de carrière passée en France à Rennes, Marseille, Sochaux et Bastia. Tes meilleurs souvenirs ?

Quand je fais le point, là comme ça, je dirais mes années rennaises. J’étais jeune et je n’en avais pas conscience à l’époque, mais rétrospectivement, on avait un impact, une aura… Je jouais bien, j’avais la confiance du coach (notamment trois saisons pleines entre 2003 et 2006 sous László Bölöni, ndlr). C’est très important d’avoir la confiance d’un coach, ça peut même faire la différence sur une carrière. Tu peux te sentir super bien, si ton coach ne le sent pas, tu ne joues pas et c’est mort !

T’as d’ailleurs moins joué après lors de ton unique saison à Marseille en 2007/2008…

Là, j’ai touché le très haut niveau, la Ligue des champions, les sollicitations médiatiques… C’est l’OM quoi. La concurrence était forte, t’avais notamment Hilton en défense qui jouait tout le temps. Mais Gerets a toujours été réglo avec moi, je savais que je ne faisais pas partie des priorités. Sur le banc à l’époque, t’avais aussi André Ayew, et quand tu vois le joueur que c’est devenu aujourd’hui…

Du coup, tu regrettes d’avoir fait preuve d’impatience ?

Avec le recul, je me dis que j’aurais pu me montrer plus patient, oui. Mais j’étais jeune et je le répète, j’ai besoin de la confiance d’un coach. Quand Francis Gillot me propose Sochaux avec une place de titulaire, forcément j’y vais. Et je n’ai pas eu à le regretter. On fait deux saisons un peu galères à chercher le maintien avant une belle troisième en terminant européen, avec Boudebouz, Martin… On est partis par la grande porte.

Et Bastia ?

Six bons mois en prêt là-bas, de très bons souvenirs aussi de la Corse. Les dirigeants voulaient me garder, mais ils avaient un dossier prioritaire, c’était de prolonger Landreau d’abord. C’est là que l’offre chinoise est arrivée, et je pouvais pas la refuser…

Quel bilan tu dresses de ta carrière ?

J’en suis à onze saisons en pro et j’ai encore la pêche et les jambes, ce qui est une première satisfaction. Je peux jouer encore cinq ou six ans. Dans le foot, j’avais deux objectifs : passer chez les pros, ce que j’ai réussi, et jouer dans les plus gros clubs européens. J’en avais la capacité, mais je n’ai pas réussi, en partie à cause de mes choix. J’assume… Année après année, mes choix ont fait que je me suis éloigné de ce second objectif, qui a fini par devenir inaccessible. C’est comme ça.
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Propos recueillis par Régis Delanoë

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