- Pays de Galles
- Cardiff City FC
Idriss Saadi : « Faut pas tomber en panne d’essuie-glaces ici ! »
Excellent la saison dernière avec Clermont en Ligue 2, Idriss Saadi évolue désormais en Championship avec Cardiff. Revenu en forme après plusieurs mois de blessure, l’attaquant franco-algérien nous explique comment il a vécu ses premiers pas au pays de Galles. Entre surfeurs, chips et les yaourts Mamie Nova !
Idriss, déjà, première question, elle est simple. Comment ça va ?Tout rentre dans l’ordre. Je n’ai jamais eu de soucis supplémentaires avec mon genou opéré il y a un an. Ça n’a jamais été une histoire de genou en fait. Quand je suis arrivé à Cardiff, la visite médicale a été plus poussée qu’en France. J’ai fait énormément de tests. Ça faisait 7-8 mois depuis ma grosse blessure, donc c’était normal d’avoir encore des déficits musculaires légers. Pour les dirigeants, il était important de ne pas prendre de risques, ils ne voulaient pas que je rechute.
Tu as évoqué une visite médicale « plus poussée » . Tu peux nous expliquer ? En fait, les dirigeants m’ont refait un programme individuel pour éviter que je me reblesse. Ils m’ont dit que tout était ok, qu’au niveau cardiaque, du sang, il n’y avait rien, mais, en revanche, ils n’aimaient pas qu’il y ait un déficit. Et avant de me faire jouer, ils voulaient me préparer pendant six semaines musculairement et athlétiquement, même si j’avais déjà refait des matchs avec Clermont. Les six semaines se sont très bien déroulées, car je n’avais pas de problème physique. Ils m’ont surtout fait bosser le physique au niveau des jambes, ce que je n’avais jamais trop fait, car j’ai des grosses cuisses naturellement, on va dire ça comme ça. Eux font vraiment de la musculation des jambes.
Et donc que s’est-il passé puisque tu n’as pas beaucoup joué avec Cardiff ?J’en étais à ma troisième prépa en huit mois, donc j’avais une petite fatigue. Ils m’ont alors fait faire un test au biodex, sur la machine, pour voir si je n’avais pas de déficit quadriceps-ischio-jambiers. Ça, c’était bon. Ça s’est déroulé le vendredi après-midi, et le samedi matin, ils ont voulu me faire faire un test de sprints pour savoir si j’étais bien. Je leur ai dit que j’étais fatigué, mais ils pensaient que ça allait tenir. Et ça a lâché. Je me suis fait une déchirure d’un centimètre au niveau du tendon de l’ischio-jambier. C’était trois semaines, un mois, pas grand-chose. Et en fait, je suis revenu au bout de trois semaines et c’est là que j’ai effectué ma première entrée. Et avec l’adrénaline et tout, j’y suis allé et j’ai fait une rechute. Je n’étais pourtant entré en jeu que pour les 15 dernières minutes. Ça n’a pas tenu, ça a redéchiré au même endroit et en plus grave. Ça a mis 10 semaines depuis le 7 novembre.
Du coup, tu es en train de revenir petit à petit. Tu as notamment marqué avec la réserve.Je n’ai disputé que 45 minutes par rapport au terrain, très boueux. Le préparateur physique n’a pas voulu que je fasse plus, car ça pouvait être dangereux et que ça ne servait à rien de prendre des risques. Au final, ça s’est bien passé. Pour le terrain, on m’avait prévenu, car il avait beaucoup plu avant. D’habitude, les réserves évoluent dans les stades des pros, mais là, la pelouse venait d’être changée, donc on a joué sur un terrain de la mairie, à côté, qui n’appartenait pas au club. Donc c’était catastrophique, mais on le savait. Faut pas se trouver d’excuses, mais le terrain, ce n’était pas l’idéal pour jouer au football.
Et ta vie au pays de Galles, elle est comment ?Elle se passe plutôt bien. C’est simplement un autre mode de vie. C’est différent, car il pleut tous les jours. C’est hallucinant. Je n’ai jamais vu ça. Si c’était la même chose en France, je pense qu’on aurait des inondations beaucoup plus souvent. Mais, je ne sais pas, ici, la terre doit mieux absorber qu’en France. C’est clair et net qu’il ne faut pas tomber en panne d’essuie-glaces. Il ne fait pas aussi froid qu’en France en revanche. Je n’ai pas connu les moments où il neige, où ça gèle. De toute façon, on m’a prévenu que c’était entre 0 et 25 degrés, les températures. C’est ni trop froid ni trop chaud. C’est température ambiante toute l’année. Le truc, c’est que tu n’as que juillet-août où tu n’es pas trempé. Le reste de l’année, t’es mouillé.
La bouffe, tu t’y es fait ?Au niveau de la nourriture, on ne trouve pas non plus les mêmes choses qu’en France. Ce n’est pas le même régime alimentaire. Tout ce qui est produit laitier déjà. Ici, le fromage principal, c’est le cheddar et après trouver de l’emmental pour du gruyère, y’en a pas. Si t’en as un dans un magasin, c’est exceptionnel et il sera archi-cher car ce n’est pas un produit local. Les petits pois, ce sont des gros petits pois ici. Leurs yaourts à eux, c’est spécial en fait. Y a Bonne Maman, mais y a pas Mamie Nova ni Danone. En fait, il n’y a pas les marques qu’on a l’habitude de voir. Il n’y a pas d’Ice-Tea, Oasis et pas vraiment de boissons non-gazeuses.
As-tu fait des découvertes culinaires ?La vérité, je suis resté dans mes standards. J’ai pas cherché à découvrir la nourriture locale. Ma femme cuisine bien, donc on a tout adapté. L’avantage aussi, c’est qu’on peut manger au club et que les cuistots font bien à manger. Pratiquement tous les midis, on mange là-bas. Je peux avoir à peu près ce que je connais, des pommes de terre, des pâtes.
Là-bas, tu as dû te mettre à la conduite à gauche également ?Les deux premières semaines, ça faisait bizarre, car je ne conduisais pas. J’étais passager et j’avais l’impression qu’on allait faire des face-à-face tout le temps. Mes yeux partaient à l’opposé de là où il fallait aller. J’étais inversé. Ça faisait drôle. Aujourd’hui, avec ma voiture française, ici, ça va. C’est une histoire d’habitudes. C’est vrai que j’ai acheté une voiture avec le volant à droite et ça a été difficile. Franchement, tous les repères sont perdus. On ne sait même pas comment regarder dans le rétro. Les choses simples dont on a l’habitude deviennent difficiles. Passer les vitesses, c’est main gauche. Il a vraiment fallu s’adapter et faire attention au début. Aujourd’hui, droite-gauche, y a plus de problème. Franchement, je ne vais pas me lancer des fleurs, mais niveau conduite, ça va. Je m’adapte vite.
C’est la même chose pour ta famille, elle s’est vite adaptée ?Ils ne se plaignent pas trop. C’est plus difficile pour eux, car ils ne sont pas là dans un but précis. Faut retrouver des habitudes. Au niveau des activités, vu qu’il pleut beaucoup, c’est plus difficile d’en faire. Au niveau de la langue, moi, ça va, mais ma femme est en train d’apprendre. Ce n’est pas facile. On ne connaît pas tout le vocabulaire. L’adaptation n’est pas simple, mais ils s’y font. Après, ils rentrent régulièrement en France, tous les deux mois pour voir la famille. Ça les dépayse moins comme ça.
Un des buts d’Idriss, à Clermont (à 1 min 44)
Est-ce qu’il y a des Français qui t’ont aidé au début pour t’intégrer ?L’intendant du club parle français, c’est un avantage. Il s’appelle Callum Davies. Il a étudié en France pendant un an. Il était à Montpellier l’année où le club a été champion de France. Il parle très, très bien. Au club, je parlais beaucoup plus avec Gaby (Gabriel Tamas est parti depuis au Steaua Bucarest, ndlr) qu’avec Bruno (Ecuele Manga), car il est plus réservé et timide. Après, chez les jeunes, il y a un Belge, capitaine de la sélection U18, Marco Weymans, et un Français aussi, Jordan Blaise, passé par Bordeaux. Après, j’ai pas peur de parler anglais et de me tromper. Vu que j’ai souvent été tout seul avec les kinés et que j’ai travaillé en marge du groupe, je me suis vite adapté et j’ai pu rapidement parler anglais.
Il paraît que la mer n’est pas loin de chez toi…J’habite en face, à Ogmore-by-Sea. C’est à 100 mètres de chez moi. Il y a du vent très souvent, la pluie qui va avec et de très grosses vagues. Mais ici, ça ne les dérange pas, ils doivent avoir l’habitude. Il y a beaucoup de surfeurs. Vu qu’il y a des grosses vagues, ils en profitent.
Comment tu juges la ville de Cardiff ?Elle est vraiment bien. C’est récent. Il y a le même type de magasins qu’en France. Il y a H&M, Zara, Primark, les magasins qu’on connaît quoi. Vu que ce sont des grandes enseignes, ça ne change pas de la France. Ce qui change beaucoup, c’est la manière dont ils font leurs courses. En France, on a l’habitude de faire un gros plein de courses et d’y retourner dix jours après. Ici, les caddies sont petits. Les gens, je crois, font leur course à la semaine ou au jour le jour. Au niveau de l’organisation des rayons, ce n’est pas pareil non plus. Au début, on est surpris. Par exemple, il y a des rayons entiers de chips et de sodas. Il y en a de toutes les sortes, c’est un truc de fou. Avec ma femme, on était choqués. Il y avait deux rayons remplis, mais remplis ! C’est pas la moitié cacahuètes, la moitié chips ou apéritifs. C’est que chips ! Ici, au restaurant, tu peux demander un menu avec des chips, comme si c’était des frites. Sinon, il y a des pommes de terre sautées ou de la salade. Mais les chips, ça fait partie du choix dans le menu. Je n’en raffole pas plus que ça, mais c’est impressionnant. C’est ce que tu vois en premier quand tu entres dans les magasins, donc tu te dis qu’il y a un souci (rires).
Revenons au football, les infrastructures, elles sont comment ?C’est incroyable (il répète plusieurs fois). Par exemple, si on doit comparer la Ligue 2 et le Championship, il y a des années-lumière qui séparent les deux. C’est impressionnant. En France, on en parle souvent en disant que l’Angleterre, c’est mieux ceci, cela. C’est un mythe un peu. On ne connaît pas réellement tant qu’on ne l’a pas vécu. Et niveau football, c’est fou, fou, fou. C’est tout. À Cardiff, on a la chance d’avoir un stade qui est quasiment neuf (construit en 2003), c’est le top du top. La pelouse, on l’a encore changée dernièrement, donc on a des galettes. Les supporters, c’est en moyenne 20-24 000. Ça chante et tout. Ils démarrent le match par un chant traditionnel, car au pays de Galles, ils ont leur propre culture, leur propre langue parfois. Quand on passe de Clermont où il y a 3-4000 de moyenne à 24 000, ça change vraiment. C’est pas comme Saint-Étienne, où c’est un truc de fou aussi. En revanche, si on retrouve la Premier League, ça peut devenir comme Saint-Étienne. Ici, ce sont vraiment des amoureux du football. Dans la rue, les supporters peuvent t’arrêter, mais si je suis avec ma famille, ils me saluent juste. C’est une forme de respect, je pense. En revanche, les jours de match, quand c’est l’heure du football, là, ils t’arrêtent, demandent des photos, des autographes.
Et le centre d’entraînement, il est comment ?Je ne sais pas comment c’est dans toute l’Angleterre, mais ici, j’ai l’impression qu’au niveau de la technologie, on a les moyens de la moitié des clubs de Ligue 1 au moins, voire plus. Deux fois par semaine, on fait pipi dans des pots afin de savoir si on est bien hydratés. Si ça n’est pas le cas, c’est sanction financière. On a l’obligation de manger au club. On a des protéines, des compléments alimentaires mis à disposition. Tous les joueurs peuvent en avoir s’ils en ont besoin. Tous les entraînements, on a les GPS sur le dos, et nos résultats sont analysés. Ils te prennent en photo dans toutes les positions possibles et imaginables quand tu arrives au club. Il faut faire des sauts. Ils t’enregistrent en vidéo. Ils calculent si tu n’as pas un déficit au niveau d’une section de ton corps. Ça m’a surpris. Ils ont toutes les données qu’il faut sur moi, il n’y a plus de secrets (rires). Ils regardent ton équilibre aussi et ils ajustent ton travail par rapport à tes manques. Comme quand ils avaient vu pour moi. Ils m’ont rééquilibré et maintenant je marche droit (rires). Avant l’entraînement, ils te demandent ton état de fatigue, l’état musculaire, si on a bien dormi, et après l’entraînement, on met une note sur vingt pour la séance. Tous les jours ! Si c’est dur, je dis que ça a été dur. Ici, il y a de quoi de travailler. Je progresse et il ne manque plus qu’à montrer sur le terrain.
Il y a d’autres choses qui t’ont marqué côté foot ?Ce qui m’a marqué, c’est que moi qui viens de Ligue 2, un championnat qui n’est connu qu’en France quasiment, et bah quand j’ai fait ma première entrée juste quinze minutes, j’avais déjà un chant à mon nom. Ça m’a choqué. On me l’a dit, car je n’ai pas tilté vu que j’étais dans mon match. Et c’est l’intendant qui m’a dit ça. Les paroles, ça fait : « Saadi, baby, Saadi oh oh oh ! » Je ne connais pas l’air, seulement les paroles. Ça m’a vraiment marqué. C’est fou. En ville, les supporters ont beaucoup de maillots de toutes les époques. Ils sont attachés à l’identité du club, moins aux joueurs.
Comment s’est déroulée ton arrivée à Cardiff ?Avant que je me blesse (au genou), j’avais beaucoup de demandes, ça c’est normal. Après la blessure, beaucoup moins, ce qui est normal aussi (rires). Je savais que les clubs gardaient un œil sur moi et qu’ils attendaient de voir comment je revenais, ce qui est assez logique. Le chirurgien était content de l’opération et j’ai tout fait pour revenir vite et bien. En rejouant, je pensais avoir des contacts qui allaient revenir plus rapidement. Il y a très peu de clubs qui ont pris le risque, alors que beaucoup étaient intéressés. Ils se posaient des questions, ils attendaient. Au final, j’ai eu le Gazélec Ajaccio. Ce sont eux qui sont venus en premier. C’était la Ligue 1, donc ça m’avait intéressé dans un premier temps. Mais ils ne pouvaient pas recruter à titre onéreux, je crois. Clermont ne voulait pas me laisser en prêt. Ça a mis du temps ensuite. J’ai eu une offre concrète de Courtrai en Belgique et puis celle de Cardiff. Par rapport à tout ce qu’il y avait eu en janvier, c’est vrai que c’était très limité. Avant ma blessure, j’ai dû avoir entre dix et quinze propositions. Avant l’été et la préparation physique, j’en avais zéro. Quand j’ai commencé à rejouer, deux trois clubs se sont finalement manifestés. C’est un peu logique aussi, car après, au mois d’août, les clubs n’ont plus forcément le budget pour ça, car le recrutement a déjà été fait. Fin août, on a beaucoup moins de possibilité qu’au début du mercato. Ça fait partie du foot. Ce n’était pas une désillusion. Au moment où je me suis blessé, je savais que ça allait être difficile. Quand tu fais du foot, tu sais que ça va vite, qu’il y a tellement d’enjeux que la plupart des clubs ne prennent pas trop de risques. Je me suis blessé le 24 janvier. Et les propositions, je les avais depuis décembre. Mais il me restait deux ans et demi de contrat à Clermont. Et j’aime pas partir comme ça, surtout que le club n’était pas bien classé, pas serein. Je me voyais mal abandonner tout le groupe, alors que Clermont avait misé sur moi, quand, à Saint-Étienne, on ne voulait plus me faire jouer. Je voulais aussi que le club s’y retrouve financièrement. Il ne faut pas partir pour partir. Une blessure comme les croisés, on ne peut pas la prévoir.
Il y a quelques mois, ton nom circulait pour l’équipe d’Algérie. Est-ce que les membres du staff algérien ont pris de tes nouvelles ?Je n’ai pas eu de nouvelles du staff algérien. Pas du tout.
On vient de parler de l’Algérie, tu évolues dans le championnat anglais, tu ne vas pas échapper à la question. Riyad Mahrez, alors, c’est la folie ?Personne ne s’attendait à ça de sa part ! Même ici, on m’en a parlé. À l’heure actuelle, on peut sans doute le comparer à Eden Hazard. Ici, ça va très, très vite. C’est incroyable.
Propos recueillis par Tanguy Le Séviller